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mercredi 23 octobre 2013

RÉFLEXIONS SUR LA PRIÈRE ET LA FOI


(Luc 18, 1-8)

Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus parle de la prière. Et il veut sans doute nous faire comprendre ce que signifie pour lui prier. Le texte de l'évangile semble nous dire que la prière n'est pas une tâche facile et que ceux qui veulent se lancer dans cette expérience, risquent de faire face à beaucoup de déceptions s’ils  n’ont pas une idée exacte de ce que signifie prier. La personne qui prie est un chercheur de Dieu; est  quelqu’un qui cherche à entrer en contact avec Dieu dans un monde où Dieu semble totalement absent. Celui qui prie est quelqu’un qui tente d'accéder à la source de la bonté, de la pureté, de l’innocence, de l'amour, de la compassion, dans un monde qui parait bâti à l’enseigne de la médiocrité, de la vulgarité, de la méchanceté, de l'égoïsme, de la haine, de  la violence. Celui  qui prie est comme un prisonnier qui cherche à atteindre la lumière pour échapper à  l’obscurité de son cachot. Celui qui prie est comme un asthmatique qui a besoin de respirer un air plus pur pour ne pas suffoquer dans la pollution qui l’entoure.

            Mais Jésus ici semble nous avertir que le priant sera inévitablement confronté au découragement et à la déception, surtout s’il transforme sa prière en une constante requête d’aide et de faveurs. En effet Dieu semble inaccessible, muet, absent. Dieu ne donne jamais le moindre signe de sa présence. C’est pour cela que celui qui, dans la prière, s’adresse à Dieu, doit le faire avec beaucoup de foi, c’est-à-dire avec obstination, avec insistance. Il ne doit pas se décourager s’il n’obtient  pas de réponse. Il doit croire qu'à la fin Dieu finira par donner signe de vie, si on lui demande ce qui est vraiment nécessaire à la construction d'un monde meilleur et au vrai bonheur de la personne qui prie. La veuve de la parabole sait qu'il ne lui sera pas aisé de franchir le mur de l'indifférence et de la méchanceté de ce juge duquel, cependant, elle attend la bonne action qui la rétablira dans son droit  et qui lui redonnera la paix et à la sérénité. Et c'est son insistance et sa persévérance à croire en la bonté de cet homme, en dépit de toutes les apparences, qui a fini par lui procurer l'accomplissement de sa prière.

Jésus semble donc vouloir nous dire qu'il est normal d'avoir parfois l'impression que Dieu ne nous écoute pas; qu’il prend son temps; qu’il se laisse désirer. Jésus veux que nous comprenions que Dieu est le tout autre et que, par conséquent, il n’est pas à notre portée. Jésus veut habituer son disciple à vivre, pour ainsi dire, sans Dieu, en croyant qu’il est là, mais en sachant aussi qu’Il nous laisse à nous-mêmes, comme des adultes capables de se débrouiller tous seuls et  auxquels il suffit de savoir que, quelque part, un Être qui les aime a placé  au plus profond de chacun d’eux un potentiel (humain et spirituel) largement suffisant pour faire face aux aléas de l’existence; et qu’ils n’ont donc aucune raison d’agir comme des enfant gâtés qui paniquent à chaque secousse et qui crient vers Dieu chaque fois qu’ils se trouvent dans le pétrin. Jésus veut que le disciple soit conscient que son destin consiste à marcher en adulte dans la vie, sans  trop compter sur Dieu pour régler ses problèmes; qu’il ne doit pas s’étonner si, la plupart du temps, Dieu parait absent, sourd à ses appels, indifférent à ses  besoins et à ses prières. Jésus veut que le disciple sache qu’il est normal de se sentir seul et abandonné. Cette solitude Jésus l’a expérimentée toute sa vie et même au moment où il aurait eu le plus besoin de sentir la proximité de son Dieu, il a été obligé de constater, dans un cri de douleur, que Dieu l’avait abandonné.

Dieu est Dieu, nous dit Jésus. Dieu est infiniment libre et indépendant. On ne peut pas prétendre pouvoir le manipuler ou l’utiliser à notre guise; le plier à notre volonté et en fonction de nos besoins. Cela est vrai autant pour les individus que pour les institutions. Aucune religion ni aucune autorité religieuse ne peut prétendre détenir le pouvoir de forcer Dieu à faire ce qu'elle veut  ou de l’obliger à se soumettre aux besoins et aux exigences de ses doctrines, de son culte et de ses rites. Combien de fois, comme église ou comme hommes d’Église, avons-nous osé demander à Dieu: «J'ai besoin que tu interviennes, j'ai besoin que tu fasses ce miracle, j'ai besoin qu’ici tu accordes ta grâce, j'ai besoin de ton action toute-puissante pour rendre crédible mes doctrines, mon organisation… parce que je suis le pape, parce que je suis un évêque, un prêtre et que j'ai le pouvoir d'exiger; parce que je suis le célébrant ordonné et que j’ai prononcé les paroles de la consécration; parce que je suis le confesseur et que j'ai donné l'absolution; parce que nous, les chrétiens, avons reçus les sacrements dans lesquels  tu es obligé, toi Dieu, de nous donner ta grâce, ton pardon, ton esprit, ta présence, ton salut éternel….».

Jésus nous enseigne que si Dieu semble être absent aux événements de notre vie et indifférent à notre sort, en réalité, les choses ne se passent pas ainsi. En fait, si notre foi en Dieu est authentique; si elle est comme la foi de Jésus, faite d’abandon et de confiance dans la sollicitude, la bonté et la tendresse de Dieu qu'il s’obstine à nous présenter comme un Père attentif et aimant, alors nous comprenons aussi que l’absence de Dieu et son apparente indifférence à notre égard ne sont finalement rien d’autre que la forme d'un amour extrêmement respectueux de notre dignité, de notre grandeur et de notre liberté. Nous comprendrons que l'accès à la salle de la présence de Dieu doit être ouvert avec la clef de la fidélité, de la persévérance et de la confiance. Car la foi est aussi cela: croire contre toute apparence, contre toute évidence, contre toute attente ; croire même lorsque rien ne semble plus être possible …

Grâce à la parabole d'aujourd'hui, Jésus nous dit: « Même dans l'obscurité, continue de regarder en avant. Tu verras qu’à la fin, la lumière apparaitra. Ne désespère jamais. Dieu qui est au début de ton existence,  sera aussi le Dieu de ta fin. Même si tu as toujours marché dans le noir; même si tu as le sentiment d’avoir toujours prié dans le vide et d’avoir parcouru en solitaire le voyage de la vie; même si tu as l’impression qu’aucun Dieu était là pour soutenir tes pas,… tu peux être assuré que lorsque tu arriveras au terme de ta vie, tu ne te précipiteras pas dans le vide, mais dans les bras d'un Être d'amour qui t’a accompagné à ton insu tout au long du chemin».


MB


lundi 7 octobre 2013

EST-IL ENCORE POSSIBLE DE CROIRE ?


( Luc 17, 5-10)


Luc dans ce texte de l’évangile présente les disciples de Jésus comme des hommes qui tout à coup se rendent compte de leur manque de foi et donc de leur incapacité à s’engager complètement à la suite du Maitre de Nazareth. Alors ils demandent à Jésus d'augmenter leur foi. Pourquoi demandent-ils à Jésus d’augmenter leur foi, et non pas, par exemple, d'accroître leur détachement des biens matériels, leur esprit de sacrifice, leur courage, leur détermination, leur engagement à la réalisation du projet de renouveau du Maitre, leur intelligence de sa parole et de son enseignement, etc.? C’est sans doute parce que, formés à l’école de Jésus, ce mot «foi» était lourd d’une valeur et d’un sens qui pour eux était fondamental, mais qui ensuite a été perdu. Jésus semble leur donner raison, lorsqu’il leur dit, qu’en effet, de foi ils n’en ont même pas le minimum indispensable; et que s’ils en avaient un tout petit peu plus, juste comme une petite graine de moutarde, ils pourraient réaliser l’impossible, faire des merveilles, opérer des miracles, comme déraciner un mûrier sur un simple ordre et le planter en haute mer. Un minimum de foi, leur dit Jésus, lorsqu’elle est authentique, suffit à mettre à la disposition du disciple la puissance de Dieu.

De quelle foi Jésus parle-t-il pour qu’elle soit si puissante? Certainement pas du genre de foi qu’on nous a transmise au catéchisme; ou de la foi qui est couramment exigée par le magistère officiel de l’église lorsqu’il demande aux fidèles d’être des croyants. Cette foi consiste dans une attitude intellectuelle qui pousse le croyant à accepter comme vraies des affirmations doctrinales élaborées par les spécialistes de la religion. Il s’agit habituellement de propositions catégoriques et abstraites concernant la nature de Dieu, Jésus-Christ, la Vierge Marie, l’au-delà, les sacrements, la fonction de l’Église et du pape, etc. Ici croire devient synonyme de conformité à une certaine vision du monde et de la réalité propre à l’Église catholique. Ici croire devient l’équivalent d’une adhésion à une certaine façon de concevoir et d’imaginer Dieu et ses relations avec le monde des humains. Cette façon de parler de Dieu et de raconter l’histoire de ses relations avec le monde des humains que l’église utilise encore aujourd’hui est d’autant plus indigeste pour la mentalité moderne  qu’elle se fonde sur une conception archaïque et primitive de la divinité où le mythe, la légende, le conte, l’imagination, l’anthropomorphisme, ont une part prépondérante, sinon exclusive. Il s’en suit que partager ce genre de foi devient une entreprise de plus en plus difficile, sinon impossible pour les gens de la modernité.

 Pour les croyants catholiques qui réussissent encore à garder la foi, celle-ci se résume finalement à considérer comme vrai tout ce que l’Église enseigne, même si souvent cela va à l’encontre du bon sens; même si cela blesse notre esprit critique et notre rationalité; même si bon nombre d’assertions dogmatiques sont manifestement insensées et irrecevables. 
Quelques exemples: 
- croire en Dieu et à ses anges qui habitent  là-haut, même si l’on sait que là-haut il n’y a aucun Dieu caché derrière les galaxies qui regarde en bas;
- croire que Dieu est venu sur terre incarné dans un homme qui a historiquement existé;
- croire qu’une femme a mis au monde un enfant avec le sperme de Dieu;
- croire que Jésus de Nazareth, après sa mort, est sorti vivant du tombeau avec son corps;
- croire que sa mère a été transportée au ciel corps et âme;
- croire que le pape est infaillible;
- croire que Dieu intervient avec des miracles pour permettre la canonisation des saints…

On dirait que dans son enseignement l’église encourage les chrétiens à penser que la plus grande preuve que Dieu exige d’eux au cours de leur vie consiste à croire en son existence; une existence toutefois qu’il occulte délibérément pour tester notre foi. Comme si Dieu prenait plaisir à jouer à cache-cache avec les humains, question de leur compliquer l’existence.

Beaucoup de fervents et pieux catholiques ne s’étonnent pas de cette difficulté moderne à croire aux assertions dogmatiques de l’Église. Ils pensent que le mérite de la foi consiste justement dans le fait de sa difficulté et dans le tour de force que nous devons imprimer à notre intelligence pour qu’elle accède à l’acceptation d’énoncés qui pourtant la paralysent. Au cours de son histoire, la spiritualité catholique, pour rendre plus acceptable à l’intelligence croyante l’ingestion de dogmes particulièrement indigestes, a inventé le principe du «mérite de la foi» que l’on pleut expliciter ainsi: plus un énoncé dogmatique est difficile à croire, plus le croyant a du mérite devant Dieu. Que l’on pourrait à peine caricaturer de la façon suivante: plus c’est absurde, mieux c’est pour ton salut. Comme si, sur la route qui doit nous conduire à Dieu, Celui qui nous a créés intelligents s’amusait à désavouer notre intelligence, juste pour nous rendre le chemin plus difficile.

Cette foi, que j’appellerais «ecclésiale» ou «catéchétique», n’est finalement qu’un exercice mental d’adhésion forcée à des données proposées et commandées par l’institution religieuse. Le but de cette foi n’est pas tellement d’affecter ou de changer (en mieux)  la personne, mais principalement celui de produire de l’homogénéité doctrinale au sein de l’Institution religieuse. Elle s’apparente plus à l’idéologie qu’à la foi, telle que Jésus la décrit dans son évangile. D’un point de vue humain, cette foi institutionnelle et «ecclésiastique» est presque totalement stérile. Elle ne transforme pas et ne grandit pas intérieurement le croyant. Tout ce qu’elle opère c’est de pousser le fidèle à se soumettre aux instances religieuses et à produire des observances, des pratiques, du culte et des rites. Elle n’a pratiquement aucun impact sur la vie des personnes et de la société. Elle ne contribue pas à améliorer le monde et l’humanité. Elle ne bâtit pas le «Royaume de Dieu » comme voulait le Prophète de Nazareth; elle n’est là que pour assurer la conservation de la structure religieuse, lorsqu’elle ne produit pas les fruits amers de la culpabilité, du dogmatisme, du fanatisme et de l’intolérance.

Jésus savait bien de quoi il parlait lorsqu’il disait que si le disciple avait juste une petite graine de vraie foi, il accomplirait des merveilles en lui et autour de lui. Il voyait le genre de foi qui animait les représentants de la religion officielle de son temps et il ne finissait pas de les critiquer
Il disait aux prêtres, aux scribes, aux pharisiens, grands religieux et grands pratiquants: «Votre foi, votre religiosité c’est de la foutaise. C’est du tape à l’œil. Vous êtes pires que les autres. Vous êtes des fonctionnaires sacrés et des sacrés fonctionnaires, qui utilisent la religion à leur avantage; pour vous hisser sur les autres, pour exploiter les autres, pour opprimer les autres. Vous êtes des hypocrites, des sépulcres blanchis. Vous pensez être croyants, mais vous n’avez pas une once de foi. Vous ne savez même pas ce que cela signifie que d’être des personnes animées par une foi».

La foi est une attitude du cœur. Elle est l’autre mot de l’amour. Elle surgit de l’attachement que vous ressentez pour une personne (Dieu) qui est entrée dans votre vie et  pour laquelle vous êtes prêts à vous perdre, à vous oublier, à tout laisser, pour mieux vous donner à elle et pour qu’elle puisse trouver plus facilement le chemin de votre cœur. La foi, c’est la confiance que vous ressentez envers la personne que vous aimez, car vous savez qu’elle vous aime à un point tel que tout ce qu’elle fera et entreprendra ne pourra être qu’en vue de votre bien et de votre bonheur. Alors vous êtes prêts à vous abandonner à elle, sans hésitations, sans limites. La foi  est ce bouquet qui se forme dans votre vie lorsque vous êtes capable de mettre ensemble les fleurs de la confiance, de l’admiration, de l’émerveillement et de l’amour. Cette foi, faite de confiance et d’abandon, est aussi certitude profonde que désormais cette personne est indispensable à votre bonheur et à la réussite de votre existence. La foi dont parle Jésus est cet événement intime, résultat d’une rencontre qui bouleverse et change une vie. Il n’y a pas de foi s’il n’y a pas de bouleversement et de transformation.

C’est cela que beaucoup de gens ont expérimenté au contact de Jésus:  une nouvelle vie, une nouvelle force, une nouvelle énergie, une guérison intérieure, une nouvelle liberté, une confiance absolue en un Amour qui subitement supprimait de leur vie toute angoisse et toute peur, en les établissant dans une grande paix et une inébranlable confiance. Ce genre de foi-confiance n’est pas une abstraction  intellectuelle, une affirmation doctrinale ou dogmatique à retenir, mais un événement au cœur de la personne, un phénomène intérieur d’une force incroyable qui prend  aux tripes et qui chavire et transforme de fond en comble l’existence. Lorsque Jésus parle de la foi, c’est de ce phénomène là qu’il parle: de la rencontre  de deux amours: de Jésus et son disciple; de  Dieu et l’homme.

 Alors, si toi chrétien, tu sais que tu es dans l’amour de Dieu et que Dieu est dans le tien ; si tu sais que tu es dans le cœur de Jésus et que Jésus est dans ton cœur ; si vos amours se confondent, vos esprits aussi s’unissent et s’identifient. Et si tu possèdes ce genre de foi, alors tu commenceras à sentir, à penser, à agir, à réagir d’une façon totalement différente. Tu assumeras le style et  le mode de vie de tes amours: tu agiras comme Dieu, tu répandras autour de toi «la bonne  odeur du Christ». Par ta foi et à cause de cette foi, tu deviendras lumière, ferment, sel, agent de renouvellement, de changement, de guérison, source de joie, de paix et de bonheur, instrument  béni de Dieu pour la construction d’un  monde meilleur.

Je regarde autour de moi et je pense que quelque chose ne va pas. Tant de chrétiens, tant de catholiques, tant d’institutions chrétiennes, mais combien de croyants ont vraiment ce genre de foi dont Jésus nous parle dans les Évangiles? Nous, les chrétiens  pratiquants, les prêtres et les religieux, les évêques, les cardinaux, le pape, avons-nous la foi? N’avons-nous pas plutôt une dépendance envers des traditions vétustes, des croyances bizarres, des dogmes incompréhensibles que nous nous obstinons à conserver tels quels, à défendre envers et contre tout, à proclamer comme vérités révélées par Dieu. Ne faisons-nous pas cela à l’Eucharistie de chaque dimanche, lorsque nous débitons par cœur ce long et compliqué «Credo», en pensant qu’il contient l’expression authentique  de notre foi, alors qu’il ne fait que la truquer et qu’il n’est que le triste témoin de chicanes théologiques obsolètes et stériles? 

Je regarde autour de moi et je vois toujours une église attachée à ses privilèges, qui côtoie et courtise les pouvoirs des grands de ce monde; qui continue à défendre avec intransigeance son statut d’unique et vraie religion  possédant  l’exclusivité de la Vérité et de la révélation de Dieu.

Je me tourne vers l'évangile et je relis  ces pages : « Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, Dieu sera ta richesse, et ensuite suis-moi » (Luc 18,22). «Les renards ont des tanières et les oiseaux ont des nids, mais cet homme n'a pas où reposer sa tête » (Luc 9,58). " Ne vous préoccupez pas  de ce  que vous mangerez, ni pour votre corps en pensant comment vous allez vous habiller » (Luc12, 22) . «Les rois des nations les dominent et ceux qui exercent le pouvoir sont appelés bienfaiteurs. Mais vous fuyez cela. Au contraire, que le plus grand parmi vous se fasse l’égal du plus petit. Et celui qui commande se considère le serviteur de tous » (Luc 22,25-26).

Pauvres, libres, sans sécurité matérielle, sans pouvoir, confiants en l’amour de Dieu qui les anime, tels sont  les disciples de Jésus de Nazareth. Seuls possèdent sa foi ceux et celles qui adhérent à ce style évangélique de vie. Sans leur foi, les disciples seraient des «serviteurs inutiles», car sans elle rien ne peut vraiment être changé ni dans leur vie ni dans le monde.


MB


mardi 1 octobre 2013

TROP D'ARGENT DÉSHUMANISE

LES PAUVRES QUI SONT A NOTRE PORTE
(Luc, 16, 19-31)


Un lecteur superficiel pourrait interpréter cette parabole comme si elle voulait tout simplement  enseigner que les riches vont en enfer et que les pauvres vont au paradis et qu’ainsi la justice divine est finalement rétablie. Interprétée de cette façon, la parabole serait une invitation adressée aux pauvres à endurer leur indigence et leurs malheurs en ce monde parce que, dans l’autre, ils auront un jour leur récompense. La parabole serait donc un appel aux pauvres à se résigner à leur sort, à accepter patiemment leur situation, puisqu’il est normal que dans ce monde il y ait des gens plus futés qui s’enrichissent  et des gens moins doués qui ne réussissent pas à sortir de leur indigence.

Je pense, cependant, que le sens de la parabole est beaucoup plus profond. Le Maître en racontant cette parabole n’a aucunement l’intention de cautionner la pauvreté et l’exploitation d’une grande partie des habitants de la terre par une minorité de riches et de puissants. Il veut, au contraire, nous faire comprendre ce qui va arriver à ceux qui, par commodité, par égoïsme ou par intérêt, vivent en faisant semblant de ne pas voir la laideur de la misère et de la souffrance qui frappent une grande partie du genre humain. Cet évangile, en effet, ne parle pas de l'au-delà, mais de l'ici-bas. Il dit ce qui va nous arriver dans cette vie si nous vivons comme des riches insensibles au respect de la terre et fermés aux besoins du  prochain.

La parabole présente deux personnages: le riche et le pauvre. L'homme riche a tout; le pauvre n’a rien. La seule chose que le pauvre possède c’est son nom. Le riche, par contre, n’a pas de nom. Chose symptomatique, dans l’évangile de Luc, les riches n’ont jamais de nom (12,13-21 ; 16:19-31 ; 18:18-23).Or, dans la Bible, le nom indique le destin ou la mission d'une personne. Il indique la nature de sa vie, les caractéristiques fondamentales de sa personnalité. Lazare s’appelle «Dieu aide» (El ‘azar) parce que tout au long de sa vie il aura besoin de quelqu'un pour l'aider. Il aura besoin que Dieu prenne soin de lui et le sauve  de sa condition de misère.

Le riche n’a  pas de nom, parce que lui, Dieu ne l'aide pas. Dieu ne l’aide pas tout simplement  parce qu’il ne ressent  pas le besoin d’être aidé. Il n’a besoin de personne. Il a l’argent. Il a tout. Il a déjà son dieu. L'homme riche n'a pas de nom pour signifier que, malgré sa richesse, il n'est rien, ni personne. Car tu es une personne lorsque tu es un être de relations ; lorsque les autres comptent pour toi et que tu comptes pour les autres; lorsque tu as besoin des autres pour construire ton  bonheur et que les autres ont besoin de toi  pour bâtir le leur. Tu es une personne quand tu vis en  harmonie avec le monde autour de toi  et quand tu vibres en syntonie et que tu communiques par l’esprit et surtout par le cœur sur les ondes de la compréhension, de l’attention, de l’intérêt, de l'empathie, de la sympathie, de la compassion, de l’admiration, de l'émerveillement, du désir d'aider, de partager, d'aimer. Tu n’es plus humain si tu vis déconnecté des autres ; si tu te recroquevilles sur toi-même; si tu ne t’intéresses qu’à toi et qu’au petit monde que tu as édifié en fonction de toi. En te coupant de tes frères humains, tu te sépares de la source de ton humanité. Tu deviendras alors inévitablement «inhumain» et par conséquent sourd et indifférent aux cris des pauvres et des malheureux  qui se pressent de toute part aux portes de ta maison.

            L'homme riche ne se rend  pas compte du Lazare à sa porte qui mendie son attention et qui crie sa détresse. C’est en cela que consiste le drame, la faute et la réprobation du riche: ne pas voir, ne pas remarquer. L'homme riche n'est pas condamné pour sa richesse, mais  pour son indifférence totale envers le pauvre Lazare. C'est fondamentalement sur ce point que la parabole veut attirer l’attention.

Vous remarquerez que dans la parabole, le riche n’est pas décrit comme un homme méchant. Il ne fait rien de mal; il n'insulte pas le pauvre; il ne le maltraite pas ; il n’est ni agressif, ni oppressif envers lui. Il ne le voit tout simplement pas. Cette indifférence est le gouffre qui sépare l'un de l'autre. C’est l'abîme infranchissable creusé par la superficialité et l'arrogance du riche jouisseur. C’est sur ce point que la parabole veut attire notre attention:
-       sur le minimalisme qui nous habite; sur  l'arrogance, le mépris et la suffisance qui nous gonflent jusqu'à faire disparaître les personnes qui nous entourent;
-       sur la superficialité qui nous rend vides et terriblement myopes;
-       sur l’angoisse de l’accumuler et de l’avoir qui finit par nous  appesantir  au point que nous ne faisons que ramper, alors que nous sommes faits pour voler
-       sur le trop avoir qui détruit la qualité de notre être (humain), jusqu’à  nous rendre parfois terriblement  inhumains.

Dans l'évangile, Jésus condamne le riche non pas parce qu'il était mauvais, mais parce qu'il n'a pas vu la souffrance de son prochain et ne l’a pas secouru. L'homme riche est condamné pour son aveuglement et son indifférence. Cela, dit l'Évangile, c'est ce qui arrivera à vous-aussi, si vous vivez sans voir Lazare à votre porte. Vivez comme ce riche, soyez  insensibles, ne vous laissez pas toucher par ceux qui réclament votre attention, votre compassion et votre soutien…et vous vous condamnerez à une vie humainement insignifiante, superficielle et inutile, qui aura déjà, dès maintenant, le goût de l’enfer.

Débarrassons-nous alors de la myopie et de la hâte qui nous tiennent en otage ; ne permettons pas aux choses de nous alourdir et de nous figer dans notre marche vers une meilleure humanité. Demandons à Dieu un cœur attentif  qui sache aimer avec passion et compassion. Un jour quelqu’un m’a dit « Celui qui aime beaucoup, voit beaucoup de pauvres; celui qui aime peu, voit peu de pauvres; celui qui n'aime pas, n’en voit aucun».


MB