(Jean 4, 5-42)
L’évangile de
Jean est l’évangile de l’idéalisation et de la transfiguration de Jésus opérées par la foi chrétienne. Il est l’apothéose chrétienne de Jésus réalisée par
la foi émerveillée et contemplative de
ce disciple qui écrit à la fin du premier
siècle. Tout ce que Jean dit et décrit
dans son évangile n’a d’autre but que de mettre en relief la proximité et
l’intimité extraordinaire avec lesquelles l’homme de Nazareth a vécu sa relation
avec Dieu. Pour Jean, dans cette intimité, Dieu a comme déversé en Jésus une
partie de sa nature en conférant à la personnalité et à l’action du Maître des
traits et des caractéristiques presque divines. Pour Jean, Jésus est alors le plus
beau cadeau que Dieu pouvait donner à
l’humanité. Jésus est celui en qui Dieu
s’est pleinement manifesté à l’homme. Il
est son expression la plus parfaite. Il est la «Parole» à travers laquelle il se dit,
il se révèle et se fait connaitre.
Jésus est le visage humain de Dieu.
Jésus est plein de Dieu. Il vit en Dieu. Il vit de Dieu. Dieu et lui ne font
qu’une seule chose. Qui regarde Jésus, regarde Dieu. Qui écoute Jésus, écoute
Dieu. Qui connait et fréquente Jésus, connait et fréquente Dieu, vit avec Dieu.
Qui pense comme lui, pense à la manière de Dieu. Qui aime comme lui, aime à la
manière de Dieu. Qui possède son esprit, possède l’esprit de Dieu. Qui se fait
conduire par son enseignement, marche sur la route qui mène à Dieu. Qui se
laisse éclairer par la vérité contenue dans ses paroles, entre dans la lumière
de Dieu, passe d’un état d’obscurité à un état de lumière, il devient fils de
la lumière et donc fils de Dieu. Qui cherche à se nourrir de Jésus, mange une
nourriture divine, un pain que vient de Dieu et qui donne une qualité extraordinaire
à la vie de l’homme. C’est pour cela que pour Jean, Jésus est la parole, la lumière,
le chemin, le pain de vie, le fils de l’homme que Dieu a pour ainsi dire généré en devenant Fils de Dieu.
L’épisode de
la rencontre de Jésus avec la femme de Samarie au puits de Jacob se situe
exactement dans la ligne de cette pensée de l‘évangéliste. Ce récit n’a
probablement rien d’historique. Il est une composition théologique de Jean qui
a comme but de présenter Jésus comme le don
de Dieu offert à cette femme égarée dans les méandres d’une vie
désastreuse, terne et désaxée.« Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais
celui que te parle, c’est toi qui lui aurais demandé à boire et il t’aurait donné de l’eau vive …».
Le don de Dieu c’est Jésus lui-même. Le don de Dieu c’est le connaître. Et si l‘on
donne au verbe «connaître» tout le sens qu’il a dans la Bible , alors on doit en déduire que Jésus est don de Dieu
dans la mesure où nous sommes capables, à travers lui et grâce à lui, de vivre
un rapport d’intimité, de tendresse et d’amour
profond avec Dieu. Cette femme désemparée, divisée en elle-même, cette
femme à la vie louche et désordonnée, qui cherche désespérément le bonheur sans le
trouver; qui cherche l’amour vrai sans jamais le rencontrer (elle a eu cinq maris); cette femme
frustrée, peureuse, méfiante, est pour Jean la
figure de tout ceux et celles qui, au midi de leur vie, lorsque la
chaleur du jour est plus accablante et la soif la plus intense, s’en vont au puits
des leurs futiles bonheurs y puiser l’eau
qui pourra les désaltérer et combler leurs vides et leurs insatisfactions. Jean
veut nous dire que si malgré nos idées arrêtées d’émancipation et
d’indépendance, nos préjugés de supériorité, nos convictions de suffisance, si
au puits de nos soifs brûlantes et de nos désirs inassouvis nous avons la chance de rencontrer le Seigneur et nous
lui permettons qu’il nous adresse la
parole et que le dialogue s’établisse, alors, il se pourrait que nous recevions
le don de Dieu et que notre existence
desséchée et stérile reprenne soudainement à fleurir et à reverdir comme les
savanes et les plaines du Serengeti à la saisons des pluies. Le don de Dieu consiste précisément dans le
fait de recevoir Dieu en don. Telle
est, selon Jean, la fonction que Jésus s’est donnée: faire découvrir la présence de Dieu dans l’être et la vie de
chaque personne. Pour Jean, Jésus est celui qui nous révèle Dieu de l’abondance
de son expérience et qui nous fait toucher de la main les effets de cette
divine présence dans la qualité humaine de son existence.
A la samaritaine
Jésus dit: «Dieu n’est ni dans le temple juif de Jérusalem, ni dans votre sanctuaire
du mont Garizim.». Ce qui signifie que la
rencontre avec Dieu ne sa fait ni dans la religion de juifs, ni dans la religion
des samaritains, ni dans aucune autre religion. Aucune religion ne peut prétendre détenir la clef qui ouvre la
porte qui mène à Dieu. Aucune religion peut revendiquer détenir l’exclusivité
ou le monopole des moyens qui mettent en communication avec la divinité. Dieu échappe
à toute religion. Dieu n’est pas dans les religions, dans les rites, dans les
cultes, dans les sacrifices. Dieu n’est pas religieux. Dieu n’est ni juif, ni
chrétien, ni musulman, ni rien. Dieu est Dieu. Et Jean nous dit que Dieu est l’Amour. Et que c’est seulement là où
il y a de l’amour qu'il y a Dieu et que l’on trouve Dieu. Et puisque seulement le cœur
de l’homme est capable d’Amour, voilà que, d’après Jean, seulement dans le cœur
de l’homme Dieu a établi sa demeure; et c’est là seulement qu’on peut désormais
le rencontrer. C’est pourquoi il fera dire à Jésus que les vrais adorateurs et
les vrais chercheurs de Dieu n’iront ni sur la montagne de Garizim ni à
Jérusalem pour l’adorer. Ils adoreront Dieu «en
esprit et vérité». C’est-à-dire, ils descendront en eux-mêmes, dans les
profondeurs de leur esprit, au cœur de leur personne, où se trouve la vérité la
plus authentique de leur être. Là ils rencontreront Dieu. Là ils découvriront que
la présence du Dieu d’amour a fait jaillir une source qui ne demande qu’à
couler et à inonder toute leur existence. Cette source en eux fera en sorte que
tous ceux et celles qui iront s’y abreuver trouvent un apaisement à leurs manques et un
peu plus de bonheur dans leur vie. Ou, pour dire cela avec les mots de Jésus: «Celui qui boira de cette eau que moi je lui
donnerai n’aura plus jamais soif; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui
source jaillissante pour la vie éternelle».
Selon l’évangéliste,
la femme de Samarie semble avoir pleinement compris ce message. Du coup elle
abandonne au puits sa cruche, son fardeau, sa besogne, sa soif et de «puisante»
elle devient source pour ceux de son peuple à qui elle va annoncer la découverte
émerveillée d’un Dieu-Amour en elle capable de la transformer et de sauver le
monde.
BM