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mardi 25 mars 2014

La samaritaine au puits de Jacob ou la femme qui cherchait à aimer


(Jean 4, 5-42)


L’évangile de Jean est l’évangile de l’idéalisation et de la transfiguration de Jésus opérées par la foi chrétienne. Il est l’apothéose chrétienne de Jésus réalisée par la foi émerveillée et contemplative de ce disciple qui écrit à la fin du premier siècle. Tout ce que Jean dit et décrit dans son évangile n’a d’autre but que de mettre en relief la proximité et l’intimité extraordinaire avec lesquelles l’homme de Nazareth a vécu sa relation avec Dieu. Pour Jean, dans cette intimité, Dieu a comme déversé en Jésus une partie de sa nature en conférant à la personnalité et à l’action du Maître des traits et des caractéristiques presque divines. Pour Jean, Jésus est alors le plus  beau cadeau que Dieu pouvait donner à l’humanité.  Jésus est celui en qui Dieu s’est pleinement manifesté à l’homme. Il est son expression la plus parfaite. Il est la «Parole» à travers laquelle il  se dit,  il se révèle et  se fait connaitre. Jésus est  le visage humain de Dieu. Jésus est plein de Dieu. Il vit en Dieu. Il vit de Dieu. Dieu et lui ne font qu’une seule chose. Qui regarde Jésus, regarde Dieu. Qui écoute Jésus, écoute Dieu. Qui connait et fréquente Jésus, connait et fréquente Dieu, vit avec Dieu. Qui pense comme lui, pense à la manière de Dieu. Qui aime comme lui, aime à la manière de Dieu. Qui possède son esprit, possède l’esprit de Dieu. Qui se fait conduire par son enseignement, marche sur la route qui mène à Dieu. Qui se laisse éclairer par la vérité contenue dans ses paroles, entre dans la lumière de Dieu, passe d’un état d’obscurité à un état de lumière, il devient fils de la lumière et donc fils de Dieu. Qui cherche à se nourrir de Jésus, mange une nourriture divine, un pain que vient de Dieu et qui donne une qualité extraordinaire à la vie de l’homme. C’est pour cela que pour Jean, Jésus est la parole, la lumière, le chemin, le pain de vie, le fils de l’homme que Dieu a  pour ainsi dire généré en devenant  Fils de Dieu.

L’épisode de la rencontre de Jésus avec la femme de Samarie au puits de Jacob se situe exactement dans la ligne de cette pensée de l‘évangéliste. Ce récit n’a probablement rien d’historique. Il est une composition théologique de Jean qui a comme but de présenter Jésus comme le don de Dieu offert à cette femme égarée dans les méandres d’une vie désastreuse, terne et désaxée.« Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui que te parle, c’est toi qui lui aurais demandé à boire et il t’aurait donné de l’eau vive …». Le don de Dieu c’est Jésus lui-même. Le don de Dieu c’est le connaître. Et si l‘on donne au verbe «connaître» tout le sens qu’il a dans la Bible, alors on doit en déduire que Jésus est don de Dieu dans la mesure où nous sommes capables, à travers lui et grâce à lui, de vivre un rapport d’intimité, de tendresse et d’amour  profond avec Dieu. Cette femme désemparée, divisée en elle-même, cette femme à la vie louche et désordonnée, qui cherche désespérément le bonheur sans le trouver; qui cherche l’amour vrai sans jamais le rencontrer (elle a eu cinq maris); cette femme frustrée, peureuse, méfiante, est pour Jean  la  figure de tout ceux et celles qui, au midi de leur vie, lorsque la chaleur du jour est plus accablante et la soif la plus intense, s’en vont au puits des leurs futiles bonheurs y puiser l’eau qui pourra les désaltérer et combler leurs vides et leurs insatisfactions. Jean veut nous dire que si malgré nos idées arrêtées d’émancipation et d’indépendance, nos préjugés de supériorité, nos convictions de suffisance, si au puits de nos soifs brûlantes et de nos désirs inassouvis nous avons la chance de rencontrer le Seigneur et nous lui  permettons qu’il nous adresse la parole et que le dialogue s’établisse, alors, il se pourrait que nous recevions le don de Dieu et que notre existence desséchée et stérile reprenne soudainement à fleurir et à reverdir comme les savanes et les plaines du Serengeti à la saisons des pluies. Le don de Dieu consiste précisément dans le fait de recevoir Dieu en don. Telle est, selon Jean, la fonction que Jésus s’est donnée: faire découvrir  la présence de Dieu dans l’être et la vie de chaque personne. Pour Jean, Jésus est celui qui nous révèle Dieu de l’abondance de son expérience et qui nous fait toucher de la main les effets de cette divine présence dans la qualité humaine de son existence.

A la samaritaine Jésus dit: «Dieu n’est ni dans le temple juif de Jérusalem, ni dans votre sanctuaire du mont  Garizim.». Ce qui signifie que la rencontre avec Dieu ne sa fait ni dans la religion de juifs, ni dans la religion des samaritains, ni dans aucune autre religion. Aucune religion ne peut  prétendre détenir la clef qui ouvre la porte qui mène à Dieu. Aucune religion peut revendiquer détenir l’exclusivité ou le monopole des moyens qui mettent en communication avec la divinité. Dieu échappe à toute religion. Dieu n’est pas dans les religions, dans les rites, dans les cultes, dans les sacrifices. Dieu n’est pas religieux. Dieu n’est ni juif, ni chrétien, ni musulman, ni rien. Dieu est Dieu. Et Jean nous dit que Dieu est l’Amour. Et que c’est seulement là où il y a de l’amour qu'il y a Dieu et que l’on trouve Dieu. Et puisque seulement le cœur de l’homme est capable d’Amour, voilà que, d’après Jean, seulement dans le cœur de l’homme Dieu a établi sa demeure; et c’est là seulement qu’on peut désormais le rencontrer. C’est pourquoi il fera dire à Jésus que les vrais adorateurs et les vrais chercheurs de Dieu n’iront ni sur la montagne de Garizim ni à Jérusalem pour l’adorer. Ils adoreront Dieu «en esprit et vérité». C’est-à-dire, ils descendront en eux-mêmes, dans les profondeurs de leur esprit, au cœur de leur personne, où se trouve la vérité la plus authentique de leur être. Là ils rencontreront Dieu. Là ils découvriront que la présence du Dieu d’amour a fait jaillir une source qui ne demande qu’à couler et à inonder toute leur existence. Cette source en eux fera en sorte que tous ceux et celles qui iront s’y abreuver  trouvent un apaisement à leurs manques et un peu plus de bonheur dans leur vie. Ou, pour dire cela avec les mots de Jésus: «Celui qui boira de cette eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle».

Selon l’évangéliste, la femme de Samarie semble avoir pleinement compris ce message. Du coup elle abandonne au puits sa cruche, son fardeau, sa besogne, sa soif et de «puisante» elle devient source pour ceux de son peuple à qui elle va annoncer la découverte émerveillée d’un Dieu-Amour en elle capable de la transformer et de sauver le monde.



BM


mardi 18 mars 2014

Dieu mère, Dieu Providence

REGARDEZ LES OISEAUX DU CIEL…!  UNE NOUVELLE PROVIDENCE


Le texte du prophète Isaïe que nous avons lu dans la première lecture (Is 49, 14-15) nous situe à l’époque de la grande déportation à Babylone, où la majorité du peuple d'Israël a perdu confiance et espoir dans le Seigneur à cause de la forte influence religieuse, sociale et politique du milieu païen dans lequel il vit. Le peuple hébreu en exil se sent abandonné et oublié par Dieu. Il pense que ses promesses de libération ne se réaliseront jamais. La tâche du prophète est alors de ranimer l'espoir et d' encourager le peuple, en lui faisant voir que Dieu ne l’a pas abandonné, et qu’il est toujours présent dans sa lutte pour la libération et dans sa souffrance; qu’il ne l’a pas abandonné, mais qu’il continue de l’aimer avec la tendresse d’une mère pour ses enfants.

Dans ce passage d’Isaïe, nous trouvons l'un des rares textes de la Bible où Dieu est comparé à une mère. Il est important de souligner cette particularité. En effet, bien que sur le sur le plan théologique, l'affirmation que Dieu soit à la fois Père et Mère ne fasse plus aucune difficulté et soit donc quelque chose de paisiblement admis dans le christianisme d'aujourd'hui, il y a toujours dans l’Église des secteurs ou des tendances de pensée qui persistent dans leur refus d’appliquer à Dieu des attributs féminins. Il convient de souligner que le problème n'est pas résolu avec la simple admission que Dieu n'a pas de sexe. Le problème est plus profond. Même si théoriquement personne ne prétend que Dieu soit "masculin", le fait est que pendant longtemps l'image que nous nous sommes faite de lui a été exclusivement et nettement  masculine. Cela a eu comme conséquence que pendant des siècles, dans la société civile et dans l'Église, seuls les mâles ont été considérés comme vraiment importants et comme les seules personnes aptes à s’occuper de politique et à accomplir les fonctions de représentation et de médiation dans le monde du sacré, en faisant de la femme une réalisation humaine de seconde classe et en lui imposant une marginalisation systématique et concertée.
 Je ne veux pas faire ici une " critique féministe », mais attirer l’attention sur une bien triste et sombre réalité que nous devons reconnaître et contre laquelle, en tant que disciples de Jésus, nous devons lutter pour que se réalise non seulement une société plus juste, mais aussi une église sans discriminations, moins sectaire, plus démocratique et plus égalitaire.

L'exhortation que Matthieu met dans la bouche de Jésus (Mt 6, 24-34) vise particulièrement les pauvres qui suivent le Maître, c'est-à-dire ces gens qui sont toujours à risque, qui sont préoccupés pour le présent et l'avenir; préoccupés pour leurs moyens de subsistance et pour leur vie. Jésus les invite à se mettre entre les mains de Dieu, qui est bon et compatissant envers tous et qui pourvoie aux besoins de toutes ses créatures. Avec l'esprit et le cœur tournés vers la générosité de Dieu, ce qui  est vraiment important c’est de chercher le Royaume de Dieu et sa justice. Cela devrait être la préoccupation principale du disciple de Jésus. Il s'agit d'un appel à être comme Dieu lui-même: bon, tendre, aimable, empathique, solidaire, préoccupé pour le bien-être des plus  pauvres et des plus faibles, afin d’être dans le monde les instruments de la tendresse et de l’amour d‘un Dieu père et mère de la Vie.

L'évangile de Matthieu cherche donc à exprimer et à faire comprendre cette caractéristique maternelle du cœur de Dieu appelée communément «Divine Providence». Elle énonce une dimension de l'amour de Dieu à laquelle la tradition spirituelle populaire a donné beaucoup d’importance dans la vie quotidienne et ordinaires des fidèles. Elle a été une forme d'exercice de la foi qui nous fait découvrir la main maternelle de Dieu qui nous accompagne sur les chemins de la vie, qui prend soin de nous pour nous éviter des problèmes et répondre à nos besoins. Cette «Providence» de Dieu  n'a jamais été considérée comme une vérité théologique fondamentale, mais elle a joué un rôle très important dans la vie spirituelle du chrétien simple et pieux  le long des siècles, en créant dans le cœur du croyant l’attitude de l’abandon et de la confiance, qui sont les piliers de base de toute authentique vie spirituelle.

Cette foi en la providence de Dieu a été relativement facile dans le passé. L’idée anthropomorphique et primitive que les croyants du passé  avaient de Dieu  rendait tout à fait crédible et possible un Dieu qui, comme une bonne maman, intervenait du ciel pour prendre soin de ses enfants.
Aujourd’hui, les croyants modernes n’ont plus la même conception de Dieu que nos ancêtres. Ils sont convaincus que Dieu est la vie de leur vie; que Dieu est l’Énergie d’Amour qui les constitue humains et grâce à laquelle ils sont appelés à transfigurer leur vie et à transformer celle du  monde. Cependant, ils ne croient plus à une divinité qui, de là-haut, intervient  dans l’ici-bas, en adaptant ou modifiant, si nécessaire, les lois de la nature pour satisfaire les prières, les désirs ou les besoins des humains en détresse. Le chrétien moderne doit donc reformuler et revoir radicalement sa foi en la Providence. Certes, il croit toujours que Dieu est amour, que Dieu a un cœur de mère. Mais, avec Jésus de Nazareth, il est convaincu que cet Amour a été déposé dans son cœur d’homme et que maintenant c’est grâce à son engagement et à sa responsabilité d’homme et de chrétien que l’amour de Dieu doit accomplir son œuvre de bonification et de perfectionnement de l’humanité.
Le croyant moderne ne croit plus en la providence d’un Dieu là-haut, mais il croit en la providence de l’homme ici-bas. C’est l’homme le lieu de l’Amour sur terre. C’est donc de l’homme que doit partir l’Amour qui doit se transformer en Providence pour tous les habitants de la terre. La Providence maintenant c’est nous. La providence c’est ce sens de la responsabilité que devons avoir en tant que détenteurs exclusifs du feu de l’amour. C’est le courage et la détermination que nous devons montrer dans la lutte contre toute forme d’inégalité, d’exploitation et d’injustice. Ces attitudes permettront alors de bâtir un monde meilleur, dans lequel tous trouveront le bien-être nécessaire pour une vie digne et libre, telle qu’elle convient à des humains qui sont en même temps les enfants chéris de Dieu.

     
          BM

Inspiré d'un article paru sur le site du Servicio Biblico Latinoamericano