«VENEZ
A MOI VOUS QUI PEINEZ SOUS LE FARDEAU …»
(Mt.11,28-30)
Si Jésus
constitue un échelon d’une importance capitale dans l’évolution de la race
humaine vers un niveau plus élevé d’humanité, cela est dû au fait que cet homme, plus que quiconque avant lui, a eu conscience d’être le porteur privilégié de la présence du divin dans le monde: «Nul ne connaît le
Père si ce n’est le Fils et celui a qui
le Fils veut bien le révéler». C’est Jésus qui a révélé à l’humanité que Dieu
est une Énergie et un Esprit bon et
bienveillant qui n’est pas en dehors de ce qui existe, mais qui imbibe de sa présence
et de ses virtualités l’univers entier. Jésus a enseigné que l’esprit de Dieu se manifeste et agit avec une force
particulière dans l’être humain qui en
est son incarnation et sa manifestation la plus accomplie. C’est en cela que
consiste le «secret» dont Jésus
parle en ce passage d’évangile et qu’il
dit être fermé aux sages et aux intelligents et accessible seulement aux simples et aux petits.
Les
sages et les intelligents au temps de Jésus sont l'élite de la société ou qui
se croient tels. Ce sont les scribes, spécialistes de la Bible , les prêtres, les
aristocrates, les gens cultivés, ceux qui sont aux rouages du système
politico-religieux. Ce sont tous ceux qui, dans l'ombre des structures
politiques et économiques, tirent les ficelles du monde qui leur sert de table
de jeu d'argent. Tous ceux dont le salaire, le train de vie, l'arrogance et le
mépris sont une insulte permanente au peuple des pauvres dont ils exploitent le
travail et la misère.
De
l'autre côté, les «tout petits», dit le texte. Et on peut ici comprendre le mot
«tout petits» dans le sens d’«enfants»: ceux qui n'ont pas la parole, ceux qui
n'ont pas droit à la parole. Au temps de Jésus, ce sont tous les miséreux qu'on
voit se presser autour de lui: femmes, enfants, malades affectés par toutes
sortes d’infirmités, muets, aveugles, boiteux, épileptiques, lépreux, tous ces
pauvres de moyens matériels et intellectuels
qui sont considérés un poids inutile pour la société, parce qu’ils ne
produisent pas, parce qu’ils sont hors normes, parce qu’il sont incapables de
s’insérer dans un système qui les exclut et les punit ; qui n'ont droit qu'à se
taire et à subir; qui ne sont rien,
parce qu’ils ne possèdent rien: ni éducation,
ni culture, ni argent, ni pouvoir et
donc ni valeur et ni dignité; qui n’ont aucun statut social parce qu’ils ne
réalisent pas les conditions pour s’asseoir à la table des gens « bien» qui déterminent le sort de ce monde.
C’est
tout ce monde qui se presse autour du prophète de Galilée, parce qu’il a pour
eux un message d’espérance, de libération. Parce que tous ces pauvres et ces petits trouvent en lui non seulement leur porte-parole
et leur défenseur, mais celui qui les fait grandir, leur donne valeur, leur
fait découvrir leur dignité et leur
révèle le secret de la vraie grandeur humaine. Il leur annonce en effet que la
grandeur de la personne consiste dans la prise de conscience de l’esprit de Dieu
qui les habite et dans la réponse qu’ils
donnent à cette divine présence. Il
enseigne que la valeur de la personne n’est pas dans l’avoir, mais dans l’être.
Non pas dans la quantité de «biens» qu’ils réussissent à recevoir et à
accumuler, mais dans le bien et le bonheur qu’ils sont capables de faire, de donner
et de partager. Il leur révèle qu’ils sont tous des enfants de Dieu et que, par
conséquent, Dieu les aime tous dans l’individualité de leur personne. Que pour
Dieu tous ses enfants sont égaux en dignité, en valeur et en amour. Que pour
Dieu il n’y a pas de différences de race, de statut social, de
culture, de nationalité, de religion. A
ses yeux nous avons tous la même importance; pour lui chacun de nous est
spécial, génial, super, extraordinaire, merveilleux. Car nous sommes le produit
de son amour. Nous sommes tous et chacun le lieu de sa manifestation dans le
monde. Nous sommes tous animés par l’Énergie de son amour qui, agissant dans les profondeurs de notre être, nous structure en tant qu’humains et personnes
appelées à devenir des relais de l’amour en ce mode. Et si c’est la capacité,
d’aimer, de se donner, de se préoccuper des autres, de partager, d’accueillir,
de supporter, de souffrir… qui constitue et détermine la qualité de notre humanité et donc la grandeur et la noblesse de notre
personne, alors Jésus nous dit que ce sont surtout les pauvres, les petits, les humbles,
les doux, ceux qui ont faim et soif de justice et d’amour, ceux qui sont exclus
et persécutés, ceux qui pleurent, qui ont, aux yeux de Dieu, la meilleure
chance de réussir et d’accomplir leur existence.
Le secret de la vraie grandeur humaine reste cependant
«caché» aux grands et aux puissants de ce monde. En effet ce
n’est pas sur le mètre de l’amour, du don de soi, de l’intérêt pour l’autre, du respect, du
partage que les grands et les puissants mesurent la réussite de leur existence, mais sur celui du
pouvoir, de la puissance, du profit et de l’argent. Le mètre et la mesure de Jésus
leur reste inaccessible et incompréhensible; étant réfractaires à son esprit, ils leur manque la clef capable d’ouvrir
les portes de l’accès à son royaume. N’étant et n’ayant que leur pouvoir, leurs
biens et leur argent, les puissants de
ce monde se condamnent à vivre une vie au ras du sol, empoisonnée par l’angoisse et la peur de perdre la cause d’un bien illusoire et d’un bien amère bonheur.
Au
cours de leur existence, les hommes ne pourront jamais trouver le repos et la
paix de leur âme et de leur esprit dans l’attachement aux choses, surtout ci
cet attachement est à ce point démentiel
et aveugle qu’il est devenu total et
exclusif.
La
paix et le repos de l’âme Jésus les promets à ceux et celles qui vont à lui et
qui ayant récupéré leur cœur d’enfant, vivent dans la confiance en cet amour
divin qui les veut et les accepte dans la pauvreté, les fardeaux, les limites
et les faiblesses de leur vie. Un amour dont une partie a été déposée par Dieu lui-même
dans les profondeurs de leur être et sur le courant duquel ils doivent laisser naviguer la coque de leur existence.
«Venez à moi, devenez mes disciples, vous tous qui peinez sous le
poids et le fardeau de la vie… je vous procurerai le repos... Ce que vous transportez n’est pas
un joug pénible, c’est l’esprit de Dieu, c’est un esprit d’amour ; et l’amour
est facile à porter et son fardeau est léger».
Dans
les péripéties du parcours, le bateau de notre existence sera-t-il capable d’accoster à ce havre de paix où il pourra trouver enfin son refuge et son repos ?
MB