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dimanche 23 septembre 2012

«SI QUELQU’UN VEUT ÊTRE LE PREMIER, QU’IL DEVIENNE LE SERVITEUR DE TOUS»


(Marc 9, 30-37)

C’est un dogme de notre société: la performance, l’efficacité, la rentabilité. Notre société a le culte du résultat. Aujourd’hui il faut être le meilleur non seulement pour réussir, mais simplement pour pouvoir travailler et survivre. Dans n’importe quelle entreprise, on impose au personnel des programmes à développer, des objectifs à atteindre. Si tu n’es pas à la hauteur, tu es éliminé, sans pitié. Il faut être le meilleur à l’école, à l’université, au travail. Aujourd’hui si l’on veut avoir des chances d’emploi et des perspectives d’avenir, il faut être capable de réussir les examens avec les meilleures notes, gagner des concours, gagner des bourses. Il faut émerger, se distinguer, performer. Pour augmenter le rendement ou améliorer les performances de notre cerveau on  n’hésite pas à recourir au dopage intellectuel. Ainsi on a recours aux psychotropes, comme le Ritalin et d’autres stimulants. Les meilleurs seulement ont une chance. Dans notre société, il y a une sélection qui est établie comme norme. C’est la lutte, la course, la compétition: dépasser les autres, distancier les autres, battre les autres. Car, dans l’engrenage infernal de la performance à tout prix, l’autre désormais est devenu le concurrent, le compétiteur, le rival, et donc l’adversaire et donc l’ennemi à éliminer. Le capitalisme occidental, qui structure une société uniquement basée sur la libre concurrence des marchés, la performance, la productivité, la consommation, l’exploitation des ressources, le profit, l’accroissement démentiel des capitaux privés, est finalement en train de mettre en place la plus inhumaine, la plus barbare et la plus sauvage des sociétés. Dans une telle société il y de moins en mois de place pour le sentiment, la sensibilité, la compassion, l’attention, l’écoute, le respect,  la compréhension, l’altruisme, l’accueil l’aimabilité, la bonté … En somme, il n’y plus de place pour l’amour! Et pourtant c’est l’amour le but de toute l’évolution cosmique! Dans cet univers, nous avons émergés en tant qu’humains, uniquement à cause de notre aptitude à aimer. Nous sommes humains fondamentalement à cause de l’amour que nous sommes capables de donner. Que sommes-nous donc  devenus ?  Il est donc urgent  d’activer notre attitude à aimer.

 Nous avons donc plus que jamais besoin de nous ouvrir à cette Parole du Maitre de Nazareth, si nous voulons récupérer notre âme et vivre en conformité avec notre destin et avec notre être véritable. À travers tout son enseignement, Jésus de Nazareth a voulu nous faire comprendre une chose très simple: devant Dieu nous ne pouvons avancer aucune prétention et nous n’avons aucun mérite à faire prévaloir. En effet, nous recevons tout de son amour et de sa bonté. Par nous-mêmes, nous ne sommes que de sacs vides qui n’acquièrent consistance et valeur que parce qu’ils sont remplis de l’abondance de ses richesses.

Jésus nous à révélé que tout nous vient d’une Source divine qu’il appelle «Père» et qui est fondamentalement un Puits d’Amour qui génère tout ce qui existe et que de ce Puits nous puisons l’eau de l’être et de la vie et donc la substance profonde de ce que nous sommes. Pour Jésus alors la vraie sagesse humaine et la vraie illumination consistent à se rendre compte, qu’en ce Principe divin nous avons  «la vie, le souffle, le mouvement et l’être» (Act.17, 25-28). Ce Principe, qui est au cœur de tout, ensemence de son Souffle et de son Énergie l’univers  entier, afin que celui-ci devienne à son tour capable de produire de l’être, de la vie et de l’amour.

Jésus nous enseigne donc que seulement si nous entrons dans  le courant de cette  Énergie d’amour et si nous nous laissons transporter, affecter et envahir par elle, nous réussissons à nous réaliser en tant qu’humains et à atteindre ainsi la vérité de notre être. Car, en tant qu’humains, nous sommes fondamentalement la conscience cosmique de cet Amour. Nous sommes cette partie du cosmos qui, à travers une longue évolution, est arrivée à la connaissance de cet amour dont tout prend son origine. Nous sommes la transparence cosmique de cet Amour. Nous sommes le lieu privilégié de sa présence en ce monde de matière. Notre tâche est de le connaître, de le reconnaître, de nous en imprégner et de le répercuter autour de nous. «Quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu» (1 Jn 4,7). Voilà pourquoi, créés, moulés, jetés dans l’existence en vertu de cette Énergie d’Amour qui constitue la substance de notre être, nous ne trouvons notre pleine réalisation que si nous sommes capables de devenir, en ce monde, les relais de l’Amour.

Jésus de Nazareth nous révèle que vis-à-vis de cette Force d’Amour qui envahit tout, la posture fondamentale des humains que nous sommes consiste, non pas à nous agripper, mais à nous laisser transporter; non pas à nous attacher, mais à nous détacher; non pas à retenir, mais à lâcher; non pas à nous remplir, mais à nous vider; non pas à nous lester, mais à nous délester. Car, à trop vouloir charger notre vie, nous risquons de la couler; à trop vouloir gagner, nous risquons de tout perdre; à trop vouloir retenir, nous risquons de nous enliser dans l’épaisseur superficielle d’une vie qui manque de profondeur et qui rate le passage du Courant divin qui cherche à nous allumer et à nous entraîner dans son sillage. Jésus nous avertit que la grandeur véritable de l’homme se mesure à sa capacité de s’ouvrir à cet Amour et de le manifester dans sa propre vie. «Qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu et Dieu demeure en  lui» (1 Jn 4,16).

Et qui dit «amour», dit disponibilité, service, aide, don de soi, respect des autres, attention aux autres, priorité donnés aux autres. Donc, ici est grand non pas celui que s’érige sur les autres pour les dominer, mais celui qui se fait petit, disponible, serviable,  afin d’enrichir les autres par la force de son amour. Les grands ici sont ceux et celles qui mettent leur confiance non pas dans la puissance et l’efficacité des moyens matériels, mais dans le travail secret de leur amour. Être petits, confiants, abandonnés, accueillants, libres, libérés, limpides, simples,  naturels… voilà par quel canal passe le courant de l’amour qui transforme le monde! Ne sont-elles pas celles-là aussi les caractéristiques de l’enfance? Voilà pourquoi Jésus nous dit que notre vraie grandeur consiste à renoncer à être trop adultes; à éviter de nous prendre trop au sérieux et de croire que nous sommes importants et à récupérer l’enfant qui est en nous: «Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous ne pouvez pas entrer dans le monde de l’amour, qui est le monde de Dieu, ce royaume de Dieu que l’humanité a mission de construire ici-bas».

Ici, la grandeur est toute dans la performance de l’amour qui s’oublie et se donne et non pas dans la performance du pouvoir qui domine et s’impose. Serons-nous capables, en tant que disciples du Maître de Nazareth, d’entrer dans ce Courant  et d’y confier notre vie ?

(25e dimanche ord. B, 2012)

 BM

samedi 22 septembre 2012

MOURIR POUR VIVRE...PERDRE POUR GAGNER


SI LE GRAIN DE BLÉ  NE MEURT PAS….
(Jean 12, 20-23)


Il faut avant tout avoir bien présent à l’esprit que ce discours attribué par l’évangéliste Jean à Jésus  n’a jamais été prononcé tel quel par lui. Il s’agit plutôt d’une réflexion théologique de l’auteur qui pendant de longues années a médité sur le fait chrétien et sur l’héritage spirituel du Prophète de Nazareth et qui nous en partage  ici  les fruits.

Dans ce texte, Jean fait référence aux Juifs de la diaspora et aux païens convertis au judaïsme qui viennent à Jérusalem pour la fête de la Pâques. Parmi eux il y a des Grecs qui profitent de l’occasion pour demander à Philippe de «voir»  Jésus. La question n'est pas "Où se trouve t-il?" à la quelle n’importe qui aurait pu répondre par une information adéquate. Mais la  demande veut, sans doute, dans l’intention de l’évangéliste, mettre en relief l’importance de la médiation des disciples pour conduire quelqu’un à la rencontre personnelle avec Jésus. Les disciples sont reconnus pour leur proximité avec le Maître et se transforment donc en  médiateurs privilégiés, en témoins et en compagnons de route pour tous ceux et celles qui veulent rencontrer le Seigneur. Le fait que ce soient des Grecs qui cherchent à «voir» Jésus, sert à attirer l’attention du lecteur  sur l'universalité de l'Évangile, étant donné que même les païens cherchent  maintenant à «voir»  le Seigneur.  L'occasion est saisie pour annoncer que le temps des paroles et des signes tire à sa fin, puisque approche l'«heure» du «signe» par excellence, celui de sa mort, à travers laquelle il accomplira son destin et se révélera  aux disciples comme celui que Dieu avait envoyé pour rénover le monde.

Jésus se sert ici d’une petite parabole. Seul le grain de blé qui meurt porte beaucoup de fruit. Cette brève parabole exprime le contenu fondamental de tout l'Évangile, le noyau du message de Jésus : l'amour oblatif, l’amour qui se sacrifie, l'amour qui se donne, l’amour qui se perd dans l’autre et qui, par le fait de mourir à son égoïsme, engendre autour de soi bonheur et vie.

Nous sommes ici confrontés  à un des paradoxes de l'évangile: «perdre» sa vie pour amour est une façon de la  «gagner» ; mourir à soi est la seul vraie manière de vivre; livrer sa vie est la meilleure façon de la conserver;  donner sa vie et la meilleure façon de la recevoir ...
Et nous sommes aussi devant  le point culminant de la révélation chrétienne. En la qualité exceptionnelle de l’humanité de Jésus nous voyons réalisée la vérité de ce paradoxe. Sa vie en effet  nous prouve que toute véritable  manifestation  d’humanité est intimement liée à la mise en œuvre de ce paradoxe.

Dans la «nature» en général et dans le monde animal en particulier, l'instinct pousse l’animal à l'auto-préservation, l’autoconservation, c‘est-à-dire à  «garder» sa vie. Il est vrai qu'il existe dans le monde animal des mécanismes que l’on pourrait qualifier d’ «altruistes», (animaux qui adoptent des rituels de séduction, qui font la cour, qui semblent exécuter des approches affectueuses de séduction) ; mais tout cela est contrôlé par des mécanismes hormonaux dans le but d’assurer la reproduction, le soin de la progéniture et la survie de l’espèce. Ce n'est pas vraiment de l'amour, mais plutôt un instinct, un instinct ponctuel qui est comme l’exception à la grande règle du chacun pour soi qui fait en sorte que chaque individu de l’espèce animale doive avant tout se préoccuper de se protéger et de se défendre soi-même, et d’être donc fondamentalement centré sur soi-même. La nature animale est centrée sur elle-même. Ce qui est contraire à cette règle est seulement une exception qui la confirme.

Les êtres humains, par contre, se caractérisent  par le fait  d’être capables d'amour désintéressé  et d’exister pour les autres; d'être en mesure de préférer l’autre à soi même ; par leur capacité à s’oublier, à se sacrifier, à donner leur vie  pour l’autre et pour faire le bonheur de l’autre.

Il y a des scientifiques qui  pensent que l’apparition de l’amour conscient dans l’univers est peut- être le but de toute l’évolution cosmique et de l’existence même  du cosmos (du big-bang à maintenant) et le but de toute l’histoire de l’évolution de la vie sur terre. La spiritualisation de la matière et l’humanisation du vivant seraient arrivés avec l’apparition de l’amour conscient  en ce monde. 

Cette petite parabole du blé qui doit se perdre dans la terre  pour porter du fruit semble donc vouloir  rendre compte de  l’acquis le plus sublime de la maturation de l'humanité, si bien qu'elle peut être considérée comme l'une des descriptions les plus synthétique et les plus vraies non seulement  de la nature de l'amour, mais aussi du chemin à suivre pour atteindre une véritable humanité. Fondamentalement, cette parabole est l’équivalent du commandement nouveau qui est au cœur de tout l’enseignement du prophète de Nazareth: «C'est ici mon commandement: aimez- vous  les uns les autres comme moi j'ai vous ai aimé;  il n’y a pas de plus grand amour que de  donner sa  vie » (Jn 15:12 - 13). Cette directive est au centre du message de Jésus tourné vers l’«humanisation» de la personne. Jésus est là pour que ceux qui le suivent cessent d’être inhumains et deviennent  humains. Nous  ne sommes humains que si capables de perdre, de donner notre vie par amour.

Si le grain de blé c’est nous, à quoi devons-nous mourir? En cette société néolibérale, capitaliste, basée sur le  rendement, l’argent, la richesse, le profit, l’exploitation débridée des ressources, à l’enseigne de la technologie, de la libéralisation des marchés, de la mondialisation, de la globalisations des relations, nous assistons à un développement économique non seulement terriblement déséquilibré, mais aussi terriblement  inhumain qui, pour faire avancer la consommation, est en train de faire reculer autant  notre qualité globale de vie que notre degré d’humanité... La crise économique causée par l’avidité des grandes institutions bancaires qui sévit dans une grande partie du monde occidental et ailleurs, avec l’endettement des États et des particuliers, le chômage, les coupures dans les programmes des services sociaux, etc., est en train de créer une société de plus en plus  cruelle et inhumaine où semble prévaloir  la loi de la jongle, du chacun pour soi et du « se sauve qui peut » …. 

On est donc devant une situation, des politiques et des pratiques, qui sont à l’opposé de l’annonce évangélique. Non pas le renoncement, mais la consommation; non pas la solidarité, mais l’indifférence et l’égoïsme; non pas le partage entre tous, mais l’accumulation entre le mains de quelques uns; non pas donner sa vie pour les autres, mais prendre la vie des autres pour mieux vivre la sienne; non pas aimer les autres comme soi même, mais aime d’abord soi-même et… tant pis pour les autres...

Heureusement qu’une conscience collective se fait jour peu à peu concernant l’impossibilité de continuer sur une telle route sans aller vers une catastrophe inexorable ... On se rend compte que cette éclipse de la solidarité et que cette régression d’humanisation portent en elles des germes empoisonnés et que le seul remède au salut de l’humanité est, encore et seulement, le message qui nous a été donné il a deux mille ans par le Prophète de Nazareth: « pour sauver et conserver ta vie, il faut que tu la donnes; pour vivre, il faut que tu meures à toi-même, à ton avidité, à ton égoïsme; pour t’épanouir et porter des fruits de bonheur,  il faut que tu te donnes et te décomposes comme le bon grain dans le terreau de ta vie quotidienne». 

Serons-nous capables de donner à notre vie l’impulsion et le rythme qui nous viennent du contenu abyssal de cette petite parabole? Il en va  du salut de notre monde et de l’humanité.

Et  dire qu’il y a des éclairés modernes qui considèrent les évangiles comme des fabulations archaïques pour des crétins religieux!!!



(5e dim.Careme B, 2012)

MB




vendredi 21 septembre 2012

SAVOIR MOURIR POUR SAVOIR VIVRE


SI LE GRAIN DE BLÉ…
(Jean 12, 20-23)



 Je veux aujourd’hui attirer votre attention sur une phrase de Jésus qui pour moi est particulièrement saisissante : « Amen je vous le dis : si le grain de blé tombé à terre ne meurt pas, il reste seul; mais s’il meurt, il donne  beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perd; celui qui s’en détache en ce monde, la garde pour la vie éternelle »

 Pour Jésus la vie semble donc faite d’abandons, de lâcher prises, de détachement et de mort. Pour vivre il faut toujours, d’une certaine façon mourir à quelque chose. Cela vaut dans tous les domaines de la vie, autant dans le domaine physique que dans le domaine spirituel et  religieux. Cette mort commence à notre naissance. Nous ne naissons que pour entreprendre un long trajet de petites morts. Regardez le bébé : pour vivre, il doit abandonner le confort protecteur du ventre maternel, pour grandir, il doit accepter de se détacher de la mère; il doit faire son deuil d’un grand nombre de dépendances qui l’infantiliserait et qui l’empêcheraient de parvenir à la liberté et à l’autonomie de l’âge adulte. Il y des personnes qui ne grandissent jamais parce qu’elles ne sont pas capables de couper le cordon ombilical qui les attache à leurs parents. J’en connais des hommes de trente et quarante ans qui vivent encore à la maison de leur parents, attachés et dépendants des petits soins de leur mère, qui, à son tour, n’est pas capable de se détacher de son « petit enfant »,  de se résigner à  le perdre et de lui faire comprendre qu’il est grand temps qu’il apprenne à voler de se propres ailes.

Et comment compter toutes les morts qu’il faut souffrir et accepter pour pouvoir réussir une vie de personne adulte!  Pour réussir à l’école et dans notre carrière professionnelle il faut mourir à notre paresse; il faut couper sur nos loisirs, sur nos temps libres, sur nos heures de sommeil; il faut sacrifier des fêtes, des rencontres, des voyages, des vacances, des amis; il faut souvent faire taire en nous la tentation du découragement, de la démoralisation …

Et que des morts à envisager pour réussir ensuite une vie de couple! Il n’y a  aucune vie de couple possible si elle n’est pas basée sur un effort de mort (ou mortification) continuelle. Mourir à l’égoïsme, à l’individualisme, à l’égocentrisme; mourir à la jalousie; mourir à nos caprices, à nos frivolités, à nos infidélités; renoncer à avoir toujours raison; sacrifier nos idées arrêtées pour prendre en considération  le point de vue de l’autre… mourir à nous-mêmes pour donner un peu plus de vie à l’autre…

La qualité de notre vie est surtout déterminée par la qualité de notre rapport avec les autres et donc par la qualité de notre vie sociale. Et c’est surtout ici, dans le domaine de nos relations avec notre prochain, que la parole de  Jésus sur la nécessité de mourir à nous-mêmes et de perdre notre vie, est plus vraie que jamais. Quel monde et quelle genre de société en effet allons nous bâtir, si nous refusons de  mourir à notre avidité, à notre voracité, à notre soif de pouvoir, à notre désir frénétique d’accumuler richesses et biens par n’importe quels moyens, même s’il faut,  pour cela,  dilapider la planète, épuiser  les ressources de la terre et  bouleverser à tout jamais  l’équilibre fragile de ses écosystèmes? Quelle sera la qualité de notre civilisation et de notre communauté humaine, si nous refusons de mourir à nos préjugées, à notre intolérance, à nos fanatismes, à notre violence, à notre peur de l’autre ?  Quelle sera, enfin,  la qualité de notre vie personnelle si nous sommes emportés par le ressentiment; si nous sommes intérieurement rongés par le cancer de la  rancune  parce que nous ne voulons pas faire mourir en nous la haine, le souvenir du mal  reçu, le désir de la  revanche, de la rétorsion ou de la vengeance? Comment pourrions-nous espérer être aimés, si nous n’aimons que nous mêmes? Et qui n’aime que soi-même, avertit Jésus, et il a raison, reste seul, il se condamne à la solitude. Comment pourrions-nous profiter en toute tranquillité d’esprit de la vie et des biens que nous avons ramassé, tant et aussi longtemps qu’il y aura un pauvre Lazare à la porte de notre maison quêtant les miettes  qui tombent de l’opulence de notre table ? 

La vie est belle dans la mesure où elle est partagée. La vie est une réussite dans la mesure où elle s’épanouit et lève comme un bon pain, poussée par le ferment de d’amour, du don, du pardon, du partage, du dévouement, du soucis des autres ... après  être passée à  travers l’expérience transformante d’une mise à mort intérieure de toutes ces attitudes mesquines et égoïstes qui nous referment uniquement sur nous-mêmes. 

Mais  il nous faudra surtout mourir à la peur (peur de Dieu, de nous-mêmes, des autres, peur existentielle, peur angoissante !) pour pouvoir vivre dans la confiance qui  assure sérénité et paix à notre existence.

Même si cela peut paraître paradoxal, Jésus vient nous dire qu’il faut perdre pour gagner; qu’il  faut renoncer pour acquérir, servir pour dominer; se faire dernier pour être premier, savoir mourir pour pouvoir vivre. Le grain de blé mis en terre est le symbole et l’image de cette loi fondamentale de la vie. Et cette loi nous enseigne qu’il faut  toujours, quelque part et en un moment donné, savoir mourir, c'est-à-dire, lâcher prise, se détacher, se libérer, abandonner, et s’abandonner, si l’on veut atteindre un degré supérieur de vie; et que celui qui veut s’accrocher, finit en définitive par rester collé.

(5e dim. carême B, 2009)


MB

LES PREMIERS SONT LES DERNIERS


«Si quelqu’un veut être le premier, qu’il se fasse le dernier et le serviteur de tous»

( Marc 9, 30-37)


Un texte d’évangile difficile à accepter. Jésus s’est fait beaucoup d’ennemis. Sa parole et son attitude dérangent les autorités et les choses sont en train de se gâter et de prendre un mauvais tournant : tensions, incompréhensions et hostilités  montent  autour de lui; sa vie est en danger. Ses amis les plus proches ne semblent pas se rendre compte de la marée qui monte et des dangers qui guettent leur Maitre. Ils semblent ignorer complètement la gravité de la situation et l’état d’âme de Jésus qui vit une étape particulièrement éprouvante de son existence: il est en proie au doute, au découragement, à la peur, à l’angoisse. Il se sent incompris, repoussé; il voit sa mission s’en aller vers l’échec et la catastrophe. Sa vie même est en péril, puisque ses ennemis cherchent à  l’éliminer …

Pendant qu’il souffre l’enfer dans son cœur, ses disciples font des plans pour le futur! Derrière les coulisses, ils complotent pour se distribuer les meilleurs sièges au parlement. Les futurs ministres discutent de quels seront les meilleurs postes de pouvoir à occuper lorsque leur Chef aura réussi son coup d’État, renversé l’ancien régime et pris les reines du pouvoir comme Messie et  Libérateur d'Israël.

Jésus est un homme qui a eu une intuition extraordinaire. C’est quelqu’un qui a su voir et comprendre où se trouve, en réalité, la vraie grandeur de l’homme et il cherche à communiquer sa vision des choses. Pour lui  la vraie grandeur de l’homme ne doit pas être cherchée dans les valeurs  généralement recherchées par les hommes. Les humains pensent qu’ils sont grands quand il sont puissants; quand ils sont portés par une grande renommée; lorsqu’ils ont réussis à battre des records; lorsqu’ils deviennent des stars médiatiques; lorsqu’ils réussissent à bâtir des empires économiques; lorsqu’ils possèdent beaucoup, beaucoup. Lorsqu’ils peuvent écraser et piétiner impunément du monde. Selon nos standards, la grandeur d’une personne est  mesurée par le pouvoir que donnent  le succès et l’argent.

Mais ce type de grandeur en est-elle vraiment une? Ce type de grandeur à qui est-elle accessible? Parmi les sept-huit milliards d’humains qui habitent la terre, qui sont ceux qui réussissent à atteindre ce genre de grandeur? Si la grandeur de l’homme est placée dans le pouvoir, le succès et l’argent, il faut tout de suite en conclure que cette grandeur est hors de portée de la grande majorité et que  l’humanité, dans son ensemble, est condamnée à l’avilissement et l’insignifiance; qu’il n’y a pratiquement pas de grandeur possible pour «les gens de la rue», pour la  personne ordinaire et que la chance de «grandir» nous est donc existentiellement  niée.
La grandeur de l’homme devient alors une utopie irréalisable, puisque réservée à une mince élite de chanceux. Si la grandeur et la valeur de l’homme sont données par le pouvoir, le prestige et l’argent, nous condamnons  tous les pauvres, les démunis, les exploités de la terre, à une vie sans grandeur, c’est-à-dire à une vie sans valeur, sans  importance et sans dignité !

Regardez  alors ce que fait Jésus! Admirez son génie ! Il renverse la donne, il renverse les valeurs, il renverse l’objet des aspirations, des efforts et des rêves des hommes, pour permettre à tous, même aux plus faibles, aux plus  humbles et aux plus démunis d’avoir leur part de grandeur en cette vie. Afin que, finalement, justice soit faite, et que la grandeur et l’excellence soient accessibles à  tous .
En effet, pour Jésus de Nazareth tout individu (en tant que créature de Dieu) est appelé, destiné à la grandeur! Jésus avait compris que le chemin vers la grandeur personnelle est et doit être ouvert à tous. Le message que Jésus a toujours voulu inculquer, au risque de sa vie, est bien le suivant: «Vous êtes des enfants, des fils de Dieu! Vous possédez donc une grandeur, une valeur et une dignité exceptionnelles, fantastiques! 
Mais vous n’êtes pas grands, vous ne valez pas par ce que vous gagnez; par ce que vous possédez, par ce que vous accumulez; par le pouvoir que vous avez de vous faire obéir,de vous faire servir, de soumettre, d’opprimer, d’exploiter les autres… il n’y a aucune grandeur en cela!…. Au contraire, tout cela finira un jour par vous détruire, par vous  rabaisser,  par vous disqualifier en tant que personnes. Car cela finira par vous rendre insensibles, arrogants, égoïstes, cruels, aveugles, bornés, stupides. En un mot, votre pouvoir finira par pervertir votre nature profonde, en changeant des êtres humains en des êtres inhumains; en vous  dépossédant ainsi de votre humanité qui constitue votre unique et véritable grandeur! Quelle grandeur y a-t-il pour un homme à être devenu serviteur de son pouvoir et l’esclave de son argent? Quelle grandeur y a-t- il à bâtir son piédestal sur les épaules des autres ? Le trop de pouvoir conduit à la corruption jusqu’à la démence. Macchiavelli disait: «Le pouvoir corrompt l’homme, le pouvoir absolu  le corrompt absolument» (Le Prince).  Tous les despotes et les tyrans  de l’histoire en sont la preuve vivante!

La vraie grandeur de l’homme se trouve dans la direction opposée. Non pas dans le pouvoir, mais dans le service; non pas dans l’accumulation, mais dans le partage; non pas dans l’égoïsme, mais dans la générosité;  non pas dans l’attachement, mais dans le détachement; non pas dans la richesse, mais dans  la pauvreté; non pas à se nier aux autres, mais à se rendre disponibles à tous ; non pas à accumuler, mais à donner;  non pas à être servi, mais à servir. Qui veut garder sa vie toute pour lui même, pour lui tout seul, lui, le grand, le fameux, le renommé, le puissant, le riche, la star, le  magnat…, eh bien, le pauvre, (oui, le pauvre!) il  la perdra. Le jour du bilan de sa vie il se rendra compte qu’il l’a, en réalité, fondamentalement ratée...

Le sénateur Ted Kennedy, Edward de son vrai prénom était, aux yeux de bien des gens, un grand de ce monde, un géant de la politique américaine. Faisant partie de la dynastie des Kennedy, frère de John et de Robert, il avait déjà atteint des sommets de grandeur humaine. Lorsqu.il est décédé,  à ses  funérailles, c’est le chapitre 25 de saint Matthieu qu’on a choisi  de lire: « J’avais faim et vous m’avez donné à manger... ». Le curé, dans son homélie, n’a pas manqué de souligner que la vraie grandeur de Ted Kennedy avait été son attention et son amour pour les pauvres, les petits, les immigrés, les étrangers...

Une personne n’est vraiment grande que lorsqu’elle a réussi à se frayer un chemin de tendresse dans notre mémoire et à laisser une place dans notre cœur à cause du bien et de l’amour qu’elle a répandu sur les chemins de sa vie.

Bruno Mori
(25e dim, ord. B 09)

mercredi 12 septembre 2012

PARDONNER POUR SE LIBERER



(Matthieu 18, 21-35)


Cet évangile clôt le « discours communautaire » de Matthieu qui traite de la vie pratique des communautés chrétiennes. Dimanche dernier, Jésus prônait la miséricorde envers le frère égaré, aujourd'hui, il prône cette même miséricorde quand on a soi-même subi une offense. Mais le fait que c’est Pierre qui s’approche de Jésus pour lui demander : « combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? » - insinue que, non seulement les individus, mais encore la communauté en tant que telle, ne doit jamais se fatiguer de pardonner.

La réaction naturelle - et habituelle - est de rendre les coups. En Orient, la vengeance était sainte, sacrée au point que l’Ancien Testament la prête (à tort) à Dieu lui-même. Pierre sait qu’il faut pardonner, mais il arrive un moment où la patience est à bout. Et, d’ailleurs, une épouse doit-elle continuellement encaisser les grossièretés d’un mari égoïste, subir les attaques d’un mari buveur ? Tout comme le pauvre mari les flèches d’une partenaire aigre et revêche ? Les parents qui laissent tout passer ne rendent-ils pas un mauvais service à leurs enfants ? La bonté ne finit-elle pas par devenir bêtise ? Il y a des limites à tout. Pierre fixe cette limite avec une évidente générosité. Il dépasse la norme des rabbins qui limitaient leur patience et leur pardon à «une, deux ou trois fois ». Pierre va jusqu’à sept !
Jésus répond : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais soixante-dix fois sept fois, retournant ainsi un principe de vengeance connu de ses auditeurs : « Caïn fut vengé sept fois, mais Lamek sera vengé soixante-dix-sept fois » (Gn 4,15.23-24). En d’autres mots, ne comptabilise pas; sois toujours prêt à pardonner. Jésus en a donné l’exemple quand, jusque sur la croix, il pria : « Père pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font ».

L’insistance sur la nécessité du pardon est en effet une des caractéristiques fondamentales de l’enseignement de Jésus. On dirait que pour lui l’homme ne peut vraiment s’humaniser que dans la mesure où il accède  à la capacité de pardonner et que la capacité de pardonner est la conséquence de la libération intérieure qui surgit de la découverte de l’amour de Dieu dans notre vie. Si Jésus est venu pour nous aider à trouver le chemin de notre liberté et donc pour nous libérer de tout ce qui  nous opprime,  nous  réduit en esclavage, nous tyrannise,  nous tourmente , il se devait de faire du pardon la condition indispensable du salut.
La colère, la haine, le ressentiment, la rancune, l’amertume quand ils sont longtemps nourris et entretenus, deviennent des attitudes intérieures parasitaires, terriblement dangereuses pour notre santé mentale, psychique et physique. Ces états d’esprit négatifs sont comme des cancers qui nous consument et nous détruisent  petit à  petit. Camus en parlant  de la haine et du désir de vengeance qui parfois rongent des familles pendent des générations entières, les comparent à un nœud de vipères en nous.
En entretenant la colère, en continuant à nous sentir affecté par le crime de l’autre, nous permettons à celui qui nous a fait du mal de continuer à nous nuire. Nous continuons à lui donner du pouvoir sur nous. Dans notre angoisse de le sortir de notre vie, nous lui donnons en fait une place et une influence toujours plus grandes. Au lieu de nous débarrasser du mal et de la souffrance qu’il nous procure, par l’importance que nous lui accordons (par notre haine), nous faisons en sorte qu’il gère et gouverne notre vie. Nous devenons les esclaves de notre ennemi et les esclaves de la haine que nous ressentons envers lui. La seule façon que nous avons de récupérer notre liberté et notre paix consiste à le sortir définitivement de notre vie par la stratégie du pardon. Seulement le pardon nous permet de sortir de l’étau dans lequel la haine nous renferme.
Sans compter que tout ce négativisme et cette désagrégation intérieure empoisonnent et pourrissent notre vie et ont des effets délétères non seulement sur notre santé physique et spirituelle, mais même sur notre apparence extérieure: ils crispent nos traits,  plissent notre visage, nous vieillissent  avant le temps, raidissent notre caractère, nous rendent amers, agressifs, incapables de sourire à la vie et de sourire tout court. Aucune vie n’est capable de s’épanouir si elle se déploie entourée continuellement par les miasmes de la rancune et de la haine. De sorte que le pardon avant encore d’être un geste de bonté et de magnanimité  envers l’offenseur, est avant tout un geste de sagesse et de bonté envers nous-mêmes. Avant encore d’avoir pitié du délinquant, nous devons avoir pitié de nous. Le pardon est alors le seul moyen que nous avons pour reprendre possession de notre véritable identité, pour reprendre les reines de notre existence et, en chassant les serpents et les démons de la rancune et de la haine qui  nous hantent, retrouver la sérénité du regard, l’éclat de notre sourire et la beauté foncière de notre âme.

Pardonner, ça ne veut pas dire OUBLIER, ni EXCUSER. C'est pour nous libérer, pour aller mieux, pour guérir, pour être en paix, que nous devons pardonner. Pardonner, c'est enlever l'impact émotionnel de l'offense, afin de ne plus en être touchés. C'est nécessaire pour notre sérénité présente et future. Il faut aussi renoncer à obtenir vengeance ou réparation, et cesser d'attendre des excuses de l'autre. Ceci nous maintient dans le passé et nous empêche d'avancer.

Jésus a donc raison de nous convier avec insistance sur la route du pardon. Depuis longtemps et mieux que nous il a compris que les humains, sur lesquels brille la lumière de la ressemblance de Dieu et la grandeur de la filiation divine, sombrent dans un terrible délabrement lorsqu’ils échouent leur vie sur les plages ravagées de l’agressivité, de la vengeance et de la haine et que finalement  seulement le pardon constitue leur ultime chance de bonheur et de salut.


MB

mardi 11 septembre 2012

VAS DE L’AVANT… TES FAUTES ONT ÉTÉ PARDONNÉES


 (Marc 2, 1-12)

Ce texte de l’évangile, au-delà de l’anecdote amusante et curieuse, veut nous transmettre des informations importantes sur notre monde intérieur et susciter une réflexion sur la nature et la qualité de notre existence. Il faut évidemment savoir lire entre les lignes et interpréter les gestes et les faits dont l’évangéliste se sert pour nous communiquer son message...
L’évangéliste nous présente  un  homme paralysé. Cet homme est une loque. Il n’a pas de nom. Il n’agit pas. Il ne réagit pas. Il ne dit rien; il ne demande rien; il n’intervient jamais. Ce sont les autres qui font tout pour lui. Il est évident que pour Marc l’infirmité de cet homme n’est que le symptôme extérieur d’un mal intérieur. Et c’est d’ailleurs de cette façon que Jésus l’interprète aussitôt que le malade est déposé devant lui. Il y a plusieurs aspects dans ce récit sur lesquels je  voudrais attirer votre attention.

Il ya d’abord cet homme paralysé qui est évidemment ici la personnification de toutes nos paralysies, de nos blocages, de tout ce qui en nous nous attache, nous emprisonne et nous empêche d’être des personnes indépendantes, autonomes, capables de marcher toutes seules, de se tenir debout, droit, sans besoin d’être transportées, d’être à la remorque des autres, d’obtenir l’approbation des autres.

Je me souviens quand j’étais plus jeune, j’avais tellement peu de confiance en moi-même, j’avais tellement peur de me tromper, de prendre de mauvaises décisions, que j’avais toujours besoin de me sentir appuyé par les autres, mes supérieurs, les responsables, et de chercher toujours leur approbation. Je n’étais pas  capable de marcher. J’avais toujours besoin de m’agripper, de m’appuyer sur quelqu’un. Je manquais de confiance. J’étais vraiment un paralysé.

Nous sommes tous plus au moins bloqués, paralysés ou par notre vécu antérieur, ou par des problèmes irrésolus qui remontent de notre enfance (nos inhibitions, nos refoulements) ou par nos peurs ou par le manque de confiance en nous-mêmes. Souvent ce blocage arrive parce que nous pensons que nous ne sommes pas des personnes «bien», que nous sommes poqués, tarés, mal construits quelque part ou parce que nous portons en nous le souvenir d’échecs antérieurs; les blessures de gaffes, de fautes, d’erreurs anciennes (ou récentes) qui nous établissent dans un état de crise intérieure permanente, de remords, de perception négative de notre personne;  qui nous poussent à penser et, souvent, à nous comporter comme si nous étions des ratés sans espoir et sans futur. 
Souvent nous acceptons d’être les victimes de nos remords, de nos regrets, de nos erreurs ou de nos fautes et nous n’osons plus vivre pleinement. 

J’ai connu une fille qui lorsqu’elle était petite a été écrasée par son père, un homme autoritaire, sévère et violent. A la maison elle n’avait pas le droit de parler, de s’exprimer sans être reprise, grondée, calée, ridiculisée: elle était sotte, stupide, sans cervelle. Pour mériter l’affection de son père elle se mettait en quatre pour lui plaire, lui rendre service; elle ne pensait jamais à elle-même, elle endurait tout; pour satisfaire son père à l’école elle était la meilleure de la classe, mais lorsqu’elle lui apportait son excellent bulletin, il la traitait de médiocre, elle aurait pu faire mieux, obtenir de meilleures notes… Ce père a tellement tué en elle la spontanéité et l’estime de soi, que cette femme aujourd’hui encore n’est pas capable de vivre pour elle même; elle est une perfectionniste qui, pour mériter de vivre, pour acquérir l’approbation, la bienveillance et l’amour des autres, brûle les deux bouts de sa chandelle. Elle pense que c'est le prix à payer pour justifier son existence. Elle a peur de sortir, de se présenter en publique, elle cherche toujours à s’effacer, à passer inaperçue, à disparaître, parce qu’elle est convaincue que, de toute façon, jamais elle ne pourra susciter l’attention,  l’intérêt ou l’affection  de qui que ce soit. Voilà une autre personne paralysée!

J’ai connu une femme qui s’était mariée très jeune et contre l’avis de ses parents qui n’aimaient  pas le type avec lequel  elle s’était liée. Elle leur avait répondu que ce n’était pas eux qui devaient l’aimer. Bon! C’était le coup de foudre, la grande passion, l’amour de sa vie, le bonheur garanti  pour le reste de ses jours et elle ne voulait pas le  rater…. Au bout de six mois elle dû se refugier  dans la maison de ses parents … son mari s’était révélé être un voyou, un profiteur, un fainéant et  un coureur de jupes …Bref ! Séparation, divorce et tout l’éventail des sentiments qui peuvent surgir après une tel échec dans le cœur d’une femme: déception, peine, regret, désenchantement, culpabilité...  Aujourd’hui encore, après dix ans, cette femme est toujours célibataire...  Elle n‘ose plus se lancer dans une nouvelle expérience amoureuse de peur d’être déçue et de souffrir à nouveau.  Elle est paralysée par la peur d’une nouvelle relation et marquée pour toujours par les séquelles d’une erreur.

J’ai remplacé pendant un mois l’aumônier d’un centre de détention à Rivière des Prairies. Une expérience inoubliable! Je suis entré en contact avec des voleurs, des violeurs  et des meurtriers. Savez-vous ce qui était commun à tous ces détenus, ce qui reliait ensemble tous ces «pécheurs» ? La constatation que leur faute avait  ruiné leur vie et qu’ils ne pourraient  plus jamais vivre une vie normale dans le futur. Leur «péché» avait, pour ainsi dire, comme bloqué, arrêté, paralysé leur vie. Leur faute, leur péché, constituait pour ainsi dire le brancard sur lequel ils se sentaient, dans leur esprit, à tout jamais cloués .

En général, nous sommes tous plus au moins bloqués par nos peurs. Et il y a autant de paralysies qu’il y a des peurs. La peur de la pauvreté et du manque nous immobilise dans l’égoïsme, l’avidité et la convoitise. La peur de l’infériorité nous arrête au soin de notre ego, de notre ambition et de notre réussite ; la peur du refus bloque notre spontanéité, nous fige dans le servilisme et une dépendance aliénante. La peur de perdre la santé ou la sécurité bloque notre plaisir de vivre: nos sorties, nos voyages, nos contacts, nos expériences, notre goût pour l’aventure. Lorsqu’on a peur, on se dit : «laisse faire, laisse tomber, ce n’est pas la peine, ne  risque pas,  reste tranquille, ne bouge pas, c’est trop dangereux …» et ainsi on vit au relenti, ont vit couché, étendu sur le brancard de nos peurs, de nos erreurs et de nos refoulements.

Vous comprenez alors quelle transformation est capable d’opérer dans la vie de ces personnes engourdies par la faute ou paralysées par la peur la rencontre avec Quelqu’un qui soit capable de faire naître en eux la confiance et l’espérance; qui  soit capable de les conduire à apprivoiser et à accepter leurs erreurs  et de les convaincre que leurs «péchés» ne sont pas une calamité permanente, un désastre irréparable qui doit inévitablement ruiner leur existence pour toujours et les empêcher d’envisager ou d’entreprendre un nouveau commencement. Quelle grâce si nous pouvons rencontrer Quelqu’un qui réussit à nous convaincre que nos fautes sont en arrière de nous et qu’elles n’existent plus, car elles ont été effacées, pardonnées depuis longtemps au prix de nos larmes, de nos remords, de nos souffrances et surtout et certainement grâce à la miséricorde et à l’amour d’un Dieu-Père qui déteste voir souffrir ses enfants.

C’est la grâce qui est arrivée au paralysé de l’évangile d’aujourd’hui. Jésus lui dit: «Les fautes qui te bloquent, les erreurs qui te paralysent et qui font de toi un fossile, un passif, un prostré, une personne sans nom, sans voix, incapable de se tenir débout, de marcher, de foncer dans la vie, sont pardonnées. Tu n’as plus le droit de te laisser anéantir par ton passé…Arrête de te considérer une victime... arrête de te morfondre dans ta culpabilité… lève-toi donc… mets-toi debout,... la tête haute…, va de l’avant… marche…!!!  Je ne te dis pas d’oublier les fautes, les erreurs de ton passé, mais tu ne dois pas permettre qu’elles deviennent le brancard sur lequel tu continues de t’écraser, de t’aplatir, parce que tu penses que tu ne mérites plus une autre chance dans la vie. Prends donc ton brancard  avec toi et marche avec lui, c'est-à-dire, vis avec le souvenir de tes erreurs, de tes fautes et de tes péchés qui ont bâti en toi une humilité, une sensibilité et une sagesse qui te permettront dorénavant d’avoir sans doute une vie meilleure.

Je voudrais dire un mot sur ces porteurs anonymes qui ont fait l’impossible pour que le malade rencontre le Seigneur. Ils sont là pour nous dire que dans la vie nous avons besoin des autres et que souvent nous ne réussissons pas à nous en sortir sans la présence de ces anges qui nous aiment, qui croient en nous et qui prennent soin de nous. Ces anges nous regardent avec les yeux de la tendresse et de l’amour; ils voient en nous ce que nous ne voyons pas et ils nous perçoivent bien plus beaux que nous pouvons nous voir nous-mêmes. C’est en nous regardant dans leurs yeux que nous pouvons découvrir la beauté qui est en nous et nous réconcilier avec nous-mêmes. C’est grâce à eux que nous pouvons aller notre chemin sans trop trébucher; c’est à eux qui nous devons une grande partie de notre bonheur. La croyance religieuse  populaire  affirme que chacun de nous est accompagné et gardé par des anges. J’en suis  profondément convaincu, car dans ma vie je les ai rencontrés maintes et maintes fois. Chacun de nous en a plus qu’un à ses cotés de ces anges toujours présents quand les autres sont absents; qui s’approchent quant les autres s’éloignent; qui nous accueillent quand les autres nous  abandonnent; qui nous excusent quand les autres nous accusent; qui nous soutiennent et nous portent de leur dévouement, de leur amour et de leur tendresse chaque fois que nous nous plions sous le poids de l’existence. Ces anges sont des véritables messagers de Dieu. Ils sont là pour nous rappeler la valeur de notre personne, malgré tous les revers  que nous pouvons subir et pour nous faire toucher de la main cet amour inconditionnel avec lequel Dieu enrobe toute notre existence. Finalement les anges sont là pour nous faire marcher à la rencontre de l’Amour. 

BM

(7e dim. Ord. B)

IL FAIT ENTENDRE LES SOURDS ET IL FAIT PARLER LES MUETS…



( 23 dim. ord. B 2012 - Marc 7, 31-37)

Le cœur du message de Jésus de Nazareth consiste dans l’amour de l’autre. Jésus disait: «C’est à cela que le gens reconnaîtrons que vous êtes mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres». Pour le Nazaréen, l’ouverture, l’empathie, l’affection que l’on porte à notre semblable sont plus importants que  l’adoration et le culte rendus à Dieu ou que la soumission à sa «volonté» et à sa Loi. Et cela est vrai à un tel point que, pour Jésus, l’amour du prochain est le seul moyen que nous avons à notre disposition pour manifester notre amour envers Dieu et que toute proclamation ou affirmation religieuse de piété vis-à-vis de Dieu, qui ne se traduit pas en charité fraternelle et qui ne s’accompagne pas d’intérêt, d’ouverture et  d’amour envers l’être humain, n’est que mensonge et hypocrisie.

Si donc l’amour pour les autres constitue le cœur du message du Maître de Nazareth, nous comprenons le souci, la préoccupation de Jésus à vouloir que ses disciples soient des gens ouverts, accueillants et l’effort qu’il a mis à les guérir de leurs surdités, de leurs insensibilités, de leurs enfermements et de leurs égoïsmes. C’est le sens et le message de l’anecdote de la guérison du sourd-muet  relaté par l’extrait évangélique de ce dimanche. En règle générale, on constate que, dans les évangiles, l’attitude fondamentale qui est requise de la part de ceux et celles qui veulent entrer  dans la dynamique spirituelle du Maître est celle de l’écoute. «Qui a des oreilles pour écouter, qu’il écoute!», devient la consigne et le mot d’ordre pour être un authentique disciple et pour accueillir le salut de Dieu apporté par Jésus: écouter la parole, écouter la voix du frère dans le besoin, écouter le Fils bien-aimé... Écoute qui est synonyme d‘accueil, de confiance, d’intérêt et, finalement, d’amour. Si dans les évangiles l’accent est mis avec tellement d’emphase sur la nécessité de l’écoute pour se réaliser en tant qu’humains et pour se sauver, cela est dû au fait que, généralement, cette capacité fait défaut chez beaucoup de gens et que, à cause de cela, leur vie risque de « tomber en ruine». Dans les évangiles  Jésus est présenté comme celui qui, stimulant notre capacité d’aimer, nous convie à une attention et à une sensibilité plus grandes envers nos semblables, et donc comme celui qui active, d’une façon inégalée et toute nouvelle, notre capacité d’écoute des autres et d’ouverture aux autres.

L’écoute est en effet la seule façon que nous avons d’entrer en relation avec une personne. L’écoute est la seule porte par laquelle l’autre peut entrer en nous et dans notre vie. C’est par l’écoute de ce qu’il me révèle de lui, que je peux le connaître, découvrir et sentir son âme et lui permettre d’affecter la mienne. C’est par l’écoute de l’autre que je l’accueille, que je reconnais sa valeur et son importance, que je m’enrichis de tout ce qu’il m’apporte et que je lui permets de s’affirmer en tant qu’individu unique, en lui faisant découvrir sa grandeur et son immense dignité. Car c’est par mon écoute que l’autre se sentira accueilli, remarqué, accepté et donc reconnu et donc compris et donc valorisé et donc apprécié. C’est grâce à mon accueil et à mon écoute qu’il se sentira aimé et qu’il  prendra alors confiance en lui-même et trouvera satisfaction, gratification et joie dans son vivre.

Si je l’écoute, jamais un individu dira de lui-même: je suis une nullité, je ne suis bon à rien, je ne vaux pas grand-chose, je suis inutile, personne ne s’intéresse à moi, personne ne m’aime, je vis dans un monde hostile, insensible, égoïste, méchant, à quoi bon vivre… Notre capacité d’écoute peut faire toute la différence entre un monde hospitalier et un monde féroce; entre une société humaine et une société  déshumanisée; entre le bonheur ou le malheur d’une personne,  entre le choix de vivre ou le choix de mourir.

C‘est à cette capacité d’écoute que sont finalement mesurés la beauté de notre âme, l’emprise de Dieu dans notre existence et le miracle de guérison que son Esprit a opéré dans les profondeurs blessées et désagrégées de notre être. C’est pour cela que l’écoute devient la caractéristique du disciple de Jésus, de l’homme et de la femme transformés et renouvelés par son esprit  et l’attitude de base de ceux et celles qui ont été guéris de leur endurcissement et de leur surdité au contact du Maître et qui sont appelés à bâtir le «Royaume de l’amour de Dieu» sur terre.

 Si la fonction de Jésus, en tant que Maître, est celle de parler et d’enseigner, la fonction du disciple que nous sommes, est celle d’être attentif et d’écouter. Il ne peut être maître que si nous sommes disciples. C’est alors notre capacité d’écoute qui lui assure son charisme, son efficacité, la réussite de sa vie et de sa mission dans le monde. Si nous écoutons, Jésus est Jésus et il sauve. Si nous faisons la sourde-oreille, il aura parlé au vent et son passage parmi nous aura été inutile et sa mort une horrible défaite.

Jésus nous veut personnes de dialogue, de communication, car il est venu bâtir un monde animé par l’amour et donc basé sur la relation qui doit créer unité, fraternité et communion entre les humains.
Le chrétien est donc essentiellement celui qui écoute. Mais écoutons-nous vraiment ? Avons-nous créé, développé en nous les conditions et les attitudes nécessaires et indispensables pour une bonne écoute ? Quelles sont ces conditions? Essayons ensemble d’en pointer quelques-unes.

Dans l’évangile de ce dimanche il est dit que Jésus rencontre un sourd-muet  et qu’il l’amène loin de la foule. C’est pour nous faire comprendre que pour écouter il faut être capable de faire taire, au moins pendant quelques instants, le tumulte et le tapage qui s’est établi à l’intérieur de nous; quitter la foule de nos distractions pour atteindre un lieu de silence. Il faut ensuite s’arrêter, porter attention, être curieux  s’abstenir de tout jugement, jeter sur l’autre un regard bienveillant ; penser que l’autre est comme un coffre bien garni et qu’il peut nous surprendre, nous émerveiller et nous enrichir  lorsqu’il l’ouvre et qu’il partage avec nous  la variété et la valeur de son contenu. L’écoute est alors ouverture à l’autre, liée à une capacité à l’accueillir sans jugement, sans a priori…et avec amour.

Mais si tu es devenu sourd, car fermé, replié sur toi-même, uniquement centré sur ton petit moi et ton petit bonheur, indifférent et insensible à la présence des autres, si tu te bouches systématiquement les oreilles avec des auriculaires pour n’entendre que du bruit, du rap, du rock, du métal, pour t’étourdir, te couper du monde, des autres, parce que les autres te fatiguent, sont minables, ne t’intéressent  pas, te tapent sur les nerfs … tu seras aussi un être coupé, sans substance, vide, pauvre, car tu te seras privé de l’apport des richesses que ton ouverture aux autres aurait apporté à ta vie... et tu n’aura rien a dire, rien a communiquer. Tu seras là, mais comme un poteau contre lequel on trébuche ou comme un arbre sans fruits.

Nous, les disciples du Maître de Nazareth, nous devrions être les champions de l’écoute. Comment va notre entraînement ?
  
Pour terminer je vais vous raconter une petite anecdote. Lorsque je vais chez mon dentiste, situé sur la rue Drummond à Montréal, une fois débarqué du métro, je dois marcher dix minutes sur la rue Ste Catherine. Presque toujours, au cours de ce bref trajet, je rencontre deux ou trois mendiants assis par terre ou accotés à un mur. J’ai toujours quelques pièces de monnaie dans me poche. Je pourrais donc facilement  me donner  bonne conscience, en leur faisant tomber dans le gobelet des 25 sous. Mais je me dis toujours que je ne peux pas encourager la mendicité, que je ne peux pas donner à tous ceux qui quêtent sur la rue ....  Que, d’ailleurs, ça ne sert à rien, puisque, avec l’argent ramassé, ils iront  probablement s’acheter de la bière et que ça ne résoudra pas leurs problèmes…. Donc, généralement, je ne donne rien…  je file, en faisant semblant de ne pas les voir. Mais chaque fois ce semblant d’indifférence et d’insensibilité me donne du remord.
Le mois dernier,  autre rendez-vous chez  le dentiste. Même trajet, même scénario. Je me suis dit : je n'ai pas le droit d’être indifférent. Cette fois-ci je vais m’arrêter et je vais jaser quelques minutes avec celui à la barbe frisée qui quête devant la libraire Chapters. Et c’est ainsi, qu’avec un sourire et une certaine gêne, je l’ai abordé, en lui disant que je n’avais pas d’argent à lui donner, mais que j’aurais aimé connaître quelque chose de sa vie. Après un moment de surprise et d’étonnement de sa part, en un français parfait qui laissait  deviner un homme instruit et cultivé, en cinq  minutes et demi, il m’a fait le résumé de sa vie. Et pendant ces cinq minutes je l’ai écouté. Je l’ai écouté avec toute mon attention, toute  ma concentration, mais surtout avec tout mon cœur et ma sympathie. Il m’a touché l’âme, il m’a enrichi de lui. Quand nous nous sommes laissés, il avait les yeux pétillants, un grand sourire sur le visage et tous les deux nous avions les larmes aux yeux. Avant de partir, en me serrant fort la main, il m’a dit «Monsieur, vous m’avez fait un très beau cadeau!». Je ne lui avais rien donné! C’est lui qui m’avait tout donné!


BM

dimanche 9 septembre 2012

LA SOURCE D'EAU VIVE CACHÉE EN NOUS


LA SAMARITAINE

(Jean 4)

L’Évangile de Jean est une méditation théologique, spirituelle et mystique sur la personne de Jésus et sur le sens de sa mission. La vision  que Jean a de Jésus est déjà celle de la foi. Son Jésus a déjà beaucoup perdu de sa consistance humaine et il est présenté comme un être divin : Parole ou Verbe de Dieu, lumière, porte, chemin, vérité, vie, résurrection, bon pasteur, un seul être avec  Dieu le Père…
Tous les récits de l’évangile de Jean dans lesquels Jésus intervient, ne doivent donc jamais être pris au pied de la lettre, mais être toujours lus et interprétés en clef symbolique. Les situations, les personnages, les actions  qui s‘y déroulent sont presque toujours des constructions de l’évangéliste qui utilise tout ce matériel comme des images, des  figures, des symboles, des signes dont  le but est d’introduire le lecteur dans le mystère de cette divine personne... De sorte que, lorsque nous lisons les évangiles en général, et l’évangile de Jean en particulier, nous devons toujours nous poser la question suivante : qu’est-ce que l’évangéliste veut me transmettre, veut me révéler de la personne du Maitre qui me concerne, moi, aujourd’hui, dans mon contexte de vie du XXIe siècle?
Et le récit de la rencontre de Jésus avec la femme de Samarie au puits de Jacob ne fait pas exception. Que ce récit soit historique ou pas, qu’il soit une composition littéraire de Jean ou pas, cela n’a pas vraiment d’importance. Ce qui importe c’est la pertinence du message qu’il contient pour nous. Et le message est d’une richesse inouïe.

Ce récit nous présente un Jésus en fugue (en Judée, d’où il vient, il s’est fait plein d‘ennemis, il est incompris, contesté, refusé, menacé), déraciné, dans un pays étranger et hostile, seul, épuisé, fatigué, écrasé par la chaleur, assoiffé au bord d’un puits  plein d’eau  et incapable cependant d’étancher sa soif. Le seuil moyen qu’il possède pour se désaltérer c’est de briser des tabous, enfreindre des règles, passer par-dessus des interdits, forcer les barrières imposées par la culture, la religion, les préjugés sociaux, mettre de coté son orgueil de mâle et se faire mendiant, se faire dépendant, demander la charité à quelqu’un qui vit au plus bas de l’échelle humaine: une femme et même pas de bonne réputation; une femme qui a honte de soi et qui va au puits à midi, l’heure la plus chaude, pour être sûre de ne pas se faire voir et de ne rencontrer personne.

Voilà donc deux personnes qui, sans le savoir, ont besoin l’une de l’autre pour sortir de l’impasse dans laquelle ils se retrouvent  et donner, peut être, une orientation nouvelle, un nouveau souffle à leur vie. Jésus a besoin d’être découvert comme l’homme qui vient de la part de Dieu (le messie) et la femme de Samarie a besoin d’être reconnue dans sa dignité d’être humain et de personne. L’un et l’autre n‘ont besoin que d’une seule chose: être reconnus pour ce qu’ils sont dans la profondeur de  leur être.

N’est-il pas vrai que bien souvent et presque toujours les gens ne connaissent que le masque que nous portons, que les apparences extérieures de notre personne? Ce que nous sommes vraiment tout au fond de notre cœur, nous le cachons avec un soin méticuleux. Nous dévoilons difficilement notre âme. Et pourtant c’est cette partie secrète qui contient le meilleur de nous même, notre identité véritable, mais que nous n’osons pas manifester  parce qu’elle nous éloignerait trop des modèles standardisés du monde qui nous entoure. Nous aimons mieux nous confondre avec la masse, émousser les différences, effacer les traits ou les caractéristiques qui feraient de nous des personnes uniques et originales. Pour nous adapter, pour ne pas être différents, nous nous adaptons, nous nous mimétisons, nous nous confondons avec le paysage, nous cachons notre singularité : nous avons la pudeur de notre moi véritable.

Pour révéler notre âme nous avons besoin de sentir sur nous le regard d’une personne qui nous accepte sans préjugés et nous aime dans notre singularité. Quel miracle, quelle transformation dans notre vie, lorsque la rencontre d’une personne fait naître en nous la confiance qui nous permet d’être véritablement nous-mêmes! Quelle grâce et quelle révélation dans notre vie, lorsque, dans la rencontre avec une autre personne, nous réalisons que nous sommes remarqués, acceptés, appréciés, reçus, aimés, non pas à cause de notre  apparence extérieure, mais à  cause  des trésors  secrets que nous possédons, à cause de la source secrète qui coule en nous et que nous avons protégée des regards d’autrui par modestie, par pudeur ou par peur que son eau pure soit contaminée.

Chacun de nous possède une source d’eau vive cachée  dans les profondeurs de son être. C’est dans cette source que nous trouvons les caractéristiques véritables de notre humanité. C’est en elle que se réfléchit l’image de Dieu que nous sommes; c’est là que se trouve l’enfant  innocent et pur que nous sommes, avec ses rêves d’accomplissements, ses désirs de bonté; ses aspirations de don de soi; ses élans de justice, de partage; ses besoins  d’amour à donner et à recevoir.
Chacun de nous a besoin  de rencontrer un jour la personne qui suscite en nous assez de confiance pour que nous lui ouvrions le chemin à la découverte des trésors de notre âme et pour que puisse jaillir au grand jour la source cachée.

C’est l’événement extraordinaire qui s’est produit au puits de Jacob. Jésus ose le dialogue, ose se faire mendiant, ose l’attitude de celui qui est faible, qui a besoin; il se fait faible, indigent, petit devant cette femme pour faire naître la confiance, afin qu’elle lui ouvre spontanément les portes de son cœur pour faire jaillir la source qui s‘y cache. Cette femme n’avait jamais connu un homme avec une telle finesse de perceptions et une telle délicatesse de sentiments. Elle n‘avait fréquenté que des machos violents, agressifs, autoritaires, coléreux qui l’avaient toujours exploitée, maltraitée, rabaissée, traitée comme un objet, une esclave, une prostituée, un objet de luxure et de plaisir. Jamais personne n'avait su voir en elle la personne, la femme, l’être humain avec des pensées, des valeurs, des richesses, des sentiments, des aspirations, des projets. Jésus a su la regarder avec ce regard qui va au delà des apparences et qui voit la vérité fondamentale de sa personne.

Pour la première fois, cette femme, au contact de Jésus, s’est trouvée reconnue et acceptée en tant que personne. Jésus lui dit en effet : «Si tu savais le don de Dieu que tu portes en toi, tu m’aurais demandé de t’aider à le connaître et alors tu aurais fait l’expérience d’une source en toi qui peut changer complètement ta vie et ta perception de la réalité». Jésus parle, interroge, écoute, s’implique, s’intéresse à elle, dans un dialogue franc, amical, sincère, plein de sympathie; un dialogue qui ne juge pas, qui ne fait pas de reproches, qui ne condamne pas et qui accepte la vie tumultueuse de cette femme avec une tolérance et un accueil total. Pour la première fois de sa vie, grâce à ce regard de Jésus posé sur elle, cette femme s’est senti reconnue et valorisée, non pas pour ce qu’elle possédait, mais pour ce qu’elle était, au plus profond d’elle-même. Et subitement,  grâce à ce regard de Jésus posé sur elle, elle a eu la sensation d’être sauvée. Subitement, elle a pu voir en Jésus son sauveur et reconnaître la véritable identité de cet homme qui avait mis a nu les secrets de sa vie et de son cœur.

Finalement cet évangile veut nous annoncer que ceux et celles qui réussissent à réaliser dans leur vie une rencontre sincère, personnelle et aimante avec le Prophète de Nazareth ont plus de chance de découvrir la source d’eau vive qui coule dans leurs profondeurs et donc de comprendre la véritable grandeur dont ils sont porteurs en tant que personnes faites à l’image de Dieu. 

MB

lundi 3 septembre 2012

LA CONFIANCE QUI NOUS SAUVE


LA CONFIANCE QUI SAUVE LE MONDE
(4 dim. Avent, B  2011, Lc 1, 26-38)


Comme toujours, la parole que nous retrouvons dans les évangiles est là pour nous, et pour orienter notre vie, pour suggérer les attitudes intérieures que nous devons assumer, nous, les fils de Dieu, les disciples de Jésus, les chrétiens que nous sommes.

Même lorsque cette parole nous parle de visite d’anges, de mères-vierges, d’époux angoissés, d’auberges remplies, de grottes, de pasteurs et de brebis, d’étoiles qui voyagent, de mages … c’est  encore à nous  qu’elle s’adresse et toujours pour nous indiquer quels chemins nous devons parcourir  pour devenir des êtres  plus humains et plus conformes aux attentes de Dieu.

Le centre du récit que nous venons de lire est constitué par le «oui » de Marie à l’annonce et à la proposition inouïe et insensée de l’ange. Dans la Bible l’ange symbolise toujours la présence et les exigences de Dieu  face aux  humains. Le message que ce texte nous transmet est le suivant : Dieu réalise toujours ses plans, même  à travers des situations qui nous paraissent incompréhensibles et absurdes, comme c’est le cas ici   Parce que, finalement, c’est lui le maitre du temps et de l’histoire. Il sait écrire droit même à travers nos lignes croches. Malgré  nos folies et  l’absurdité du monde que nous créons à cause de notre stupidité, Dieu a  toujours le contrôle de la situation. Donc, si cela est vrai, si je crois que son ange vient parfois nous visiter  et nous rassurer de sa présence, alors, malgré toutes les raisons que je peux avoir de m‘abattre, de me tourmenter, de désespérer, d’avoir peur devant un futur inquiétant, je fais confiance, je dis oui à la vie, à ma vie, je m’engage, je me donne à la réalisation de ma tâche, de ma mission. Car je sais que l’Esprit du Seigneur est avec moi, en moi, qu’il me couvre de son ombre pour que je puisse donner naissance, porter à la lumière le fils de Dieu que je suis au plus profond de moi-même et qui doit contribuer à « sauver» ma famille, mon milieu de vie et  le monde.

Ce texte à été écrit pour nous les chrétiens et, en s’appuyant sur la figure de Marie, il veut, de toute évidence nous apprendre la foi  en ce Dieu de Jésus et donc à faire confiance. Faire confiance à Dieu car il est Père, car il nos aime, car il veut notre bonheur et la réussite de notre vie. Faire confiance s’est se laisser  porter, se laisser  emporter par ce feeling, cette sensation … c’est sentir que  la réalisation profonde de notre humanité individuelle et de l’humanité totale est intimement dépendante de l’insertion en Dieu de notre âme. C’est cette confiance qui nous réalise et qui sauve, car elle libère de la peur qui est à l‘origine de toutes les calamités de notre monde.
  
Ce texte veut nous faire comprendre que Dieu a besoin de personnes de confiance pour pouvoir entrer et s’incarner dans notre monde. C’est parce que nous lui faisons confiance que son Esprit coule en nous et qu’ainsi, à travers nous, il transforme, il guérit l’état de ce monde. Sans la confiance rien n‘est  possible. La confiance en Dieu est aussi celle qui  soutient et explique tous les autres mouvements de confiance que je suis obligé de poser au cours de ma vie. Tu fais confiance aux branches d’un arbre et à ses fruits, parce que tu as confiance dans la qualité de son tronc. Comment pourrais-tu faire confiance aux hommes, si tu n’a pas confiance en Dieu et si tu penses que Dieu peut te décevoir?

La confiance en Dieu  me met en paix  avec Lui et, par conséquent, elle me pacifie aussi avec moi-même et les autres. Dans la confiance, je m’accepte tel que je suis; je suis content  de ce que je suis, parce que je sais que Dieu aussi m’aime et me prend tel que je suis dans mon identité unique et exclusive, avec le poids de mes faiblesses et la richesse de mes qualités. Cela n‘exclut évidemment pas que je sois conscient de mes limites et toujours tendu vers une conversion et un changement continuel. Je peux alors accepter les événements de la vie, bons et mauvais, sans peur, en les considérant comme des grâces, comme des échelons qui me font monter plus haut; comme des briques, parfois lourdes, parfois légères, mais nécessaires à la construction de ma personnalité et de mon destin tel qu’il s’inscrit depuis toujours dans le plan ou la pensée de Dieu. Si je suis en paix avec Dieu et avec moi-même, je le suis aussi avec les autres et le monde entier.

Lorsque je suis un être pacifié intérieurement par la confiance, le regard que je pose sur les autres humains est différent aussi. Je me sens en paix avec l’autre. L’autre n’est plus le rival, le concurrent, l’adversaire, l’inconnu dont je dois me méfier, le potentiel agresseur dont je dois avoir peur et que je dois garder à distance. L’autre devient, au contraire, le «prochain» que je peux faire objet de mon attention et de mon amour. C’est cela que la suite du texte évangélique d’aujourd’hui  veut nous dire lorsqu’il raconte que Marie (qui incarne ici la confiance),  aussitôt qu’elle a pris conscience  d’être porteuse de Dieu, court en toute hâte, à travers montagnes et collines, au secours de sa cousine Élisabeth.

Voilà alors que le monde aussi  ne m’apparaît plus comme un lieu terrible et hostile, en proie aux puissances ténébreuses du péché et du mal (comme il a été souvent présenté par une certaine spiritualité) contre lesquelles je dois continuellement lutter pour sauver mon âme. Le monde m’apparaît plutôt comme un lieu amical dans lequel je peux être heureux; comme un paradis reconquis et  récupéré, comme une manifestation éblouissante de la puissance, de la beauté, de l’amour  de Dieu  envers moi , sa petite créature, que, dans sa tendresse, il veut gâter en la posant dans un jardin de merveilles.

La confiance insère dans notre monde le dynamisme du rapprochement, de l’empathie, de la fraternité et la puissance de l’amour. En faisant de nous des êtres de paix, de compassion, et d’humanité, elle contribue à améliorer le monde A travers la confiance nous devenons finalement des porteurs de Dieu à ce monde, car à travers nous les virtualités de la présence divine sont à l’œuvre pour guérir, transformer et sauver  l’humanité. C’est grâce à tous ces êtres qui, comme Marie, savent faire confiance à Dieu que celui-ci naît continuellement  parmi nous…et que c’est Noel chaque jour. 

MB



dimanche 2 septembre 2012

LE DIEU AUQUEL JE NE CROIS PLUS


UNE  NOUVELLE PERCEPTION DE DIEU  


Dimanche dernier, nous avons réfléchi sur l'Esprit de Dieu que Jésus nous a laissé. Et c'est précisément à la lumière de l'Esprit de Jésus que nous avons, nous pouvons maintenant réfléchir sur le mystère de Dieu.

Il faut reconnaitre que notre idée de Dieu est encore celle qui nous vient d’un état primitif et tribal de l’humanité; du temps préhistorique où la horde ou la tribu de nos ancêtres se sentait menacée par une nature sauvage et dangereuse et par des voisins hostiles et se voyaient donc dans la nécessité  de se  fabriquer  des divinités protectrices auxquelles  confier leur propre survie et leur propre sécurité. Ces divinité étaient  faites à  l’image des hommes; mais étaient imaginées comme ayant des pouvoirs surhumains et extraordinaires qui servaient justement à assurer la protection  des insignifiants et des faibles humains. Étant conçues à l’image des humains, ces divinités primitives étaient souvent capricieuses, ambitieuses, caractérielles, irascibles, cruelles. Pour obtenir leurs grâces, leurs  faveurs et leur  protection  il était   nécessaire de les apprivoiser, de les amadouer, de les apaiser, de les calmer, de les charmer  par des dons, des offrandes, des sacrifices, des rites propitiatoires, des prostrations, des supplications, des prières ; pratiques cultuelles qui servaient aussi à valoriser leur supériorité et à leur exprimer  notre nullité, notre misère.

Ce Dieu tribal, produit de la peur, de l’angoisse, de la finitude, de l’insécurité d’une humanité primitive, angoissé et ignorante, est le Dieu qui continue de persister dans notre imaginaire collectif, dans nos mythes, dans nos religions et dans notre esprit. Sur ce point nous n’avons pas beaucoup évolué. Mais ce Dieu ne peut plus tenir devant l’avancée de la rationalité et de la critique moderne. Ce Dieu est destiné à mourir et  doit mourir. C’est avec raison que l’on parle aujourd’hui de la mort de Dieu. La persistance de cette conception archaïque, tribale et anthropomorphique de Dieu  est en grande partie responsable de l’athéisme moderne. Le fait que cette conception de Dieu soit celle  officiellement retenue et proposée par le magistère de l’Église catholique doit nous faire  réfléchir.

En effet, c’est cette conception Dieu qui est à l’origine de plusieurs affirmations fondamentales du dogme catholique, comme l’incarnation de Dieu dans un corps d’homme. Comme la doctrine de la rédemption par la souffrance et  le sang. C’est le Dieu  primitif qui a besoin de vengeance et d’expiation, de la mise à mort du coupable  pour calmer sa rage, assouvir son courroux, oublier  l’insulte causé contre lui par la méchanceté  et la faute des humains.
C’est encore cette idée de Dieu  qui est capable de le concevoir comme un despote autoritaire et jaloux de sa grandeur, de son pouvoir et de sa primauté et qui châtie les insoumis, les insubordonnés, les transgresseurs de ses lois et de sa volonté et qui les terrorise avec la perspective du feu et des tourments éternels.

C’est ce Dieu qui cherche à obtenir la soumission des ses adorateurs  avec la menace  d’un jugement sévère et impitoyable  à la fin de la vie et à la fin des temps. C’est le Dieu que chacun de nous est invité à se rendre propice par une vie moralement correcte (surtout du point de vue de comportement amoureux et sexuel), par la docilité, la soumission et l’obéissance aux autorités religieuses constitués. C’est le Dieu tout puissant et dispensateurs de grâces et de bienfaits à ses protégés auquel on peut recourir, si on a les cartes en règles, pour  lui débiter la liste de nos demandes, surtout  lorsque les choses ne vont pas trop bien pour nous. C’est le Dieu contre lequel nous nous fâchons lorsque nous avons  l’impression qu’il soit distrait à nos supplications  et qu’il fasse la sourde oreille à nos prières parce qu’il ne livre pas en temps voulu ou souhaité la marchandise demandée.

Ce Dieu là est une idole  que nous nous sommes fabriqué sur mesure. Il est à notre image et ressemblance. C’est  donc un Dieu qui est là pour nous accommoder. Il est là pour nous. Il est  à notre disposition et à notre service. Il n’a donc rien d’un Dieu; il est notre serviteur. Il est un fétiche, un porte-bonheur  auquel on demande d’utiliser la toute-puissance avec laquelle on l’a habillé pour assurer notre bien-être et notre bonheur. C’est pour cela qu’à ce Dieu on demande continuellement de faire des miracles, de renverser s’il le faut, toutes les lois naturelles, pourvu que ses adorateurs, ou plutôt ses manipulateurs,  puissent en tirer profit.

C’est pour cela que dans la religion catholique, Dieu est supposé intervenir d’une façon miraculeuse un peu partout et que l’action prodigieuse ou  miraculeuse de ce Dieu est même considérée une chose toute à fait normale et naturelle. Dieu  intervient d’abord en s’incarnant  miraculeusement dans le ventre d’une femme vierge. Ensuite, caché en Jésus, Dieu devient faiseur de quantités de miracles qui marquent toute la période de l’existence  terrestre de l’homme-Dieu. Dans la vie de l’Église, Dieu, au service des hommes,  continue  à  opérer  des miracles à un rythme  régulier  et, je dirais, presque obligatoire, sur commande : dans les sacrements (baptême, absolution, transsubstantiation, ordre),  canonisations des saints, infaillibilité papale, vocations sacerdotales, perpétuité et permanence de l’Église catholique, apparitions mariales…

Encore aujourd’hui donc, les religions pensent que, par le truchement de formules incantatoires, la magie des rites, la somptuosité des liturgies, l’autorité des personnes sacrées,  il est possible d’impressionner la divinité, de l’influencer, de la manipuler et de l’oblige  à se plier aux règles, aux normes, aux directives, aux  attentes, aux besoins de la structure religieuse.

De son coté, Jésus de Nazareth que nous dit-il de Dieu ?  Jésus  nous révèle quelque chose d’absolument nouveau et inattendu : il nous dit que Dieu est Père. En cela il est débiteur de la mentalité de son temps. S’il avait vécu dans notre temps, il aurait pu aussi bien nous dire que Dieu est Mère. Ce qui est nouveau et ce qu’il veut nous faire comprendre en utilisant cette symbolique de la paternité ou de la maternité, c’est que Dieu est une  puissance, une énergie bénévole, bénéfique, une force  d’amour  qui est source d’être  et de vie, comme l’est un père et une mère. Tout ce qui existe est pour Jésus  le fruit, la manifestation  de cette paternité et de cette maternité divine. Tout ce qui existe est donc généré de cette paternité, est donc enfant, fils, produit, émanation, jaillissement  de cette Source. Pour Jésus  la paternité-maternité de Dieu  n’est  pas un attribut de sa divinité, c'est-à-dire quelque chose qu’il est par surcroit, mais Dieu est  père-mère de par sa nature. Donc de par sa nature il met dans l’existence, il crée, il donne la vie. De par sa nature Dieu est  explosion de vie, principe d’être. De par sa nature, Dieu est  puissance, énergie qui se répand, qui se donne, qui se manifeste et, en faisant cela il crée l’univers et il donne l’être. Et n’est-ce pas cela la caractéristique  typique de l’amour? Le père et la mère ne vivent-ils pas aussi dans le fruit de leur amour?  Les êtres qui naissent de cet amour ne sont-ils pas aussi une manifestation, une image de leurs parents? Ne portent-ils pas en eux la trace et la ressemblance de cet amour qui les a mis dans l’existence?  Le père et la mère seraient-ils tels s’ils n’avaient pas mis des enfants au monde? Pour Jésus, Dieu est Dieu parce qu’il est en même temps paternité, maternité, filiation, génération, source d’être, énergie d’amour, souffle, force de vie, esprit qui se répand, qui se manifeste et qui se donne. Être géniteur, père, mère, fils, énergie créatrice, énergie crée, souffle vital, vie insufflée, esprit….tout cela ne sont que des aspects, des facettes, des manifestations d’une unique Puissance qui est à l’œuvre pour donner consistance à l’univers et qui nous pénètre et nous envahit de toute part.

Évidemment la nature intime, l’essence profonde, l’en-soi de cette Puissance bénévole nous sont totalement inconnus et à jamais inconnaissables. Nous en déduisons l’existence que par les traces qu’elle laisse et par ses manifestions visibles et sensibles dans l’univers qui nous entoure. Sur cette Énergie et cette Puissance, nous n’avons aucun pouvoir, nous la partageons, nous en vivons, mais nous ne la possédons pas. C’est elle qui nous possède. Elle est en nous, elle agit en nous, elle nous constitue, mais elle ne vient pas de nous.   

 MB