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vendredi 29 mars 2013

La croix inhérente à notre condition humaine


La croix symbole de nos déchirements

Dans un livre de Françoise Dolto intitulé les évangiles au risque de la psychanalyse, elle dit que, selon elle, la croix représente nos tiraillements entre le haut et le bas pour l'axe vertical, c'est-à-dire entre nos aspiration et nos désirs qui nous élèvent et nos aspirations terrestres, nos pulsions et nos besoins, et entre la droite et la gauche pour l'axe horizontal, c'est-à-dire entre notre raison et notre cœur.

Cette image est tellement vraie. Que de souffrance dans nos vies lorsque nous nous trouvons dans des situations dans lesquelles nous sommes tiraillés, écartelés, déchirés par des élans contraires, par des choix impossibles à faire...quand le cœur nous dit quelque chose et notre raison ou notre conscience nous dit le contraire, quand nos élans spirituels nous poussent dans un sens et nos pulsions dans un autre.... Ce sont là les déchirements inhérents à notre condition humaine, car nous avons des aspirations profondes, élevées, nous sommes des êtres spirituels,  nous avons une conscience et une capacité de raisonnement, mais nous sommes également régis par un tas de pulsions et de besoins plus ou moins conscients. Tantôt nous pensons pouvoir toucher le ciel et l'instant d'après nous nous écrasons par terre....car nous sommes tous à la fois fils de Dieu et fils d'homme, nous portons tous cette dualité en nous, source de nos contradictions et de nos ambiguïtés.
Quand nous aspirons à être bons, à être justes, mais que dans la réalité nous nous rendons compte que jour pour jour nous commettons des injustices, que nous blessons d'autres personnes, même celles que nous aimons le plus....Quand nous sommes en quête de Vérité et que notre vie est remplie de mensonges.....Quand nous aimerions mettre notre vie au service de notre prochain, mais que les forces nous manquent.... Quand notre cœur nous pousse dans les bras de cet Amour si fort, et notre raison nous dit que c'est de la folie...Quand notre raison nous dit que nous devrions faire telle chose (p.ex. avorter), mais que dans notre coeur on souffre déjà rien que d'y penser... Faut-il écouter son cœur ou sa raison ? Bon choix, mauvais choix, quelle direction prendre? Les exemples sont multiples.

Hier je lisais une nouvelle d'Eric Emmanuel Schmitt dans laquelle il raconte l'histoire d'une femme qui vit un calvaire quotidien avec un mari épouvantable, vulgaire, fainéant, qui la trompe continuellement et ouvertement avec d'autres, et cette femme poussée à bout finit dans les bras d'un amant qui lui l'aime vraiment. Lorsqu'elle est sur le point de quitter son mari pour fuir avec son amant, le mari fait un AVC et se retrouve dans un état de perte d'autonomie et donc complètement dépendant des soins d'autrui. Eh bien, elle va finalement rester avec son mari pour prendre soin de lui. Quelle décision difficile à prendre, elle a dû renoncer à son bonheur avec son amour, à son désir si intense de recommencer enfin une nouvelle vie, une vraie vie, pour se dévouer entièrement à son mari ingrat...Mais n'a-t-elle pas tout de même pris la bonne décision ? Si elle avait suivi son cœur et qu'elle serait partie avec son amant, laissant là son mari souffrant, le père de ses enfants, elle n'aurait jamais eu la conscience tranquille, aurait-elle vraiment pu goûter pleinement la vie avec son amant, aurait-elle vraiment été heureuse?

Jésus a-t-il aussi connu ce genre de tiraillements ou de déchirements ? Oui sans aucun doute.  Nous savons qu'il a été tenté dans le désert et il s'agissait là justement d'un tiraillement entre ses élans spirituels, son ''obéissance'' à Dieu et à son plan et entre des attraits plus terrestres, comme l'utilisation de son pouvoir ou de Dieu pour des fins personnelles, pour son prestige personnel. Nous savons aussi que durant sa passion il a souffert: il a pleuré des larmes de sang, il a été désespéré (Mon Dieu pourquoi m'as tu abandonné) et il aurait voulu échapper à son supplice (Mon Dieu éloigne de moi ce calice, cependant que ta volonté soit faite et non la mienne). Donc, oui en tant qu'être humain lui aussi a connu des tiraillements et des souffrances.

Mais ce qui rend Jésus si spécial, c'est que malgré ses faiblesses, il a été de l'avant, il a réussi à les dépasser, car dans ses actions, dans son agir et dans son dire, il a su toujours faire passer en premier la volonté de Dieu. Ses aspirations divines ont toujours été finalement plus importantes que ses besoins personnels. Il n'a jamais perdu de vue, comme un horizon à atteindre, sa mission divine, son aspiration à quelque chose de plus grand que lui.

Jésus, tout comme nous, à la fois fils de Dieu et fils d'homme a aussi connu des tiraillements, mais chez lui le fils de Dieu a toujours pris le dessus.

En effet, Jésus a toujours été intègre, fidèle à sa Vérité profonde, à ce qu'il pensait être la volonté de Dieu, il n'a jamais fait de concessions, il n'a jamais été faux, il n'a jamais été contre ses convictions intimes, il affirmait ce qu'il avait à dire, peu importe les conséquences...et c'est ce qui l'a finalement conduit à la mort. Quand le mécontentement se fit grandissant autour de lui, il aurait pu calmer le jeu, tenter de tempérer un peu ses propos, afin de ne pas trop irriter les scribes, pharisiens et autres docteurs de la loi. Mais Jésus a choisi de continuer de dire ce qu'il avait à dire, la parole qui avait été semée en lui devait être dite, devait être propagée, répandue, afin qu'elle soit connue du plus grand nombre de personnes possibles. La bonne nouvelle que Dieu est son Père, que Dieu est notre père à tous et qu'il nous aime, la bonne nouvelle que nous sommes tous fils et filles de Dieu, le fait que l'amour de Dieu et du prochain est la clé qui permet de résoudre tous nos problèmes et le secret pour vivre une vie harmonieuse, le fait que cet amour passe même avant les lois, la bonne nouvelle que le règne de Dieu pourrait advenir sur cette terre si seulement nous y mettions un peu de bonne volonté, que cela dépend juste de nous en fin de compte...


Toutes ces bonnes nouvelles Jésus ne pouvait pas les garder égoïstement dans son cœur, il fallait les faire connaître et les dire. Il a voulu faire connaître son message au monde peu importe le prix à payer, car il savait que c'était Vrai. Il a décidé d'aller jusqu'au bout et en fin de compte sa mort l'a mené à la Vie éternelle. S'il avait tout abandonné pour vivre une vie normale, s'il avait fait des concessions avec les scribes et les pharisiens, il n'aurait peut-être pas été tué, crucifié sur une croix, mais il n'aurait pas atteint la résurrection, il n'aurait pas trouvé sa gloire en Dieu et sa bonne nouvelle qui était sa conviction la plus intime n'aurait jamais été aussi largement répandue, son message ne serait peut être pas parvenu jusqu'à nos jours. 


Parfois il faut traverser les ténèbres pour arriver à la lumière, parfois il faut sacrifier son bonheur immédiat pour atteindre un bonheur réel, parfois il faut choisir la mort pour atteindre la vie, parfois il faut s'oublier pour atteindre plus grand que soi, parfois il faut traverser la souffrance pour trouver la grâce de Dieu. C'est cela la lumière de Pâques.

Puissions nous aussi, à l'exemple de Jésus de Nazareth, nous laisser guider de la main de Dieu dans nos vies, c'est-à-dire de nous laisser guider par notre Vérité profonde, par les aspirations qui nous élèvent, par ce qu'il y a de bon en nous et devenir ainsi des personnes intègres.

Susanne Emery

Lavez-vous les pieds les uns les autres


LA GRANDEUR DE L’HOMME DANS LE SERVICE À L’HOMME
(Réflexion du Jeudi Saint)

Jésus, avant de quitter ce monde, a voulu faire comprendre à ses disciples, par un geste symbolique, quel est le sens  de sa mission et dans quelle direction ils doivent désormais orienter le cours de leur vie: le service, dans l’amour et la fraternité. L’évangéliste Jean attribue tellement d’importance à cette attitude qu’il oublie, pour ainsi dire, de nous transmettre le récit du pain et du vin partagés comme signe de sa présence permanente parmi nous. Car il sait que ce signe, même s’il est posé en sa mémoire et pour obéir à son désir, n’a aucune valeur, s’il n’est pas l’expression de notre volonté d’accueil et de service par laquelle nous continuons à rendre présent dans le monde son esprit. C’est cet esprit qui, à travers l’action de ses disciples, continue d’accueillir, de servir, de soulager, de secourir, de guérir, de libérer, de donner la vie et de sauver tous ceux et celles qui  plient ou s’écroulent sous les épreuves et les croix de la vie.

Pour Jean, le lavement des pieds est le geste qui rend possible la vérité de l’Eucharistie comme signe de ce corps unique que nous devons former en tant que disciples de Jésus-Christ. Pour que dans l’Eucharistie nous puissions en toute vérité nous approcher et nous nourrir du Corps du Christ, nous devons déjà former un seul corps en lui. Avant de poser le geste de la communion au corps du Seigneur, nous devons déjà être en communion les uns les autres. Le geste de notre communion au Corps du Seigneur serait un geste faux s’il n’est pas l’expression de notre communion fraternelle et de notre disponibilité à nous laver les pieds  les uns les  autres.

Ce geste du lavement des pieds est alors le sacrement, c’est-à dire le signe concret et  visible de ce qui constitue le trait  le plus caractéristique de la personne de Jésus, venu non pas pour être servi mais pour servir et donner sa vie  pour les autres.

Lorsque Jésus ne sera plus là, ses disciples devront se souvenir, en pensant à ce dernier geste du Maître, qu’eux aussi doivent être là comme ceux qui servent; et  que, tant qu’ils ne seront pas capables de réaliser cette attitude de service, ils ne pourront  pas vraiment  avoir  part avec lui. Ils devront se souvenir que, par ce geste, Jésus a aboli toute différence entre les humains, toute prétention de domination, toute revendication de supériorité, toute hiérarchie basée sur le pouvoir, toute distance entre les hommes déterminée ou justifiée  par le rang, l’ordre, le prestige, la position sociale ou religieuse. Personne n’a donc le droit de se hisser à un niveau supérieur, du moment que le Fils de Dieu lui-même, qui était le plus haut que tous, s’est abaissé pour se faire l’esclave de tous et qu’il s’est agenouillé devant nous pour nous laver les pieds.

Par ce geste accompli avant de déposer sa vie entre les mains de Dieu, Jésus a voulu faire comprendre à ses disciples où se trouve la véritable grandeur de l’homme : vous n’êtes pas grands, importants par ce que vous gagnez; par ce que vous possédez ; par le pouvoir que vous avez de vous faire obéir, de vous faire servir, de soumettre, opprimer, exploiter les autres… il n’y a aucune grandeur  dans cela!…. Au contraire  tout cela  finira un jour  par vous détruire et  vous disqualifier  en tant que personnes; …car cela finira un jour par vous rendre arrogants, insensibles, égoïstes, cruels, inhumains, en vous dépossédant de votre humanité, qui constitue votre seule et véritable grandeur.

 La  vraie grandeur de l’homme se trouve dans la direction opposée. Qui  veut sauver sa vie, doit la perdre, dans une disposition  de don de soi  et de partage  sans calcul et  être capable de se mettre à genoux, s’il le faut,  pour  mériter l’amour des autres.

            En nous transmettant cet épisode du lavement de pieds, l’évangéliste Jean a voulu nous faire comprendre que toute la vie du Maître de Nazareth a été un témoignage constant de l’inversion des valeurs qu’il a opérée et qu’il faut accepter et pratiquer pour pouvoir entrer comme disciples dans le mouvement spirituel qu’il inauguré. Si chaque année nous célébrons le lavement des pieds fait par Jésus, ce n’est pas simplement pour rappeler un épisode émouvant de sa vie, mais pour reconnaître dans ce geste l’expression sacramentelle de la seule façon possible d’être chrétien et d’être humain.

   MB

mardi 19 mars 2013

Regarder dans son propre coeur plutôt que juger les autres


LA FEMME ADULTÈRE

(Jean 8, 1-11)

C’est un des textes évangéliques qui m’a toujours profondément touché et interpellé. Habituellement, les commentateurs de ce récit cherchent à mettre en évidence surtout le péché de la femme et, par contraste, la capacité d’indulgence et de miséricorde de Jésus. Personnellement, je suis plus affecté par le gâchis humain et spirituel qui apparaît à travers le comportement des accusateurs. Les pharisiens et les scribes ne sont pas les personnes bornées, fanatiques, exécrables, hypocrites et cruelles que bien des commentateurs décrivent. Ce sont des scrupuleux exécutants de la loi mosaïque (la Torah). Ce sont des légalistes. Dans leur système religieux juif, ils cherchent à être les défenseurs, les serviteurs exemplaires de la Torah. Ils sont souvent de bonne foi. Ils se considèrent comme des gens bien et en règle; en un mot, ils sont les «purs» et les irréprochables du système.

S’ils cherchent à interroger Jésus à propos de la loi mosaïque sur la lapidation des adultères, c’est sans doute parce que, quelque part, ils sentent que cette loi est critiquable comme étant injuste, inhumaine et cruelle. D’ailleurs, chez les juifs, cette loi était rarement appliquée. Ils savent en effet qu’à côté du commandement « Ne commet pas l’adultère», il existe aussi le commandement «Tu aimeras ton prochain comme toi-même». Or le prochain c’est celui et celle que je croise sur mon chemin, que je rencontre par hasard; c’est le pauvre et le riche, le malade et le bien portant, celui qui m’est sympathique et celui que je déteste; celui qui est en règle avec la loi et celui qui ne l’est pas. Cette femme aussi est donc le prochain que je dois aimer et que pourtant la loi me permet de tuer. Comment s’y prendre? Comment réagir? Comment Jésus va résoudre ce cas de conscience? Voilà le dilemme auquel ces experts de la Loi veulent soumettre le Maître de Nazareth dans l’espoir de le surprendre en contradiction et d’avoir de bonnes raisons pour l’accuser comme contestataire, anarchiste et subversif.

De leur côté, ces mordus de la Torah ne pourraient jamais se permettre de suivre le penchant de leur cœur, de douter du bien fondé de la Loi et de penser finalement avec leur tête. Ce qui est dramatique chez ces pharisiens c’est qu’ils aient écarté la primauté du commandement de l’amour et que le parti pris, le préjugé, la peur, la protection du système, la satisfaite complaisance de leur honnêteté, aient pris le dessus dans leur vie et desséché la source de leur humanité et de leur sensibilité et transformé ces défenseurs de la légalité en des êtres aigris, malveillants, remplis d’aversion envers ceux et celles qu’ils considèrent dangereux pour le système, car différents, «transgresseurs» et donc «pécheurs». On dirait qu’une pensée personnelle leur est défendue. Leur vie et leurs actions sont définies et déterminées par la Loi. La Loi pense pour eux, décide pour eux. La Loi les dispense d’utiliser leur intelligence et leur liberté, car ils n’ont pas à discerner entre le bien et le mal, entre ce qui est permis et ce qui est défendu. La Loi est là pour faciliter leur vie; pour les préserver de faire des choix; pour leur éviter la dure tâche de devenir des personnes adultes et responsables. Et puisqu’ils sont les champions de l’observance et les gardiens de la Torah qui exprime la volonté de Dieu, ils se considèrent aussi en droit de juger et de lancer la pierre aux transgresseurs qui deviennent pour eux les coupables, les méchants, les pécheurs, les «maudits» de Dieu et que l’on doit écarter, exclure, condamner, punir parce qu'ils constituent une peste qui infecte la société du peuple élu de Dieu

À cause de la prétention de leur droiture et de leur pureté, ces «pharisiens» (comme leur nom l’indique, pharisien=séparé) sont en réalité ceux qui élèvent les murs et les barrières qui séparent les hommes. Ils sont dans la société humaine des facteurs de division, de discrimination, de conflits, d’inégalité. Car lorsqu’on juge, on divise, on sépare. Le juge d’un côté et le coupable de l’autre.

Les scribes et pharisiens de ce récit ne sont là, en effet, que pour juger. Ils veulent avant tout juger Jésus, celui qui, selon eux, est le non-conforme par excellence qu’il faut exclure, condamner et éliminer. Pour eux cette femme n’a ni nom, ni identité. Cette femme ne signifie rien pour eux, sinon un objet dont ils se servent et un simple prétexte pour arriver à leur fin. On dirait que leur légalisme, en desséchant leur âme, les a rendus incapables d’empathie, de compassion et de pitié. Cette femme, à cause de sa faute, n’est pour eux que la manifestation du péché sur laquelle ils croient pouvoir déverser impunément toute l’agressivité, la hargne, les frustrations accumulées au cours d’une vie de pulsions et de désirs refoulés. Elle ne mérite donc ni considération, ni attention ni aucun respect, elle représente la  transgression qu’il faut éliminer. Elle est donc là  pour être écrasée comme on écrase une vermine dégoûtante.

Ces zélateurs de la Loi ne veulent pas s’embarrasser avec les détails «insignifiants», les circonstances atténuantes, les raisons valables qui pourraient, sinon justifier, du moins expliquer la faute, tempérer l’accusation et modérer la condamnation. Personne ne s’est arrêté un instant à se demander pourquoi cette femme en est arrivée là. Peut-être que son mariage a été forcé? Peut-être que son mari était une brute qui la menaçait, qui la battait, qui la terrorisait, qui la trahissait avec une autre femme? Peut-être que dans un moment de désir et de faiblesse, cette jeune femme a succombé à son besoin d’amour, lorsque quelqu’un un peu plus gentil lui en a offert? Peut-être a-t-elle préféré vivre pleinement son désir, ne serait-ce que pendant un court instant, plutôt que de vivre comme une morte le reste de sa vie. Il peut y avoir mille raisons pour expliquer un acte non conforme de tendresse et d’amour. D’ailleurs où est-il son amant? Pourquoi n’est-il pas là pour la défendre, pour s’expliquer? Pourquoi n’est-il pas, lui aussi, parmi les accusés et les condamnés? La loi ne condamnait-elle pas au même châtiment les deux amants? Comment se fait-il qu’ici seule la femme subisse le châtiment ? Ces champions de la Loi ne sont-ils pas en train de commettre une injustice et d’aller contre la loi qu’ils cherchent à faire respecter ?

            Cette femme expérimente ici une solitude absolue. Elle vit l’horreur de se sentir complètement abandonnée et des hommes et de Dieu. Elle vit des moments terribles d’abandon, de terreur et de culpabilité. Elle se sent comme perdue dans un gouffre de cruauté et de méchanceté creusé par les mains de ces représentants de Dieu.

Et comme si la haine de ces hommes religieux n’était pas suffisante pour humilier la femme, c’est dans le temple de Jérusalem qu’ils la trainent devant Jésus, presque à signifier que Dieu est de leur côté et qu’il est tout à fait normal d’écrabouiller à coup de pierre une pécheresse en sa présence.

Et là, dans le temple, en présence de Dieu, ces hommes de la Loi et de Dieu, demandent à Jésus de juger à son tour la femme adultère. Mais Jésus ne jugera pas. C’est contraire à sa nature et au contenu de tout son enseignement.

Jésus est ici tellement survolté et dégoûte par l’attitude méchante et hypocrite des pharisiens et des scribes que, pour ne pas exploser de rage et d’indignation, il s’invente un exercice de relaxation: il se penche et fait du dessin sur le sol, question de gagner du temps et de récupérer le calme et la maîtrise de soi.

Jésus est ici la seule personne qui est du côté de la femme. Il est la seule personne qui brise son immense solitude. Il est la seule présence amicale qui éprouve pour elle de l’affection et de la tendresse. Il est aussi le seul capable de saisir l’horrible drame qui se déroule dans le cœur autant des accusateurs que de l’accusée et il est incapable de juger et de condamner autant les uns que l’autre. Il ne veut renfermer personne ni dans sa méchanceté ni dans sa culpabilité.

C’est pour cela qu’au lieu de s’en prendre à l’aveuglement des scribes et des pharisiens, Jésus les oblige à se regarder dans le cœur; à réfléchir sur la qualité de leur vie. Il fait appel à leur vérité profonde. Il les renvoie à eux-mêmes, à leur jugement, à leur discernement, à leurs responsabilités; il les oblige à faire un examen de conscience et à agir en conséquence: «Que celui qui est sans péché lance la première pierre!». Il ne juge pas, mais il invite les autres à se juger eux-mêmes

Ainsi, après avoir répandu par terre l’immense amertume qui avait envahi son cœur, Jésus se lève et, regardant dans les yeux la femme qu’il a sauvé de la honte et de la mort, il lui parle, il entre en relation et en communion avec elle. Jésus aime cette femme comme elle est: avec ses pauvretés, ses limites, son péché. Il ne la réduit pas à l'acte qu'elle a commis. Il représente en effet le cœur de Dieu: sa compréhension, sa tolérance, sa bienveillance, sa miséricorde et son amour qui se répand comme un fleuve sur les bons et les moins bons et qui veut donner à tous la chance de se raviser, de se transformer en quelque chose de meilleur.

Jésus reconnait cette femme comme une personne. Il l’appelle «Madame». Il la rétablit dans la dignité que ses bourreaux lui avaient enlevée. Il lui montre la route à poursuivre: "Va et désormais, ne pèche plus!" Jésus est confiant; il regarde la femme comme on regarde une espérance, une promesse de vie et de lumière. Rendue à elle-même; reconnue dans sa faiblesse, mais aussi dans la merveilleuse richesse de son monde intérieur, elle sera maintenant apte à affronter à nouveau la vie, non plus comme une coupable ou comme une perdante, mais comme quelqu’un qui a été ressuscité et qui est prêt à se battre et à lutter pour que plus personne ne lui enlève la beauté, la dignité et la valeur d’une vie qu’elle a reçue une deuxième fois des mains de Dieu.   

MB

lundi 11 mars 2013

Père et fils prodigues


Tout ce chapitre 15 de Luc est une réponse de Jésus aux pharisiens et aux scribes qui lui reprochent d'être constamment entouré de pécheurs et de collecteurs d'impôts qui viennent l'écouter et, pire encore, de leur faire bon accueil et même de manger avec eux. Alors Jésus raconte plusieurs paraboles pour tenter de leur faire comprendre la raison de son attitude : tout d'abord la parabole de la brebis égarée et retrouvée, puis la pièce de monnaie retrouvée et enfin celle qui nous intéresse aujourd'hui du fils retrouvé. Toutes ont pour même thème la joie de retrouver ce qui était perdu, plus particulièrement elles expriment la joie provoquée par la conversion d'un pécheur, la morale catholique parlerait d'un pécheur qui est rentré dans le droit chemin.

Quand nous lisons ces paraboles avec notre logique humaine, il faut avouer que nous sommes interpellés par le comportement du berger ou du père, cela nous dérange un peu, nous heurte quelque part, cette idée du berger qui est prêt à laisser ses 99 brebis pour aller chercher celle qui s'est égarée, et ce père qui fait une grande fête pour ce fils ingrat qui a tout dilapidé. Au fond nous comprenons un peu la réaction du fils aîné, celui qui est resté bien sagement avec son père, qui se met en colère, qui est jaloux de l'accueil chaleureux que son père fait au retour du fils cadet qui s'est pourtant mal conduit. Est-ce que ce n'est pas un peu injuste quand même ?, se demande la personne bien pensante.
Mais l'Amour de Dieu ne suit pas la même logique que la nôtre, car l'Amour de Dieu dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, il est bien au-delà de nos mesquineries, de nos jalousies, de nos étroitesses de cœur et d'esprit... C'est un Amour infini qui se répand, qui se donne, sans aucune limite, contrainte ou condition, qui n'attend rien en retour.... c'est un Amour provenant d'un cœur dilaté à l'infini... C'est un Amour qui est diffusé, qui est donné à chacun et à chacune d'entre nous, peu importe ce que nous sommes ou avons fait.

Autant le fils est prodigue car il dépense son argent follement, sans compter, autant le père est prodigue lui aussi, mais dans sa manière de donner son amour, sans mesure.

Cette parabole peut donner l'impression que le père préfère le fils perdu et retrouvé à l'autre qui est resté avec lui, qu'il lui manifeste plus d'amour, de même on pourrait avoir le sentiment que le berger préfère la brebis perdue vu qu'il est prêt à abandonner les 99 autres pour aller la chercher. Mais ce n'est pas une question de préférence, puisque l'amour de Dieu est donné sans limite, de manière égale à tous, c'est seulement l'expression de sa joie folle de retrouver un enfant perdu.

La brebis égarée aurait pu rester dans la sécurité du troupeau comme les autre et le fils prodigue aurait pu, comme son frère, ne jamais quitter la chaleur et le confort du foyer parental, bien à l'abri de tout, de la souffrance et des tentations. Mais ils ont décidé de partir à l'inconnu, de vivre leur propre destin, de prendre des risques, de découvrir de nouvelles choses, ils ont suivi leurs désirs, ils se sont trompés, ils sont tombés, ils se sont relevés, ils se sont perdus, ils ont eu peur, ils ont été désespérés, ils ont pleuré, mais ils ont aussi vécu, fait des rencontres, des découvertes, ils ont appris de leurs erreurs, ils ont ri, ils ont fait la fête, ils ont aimé.... N'est-ce pas là simplement une représentation de la vie, la vraie ? Personne ne peut vivre vraiment, vivre pleinement s'il reste toute sa vie fondu dans la masse ou s'il ne parvient pas à se détacher et à se démarquer de ses géniteurs. Peut-on réellement passer une vie sans prendre de risques, sans faire d'erreurs ? Chacun doit faire des choix, trouver sa voie, son identité, son propre chemin pour chercher à s'accomplir et peut-être trouver le bonheur, mais ceci n'est possible qu'au prix de risques, d'essais et d'erreurs et de souffrances aussi.

Notre fils prodigue quant à lui a fini par tout perdre dans sa quête de liberté, il s'est pas mal fourvoyé. Mais c'est justement lui, plutôt qu'un autre pour lequel le chemin vers le bonheur aurait été sans trop d'embûches, qui a besoin d'aide. 

La brebis perdue seule dans le désert, loin de son troupeau qui a faim et soif, qui est perdue, qui ne sait plus où aller, qui erre dans le néant... Le fils prodigue qui loin de chez lui se rend compte qu'il a fait des erreurs, qu'il a tout perdu, qu'il n'a plus rien à manger... Ils commencent à ressentir le mal du pays, c'est a dire qu'ils ressentent le désir de retrouver leur chez soi, leur berger, leur bon Père, leur sécurité, leur source, mais ils ne savent pas comment...

Ce sont eux, dans ces moments là, qui ont le plus besoin d'être rassurés, plus que ceux qui sont restés bien au chaud dans le confort de leur troupeau ou de la maison familiale qui, déjà bien avec eux-mêmes, contents d'eux-mêmes, ne manquent de rien et se savent aimés de Dieu... 
Ce sont eux qui ont besoin de réconfort, qui ont besoin d'un signe, de quelqu'un ou de quelque chose qui leur montre que Dieu les aime quand même, malgré tout ce qu'ils ont à se reprocher... Ce sont eux qui ont le plus besoin de sentir la présence de l'Amour de Dieu, car seuls ils ne sont plus capables de la voir, de la sentir...
Ce sont eux qui ont besoin de croiser sur leur chemin une personne comme Jésus qui va leur affirmer que chacun est un trésor pour Dieu, qu'ils sont tous enfants de Dieu, qu'ils sont foncièrement et fondamentalement acceptés par un Dieu père qui les aime, même s'ils ont commis des erreurs et peu importe leurs égarements. Ils ont grand besoin de trouver sur leur route quelqu'un qui les rassure quant a leur valeur et à leur dignité perdue.

C'est cela le message que Jésus a travers ces paraboles tente de faire comprendre aux pharisiens et la raison pour laquelle il se tient tout le temps avec des ''pécheurs''.

Qui sait peut-être que le fils prodigue, dans son moment de découragement, a eu la chance de rencontrer un Jésus, une personne capable de l'aider à se relever, et a reprendre courage pour reprendre sa route. Quoi qu'il en soit, ce fils a en effet, après une prise de conscience de ses erreurs (''rentrant alors en lui même ''), été capable de se relever, de dépasser son sentiment de culpabilité ou sa honte, et de prendre la décision de revenir chez son père  ('' je vais aller chez mon père et je lui dirai j'ai péché envers toi et le ciel''). Au lieu de rester là anéanti par la honte de son échec, il a trouvé la force de se redresser, d'accepter et de laisser derrière lui ses erreurs passées, et de reprendre sa route pour aller se jeter dans les bras de son père. Il a eu suffisamment de confiance en l'amour et le pardon de son père et suffisamment d'humilité pour revenir à son père pour tout lui avouer et lui demander sincèrement pardon ("père j'ai péché contre toi et le ciel").

Et c' est pour cette raison que le père est fou de joie de retrouver son fils. Car en bon père il connait le cœur de son fils, il sait sa souffrance et ses égarements, il sait que la culpabilité paralyse, qu'elle est comme une mort, mais son fils a appris de ses erreurs et il a changé, il s'est relevé et il a été pardonné, c'est à dire qu'il est à nouveau bien avec lui-même et avec Dieu. Le voici revenu au sein de l'amour de son père, le flux d'amour entre lui et son père a été restauré et le père en est tellement heureux  ("il fallait festoyer et se réjouir car ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé'').

En fin de compte, ce qui compte vraiment c'est que nous apprenions de nos erreurs et qu'elles nous aident à grandir, à nous améliorer, plutôt qu'à nous rabaisser, et que notre cheminement, au travers de nos égarement plus ou moins importants, finisse toujours par nous ramener au sein de l'amour de Dieu.

Dans nos égarements, nous nous éloignons de Dieu, nous nous coupons de notre Source, de notre vrai moi, notre âme est meurtrie et nous en souffrons, nous sommes en quelque sorte les premières victimes de nos propres fautes, mais n'oublions jamais que Dieu Lui durant tout ce temps est toujours là, son Amour pour nous est toujours là, comme le berger et le bon père, il nous cherche et il ne fait qu'attendre notre retour. Tout ce que nous avons à faire c'est d'avoir suffisamment confiance en Lui pour aller nous jeter dans ses bras.

Susanne Emery

LE CONCLAVE, UN ANACHRONISME  ANTIÉVANGÉLIQUE

( Par Jean-Paul Richards)


La forme actuelle du Conclave est non seulement anachronique, mais antiévangélique. Voyons pourquoi.

Il est anachronique, d'une part parce qu'il vient du Moyen Age (presque millénaire), mais surtout parce qu'il ne respecte pas les conditions minimales de ce que devrait être aujourd'hui une élection dans les hautes sphères d'une institution religieuse d’importance mondiale. Étant donné que le «monarque» de l'Église Catholique est un célibataire et qu’il n’a pas d’enfants comme héritiers naturels, une procédure qui correspond tout à fait à une «monarchie héréditaire» est précisément celle-ci: que le monarque désigne personnellement ceux qui vont élire son successeur ; qu’il produise des clones de lui-même, afin que ceux-ci puissent  perpétuer sa « structure génétique» et être des copies conformes du monarque. L’Église Catholique est ainsi la dernière monarchie absolue, directement issue de l'Ancien Régime et du Moyen Age, qui est un otage volontaire des institutions qu’elle a elle-même créées dans le but de préserver son pouvoir et qui présente, dans l’autoritarisme élitiste du Conclave, un de ses anachronismes les plus frappants et un des obstacles les plus efficaces à son renouvellement.

Mais le caractère anachronique, révolu et périmé du conclave n’est pas ce qu’il y a de pire dans cette façon d’élire le pape. C’est tout le processus de l’élection du pontife suprême tel qu’il a été fixé pas les derniers papes qui est antiévangélique et entaché, dans son ensemble, de vices graves, à savoir:

- Sexisme: de fait - pas de droit ! – Ceux qui participent au conclave sont exclusivement des hommes. Même en laissant de côté la question de la possibilité de la prêtrise pour les femmes, il est évident et reconnu que, canoniquement, les femmes peuvent être "électrices" du pape, comme peut l’être n’importe quel chrétien ordonné ou pas. Cependant, la procédure actuelle du Conclave telle qu’elle a été dernièrement reformée et réglementée par les derniers papes (surtout Jean-Paul II) proclame haut et fort la marginalisation des femmes et perpétue leur exclusion des instances du pouvoir clérical, même là où il n’y a aucun empêchement canonique, mais seulement un parti pris sexiste et idéologique;

- Cléricalisme: tous les membres du conclave sont, de fait, des membres mâles du clergé, des fonctionnaires et des dignitaires qui on atteint le sommet de l’échelle du système hiérarchique et bureaucratique de l’Institution ecclésiale. Le conclave continue de montrer et de perpétuer l'Église Catholique comme une structure cléricale, comme une théocratie sacerdotale, et comme une société duale de clercs et des laïcs laquelle  marginalise systématiquement  et  catégoriquement ces derniers, surtout s’ils sont de sexe féminin;

- Gérontocratie: à cause de l'âge moyen remarquablement élevé des membres de droit au conclaves et, indirectement, à cause du caractère éminemment honorifique, courtisan, pragmatique et politique des critères à la base de la nomination des cardinaux;

- L'absence de représentation: les membres du conclave ne sont les représentants de personne. Ils ne représentent qu’eux-mêmes et l’autorité qui les a créés. Dans le conclave aucune représentativité organique et formelle des Églises locales, des Conférences épiscopales, ou des régions ou des continents. Aucune représentativité non plus des différentes  théologies, des différents courants de pensée et des mouvements de  contestation au sein du peuple chrétien. Aucune représentativité des revendications des femmes et des mouvements qui luttent pour l’égalité des sexes, et légalité et la reconnaissance des droits religieux des  minorités homophiles. Dans un monde moderne structuré par la démocratie, le conclave en est la négation la plus totale.

- Cooptation: les électeurs sont choisis par la personne à être remplacée, sans aucun autre critère que le sien personnel et sans être contrebalancée par l'approbation d’une autre instance (séparation des pouvoirs), et  selon un règlement que la personnes à être remplacée dicte et  réforme librement. Il est donc normal  que seulement  l'idéologie dominante et officielle soit celle qui continue à être présente et à influencer les choix et les décisions du collège des cardinaux, sans qu’il  y ait la possibilité d’une vision différente ou d’un  point de vue différent et alternatif, et sans même la plus petite présence d’une saine et indispensable «opposition» ...

La procédure du conclave n'est pas un dogme de foi, c’est une simple décision ecclésiastique et elle  peut être abandonnée à tout moment. N’importe quel chrétien peut la considérer obsolète, voire dangereuse, selon son jugement et  en toute liberté. Le conclave, institution antiévangélique qui marginalise totalement les femmes, les laïcs, ceux qui n’ont pas de  pouvoir, ceux qui pensent différemment, et tout cela par voie de pouvoir absolu, autoritaire et sans appel ... n’est donc pas compatible aujourd'hui avec l'Évangile. Si Jésus entrait dans la Chapelle Sixtine, il renverserait à nouveau les tables et les sièges des cardinaux électeurs. Toute théologie qui prétendrait justifier les procédures actuelles du conclave devrait être rejetée comme idéologique, en vertu de ce critère évangélique: «un arbre qui porte des fruits mauvais, ne peut pas être bon."

Jean-Paul II, qui a renouvelé en 1996 une législation du conclave en le confirmant dans ses lacunes séculaires, était poussé à cela par «la peur d’ouvrir les portes» aux  femmes, aux laïcs, aux églises locales, à la participation du peuple de Dieu et donc, finalement,  à la volonté de Jésus. Si nous continuons à tenir des conclaves qui se déroulent avec des portes aussi  fermées, nous continuerons probablement à élire des papes   qui auront beaucoup de difficultés à ouvrir des portes en d’autres domaines et à d’autres niveaux.

Si le Peuple de Dieu  prend conscience de ces vices capitaux inhérents au système actuel d’élection du pape et de l'urgence d'y remédier, il sera peut-être plus facile dans le futur d’abandonner cet anachronisme antiévangélique qui nous vient du passé, pour le bien de l'Église et de la papauté elle-même.

Dans le contexte immédiat de la renonciation de Benoît XVI, il est irréaliste de penser que la procédure actuelle du conclave puisse être contournée; procédure qui vient précisément d’être reconfirmée  par les dernières normatives de ce pape.

Mais il est important que les cardinaux  «électeurs» sachent qu'ils sont en train d’utiliser une méthode d’élection qui est  rejetée par le sensus fidelium d'un nombre incalculable de chrétiens et de chrétiennes dans le monde entier et par toutes les sociétés qui ont déjà tourné le dos aux structures monarchique-autoritaires, sexistes, machistes, cléricales, gérontocratiques et non-participatives, comme sont celles qui structurent le Conclave actuel .


( Article traduit de l’espagnol par Bruno Mori)