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mardi 29 décembre 2015

Quelle est la signification de Noël ?



Il y a plusieurs manières de tenter d'approcher Dieu, d'appréhender le sacré et les différents courants religieux ou spirituels existants nous proposent différents chemins pour y parvenir. On peut trouver Dieu ou des signes de la présence de Dieu dans le Beau, le Bon, le Vrai, dans l'Amour, la bonté, dans la pureté d'âme, dans la droiture de nos pensées ou de nos actions, dans la méditation, dans la renonciation, dans l'accomplissement de soi, dans le soi profond, dans la nature, dans l'harmonie ou les connexions entre les choses...

Nous portons tous en nous un élan vers l'absolu, la Vérité, vers Dieu, et donc vers la plénitude, mais  les chemins qui mènent au sommet de la montagne sont nombreux, il y a probablement autant de chemins différents qu'il y a d'êtres humains. Ce ne sont pas les chemins qui manquent, mais il faut savoir lequel choisir. Les courants religieux sont les poteaux indicateurs qui servent à nous indiquer quel chemin est praticable, car d'autres les ont empruntés avant nous.

Nous avons tous une sensibilité plus ou moins grande à la présence du Divin dans notre monde et une préoccupation plus ou moins grande pour la question.
Et il existe des hommes qui ont une intuition, une sensibilité particulière, des hommes qui ont su comprendre et voir des choses que le commun des mortels n'est pas capable de percevoir, il existe de ces hommes phares qui sont venus éclairer notre monde, qui sont venus nous guider, nous faire des révélations sur le divin,  nous montrer la bonne direction à prendre pour tenter d'approcher le divin.

Noël peut être compris de différentes manières. A un premier niveau, Noël est l'anniversaire de naissance d'un de ces hommes phares, un homme hors du commun, qui nous inspire et que nous voulons suivre et prendre pour exemple. A un niveau plus traditionnel, Noël c'est la naissance du fils de Dieu ou du sauveur. Nous chrétiens voyons aussi en Noël la représentation de la venue de Dieu parmi nous ou le symbole de l'incarnation, de l'irruption de Dieu, du divin dans le monde des hommes. C'est aussi Dieu qui se révèle aux hommes, qui se fait connaître au travers de la voix de Jésus.
Mais on peut aussi le voir dans l'autre sens, et dire que Noël, pour nous les humains, est l'ouverture d'une nouvelle porte sur l'Absolu. Au travers de la naissance de Jésus et plus tard de son enseignement, c'est l'avènement dans notre monde d'un nouveau chemin qui mène à Dieu. C'est l'arrivée dans le monde des humains de la connaissance, de la prise de conscience d'une nouvelle manière d'être qui nous rapproche de Dieu. Car la "venue de Dieu dans notre monde ou dans notre cœur" n'est pas quelque chose de passif, ce n'est pas Dieu qui arrive de manière magique de l'extérieur, c'est un mouvement qui part de nous, de notre cœur, ça dépend de nous et de notre état d’esprit, il faut une certaine disposition de cœur et d'esprit pour le recevoir.

D'autres portes ont été ouvertes avant, d'autres chemins avaient été indiqués auparavant, comme le noble Sentier Octuple préconisé par Gautama Siddhartha, le Bouddha, pour atteindre l'éveil. Selon ce sentier, il faut appliquer une série de préceptes à notre vie, comme la Parole juste, l'action  juste, les moyens d'existence justes, la pensée juste, etc. pour mener notre âme vers la plénitude.

Mais pour nous chrétiens, Jésus est celui qui a ouvert la bonne porte, et la clé de cette porte c'est l'Amour: si l'Amour de Dieu, l'Amour vrai, l'amour désintéressé guide nos pas, alors nous marchons dans la bonne direction, nous marchons la face tournée vers la lumière, nous marchons vers Dieu.

Pour nous chrétiens Jésus est celui qui nous indique le chemin à suivre, il nous montre la voie, mais en même temps il est lui-même la Vie, la Voie, la Vérité (Jean 14,6). C'est-à-dire qu'il est celui qui nous a enseigné et montré par son exemple ce qu'il faut faire pour nous rapprocher de Dieu et donc vivre notre vie pleinement, mais en même temps s'il habite notre cœur, si son Esprit et son Amour habitent notre cœur, il nous transforme de l'intérieur, il ouvre notre cœur et notre intelligence à la vérité et par là même nous guide dans la bonne direction de l'intérieur. 

Mais la présence de l'Amour de Dieu, du sacré, en nous est, à l'image de l'enfant Jésus emmailloté dans une mangeoire, quelque chose d'infiniment beau, d'infiniment précieux, mais si fragile, si vulnérable... Quelque chose dont il faut prendre le plus grand soin, qu'il faut nourrir, avec beaucoup de dévouement pour le faire grandir. C'est si vite fait de le tuer en nous (en raison de nos aveuglements, nos égoïsmes, nos jalousies, nos étroitesses d'esprit, etc.).... comme Jésus qui a finalement été mis à mort, à cause de la méchanceté d'hommes qui n'étaient pas prêts à recevoir un fils de Dieu.

Alors en fin de compte, Noël c'est à chaque fois que nous sommes capables de faire renaître en nous, encore et encore, un Amour de Dieu véritable et que nous nous laissons guider par Lui.

Susanne Schoenbacher


mardi 17 novembre 2015

UN MONDE TOUJOURS EN GENÈSE


(Marc 13,24-32)

Lorsque l’évangéliste Marc écrivait son évangile (fin des années 60 - début des années 70 après J.-C.), les chrétiens de ces temps subissaient les persécutions de Néron et de Domitien. Ils vivaient donc des situations difficiles, dangereuses et dramatiques. Ils avaient l’impression que leur foi allait être définitivement étouffée; que le mouvement chrétien allait être anéanti; que le mal triomphait; que les ennemies de la foi avaient le dessus. L’univers entier, représenté par les astres, le soleil, la lune et les étoiles, semblait tomber sur eux et les écraser par la violence de la persécution et de la haine de leurs ennemis. Ils avaient la sensation qu’apparaissaient déjà les signes annonciateurs de la fin imminente du monde que Jésus avait annoncée.

La foi et la confiance de ces chrétiens étaient mises à dure épreuve. Ils se demandaient en effet pourquoi ils étaient aussi détestés, aussi persécutés, aussi abandonnés par Dieu, alors que Jésus leur avait dit qu’ils étaient le sel de la terre, la lumière du monde; qu’ils leur avait promis qu’il ne les laisserait pas orphelins et qu’il serait avec eux jusqu’à la fin des temps; que la providence, la tendresse et l’amour de Dieu, son père et leur père, les aurait toujours suivis, protégés et sauvés et que même pas un cheveux de leur tête ne serait tombé sans que Dieu le veuille.

Ce texte de Marc veut être une réponse à ces questions. Il veut exhorter les chrétiens de son temps à ne pas avoir peur; les encourager à ne pas perdre confiance et à garder la foi et l’espoir. Et même temps, par ces images apocalyptiques et ces descriptions terrifiantes d’un univers qui s’écroule et qui finit, Marc veut les rendre conscients que dans la vie, ils seront toujours confrontés à des fins et à des recommencements; à des cataclysmes réels ou apparents; à la lutte du mal contre le bien et du bien contre le mal. Cette lutte et ces contradictions, ils les verront à l’ouvre partout: dans leur chair, au sein de leurs familles, dans la société où ils sont insérés, dans les événements et les situations de leur époque. Ils expérimenteront rivalités, antagonismes, oppressions, luttes de classe, violences, persécutions, conflits, haine, injustices, horreurs et souffrances de tout genre… Ainsi auront-ils souvent l’impression que le mal est plus répandu que le bien, que la méchanceté l’emporte sur la bonté, l’égoïsme sur le dévouement, l’avidité sur la générosité, la vengeance sur le pardon, le fanatisme sur la tolérance, la haine sur l’amour, les ténèbres sur la lumière et que l’on vit dans un monde déserté par Dieu et en proie au pouvoir du Mal

Ce texte de Marc cependant nous rassure qu’il n’en est pas ainsi! Malgré ce que l’on peut penser ou croire, c’est Dieu qui est le plus fort. C’est Dieu et son Esprit qui dirigent le monde et le cours de l’histoire. C’est Dieu qui tient entre ses mains les destins du monde et de l’humanité. Malgré toutes les apparences contraires, les forces de l’amour, de la tendresse, de la bonté, du dévouement, de la compassion, de la générosité, du don de soi, dépassent grandement celles de la haine, de l’égoïsme et de la méchanceté. Ce sont ces énergies bénéfiques et créatrices qui soutiennent notre Univers, qui permettent à notre planète de continuer à exister et à fonctionner et qui font vivre et progresser notre humanité.

L’évangile nous rassure que l’esprit de Dieu, esprit d’Amour semé au cœur de la création, aura toujours le dessus sur l’esprit de l’homme, perturbé et souvent perverti par ses mauvaises passions, égaré par ses divisions intérieures et détérioré par la peur, l’angoisse et le mal qu’il porte en lui.

L’Évangile veut aussi nous faire comprendre que dans notre existence les fins et les commencements s’alternent régulièrement; que notre vie se déroule toujours entre la fin d’un monde et le début d’un autre qui se révèle plus apte à assurer notre croissance humaine et spirituelle, notre évolution personnelle vers une forme plus parfaite d’être et donc nécessaire à la réalisation de notre accomplissement personnel et de notre bonheur. Rien dans notre vie n’est stable, fixe, définitif, immuable, indissoluble, établi à tout jamais. Au contraire, nous ne vivons que parce que nous devenons, que parce que nous changeons. Nous nous réalisons seulement parce que nous nous transformons. C’est le changement qui permet à nous et à la réalité de notre Univers de continuer à exister dans une constante évolution et ainsi d'atteindre un degré supérieur d’être. C’est toujours la fin de quelque chose qui devient le début d’une chose nouvelle. C’est la mort d’un monde, qui donne naissance à un autre monde, presque toujours meilleur. L’évolution et le changement sont essentiels au surgissement de la diversité, de la complexité et de l’époustouflante beauté de notre Univers. Il en est de même pour nous.

L’Évangile, qui est avant tout une école d’humanité, nous enseigne donc que pour devenir des hommes et des femmes de valeur, nous devons accepter de mourir continuellement à quelque chose. Nous devons être disposés à accepter dans notre vie l’écroulement et la désintégration d’un monde et le début d’un autre. Nous devons être prêts à passer sans regret d’une étape de notre vie à une autre; prêts à perdre la vie pour la gagner; prêts à faire mourir des manières de penser, de croire, d’agir et de vivre qui apparaissent usées, dépassées, périmées, obsolètes, handicapantes, pour faire surgir du nouveau: assumer une autre mentalité, adopter un autre style de vie, choisir d’autres priorités, partager d’autres valeurs. Ces nouvelles valeurs feront de nous de nouvelles personnes, plus évoluées, plus accomplies et vivant dans un monde devenu, à cause de cela, plus jeune et plus humain.

La vie se charge continuellement de nous mettre devant la disparition et l’effondrement de situations, de formes ou d’états de vie et de nous confronter à des morts qui s’avèrent absolument nécessaires pour pouvoir accéder à une étape supérieure de notre existence Ainsi, par exemple, devons-nous mourir à la chaleur du ventre maternel pour entrer dans l’enfance de la vie; nous devons mourir à l’enfance, pour accéder à l’adolescence; mourir à l’adolescence pour passer à la jeunesse; mourir à la jeunesse pour nous installer dans l’âge adulte. Nous devons accepter d’abandonner l’univers familial, avec son confort et sa sécurité, pour devenir des adultes indépendants et libres….

Cet évangile nous rappelle alors que la mort fait partie de la vie, comme la vie fait partie de la mort; que nous commençons à mourir dès que nous commençons à vivre; que notre vie est au prix d’une continuelle acceptation d’une longue série de morts et de détachements. Que de choses meurent en nous et autour de nous au cours de notre vie! Combien de deuils nous devons faire et accepter ! Que de pertes nous devons endurer! Nous perdons inévitablement la jeunesse, la beauté, le charme, la grâce, la souplesse, l‘agilité, la force, la santé, la vivacité de l’esprit, la mémoire, notre temps… souvent nous perdons l’innocence, la paix intérieure, nos promesses, nos affections, nos amours, la compagnie et la présence des êtres les plus chers… et finalement et inexorablement nous perdons notre vie.

Faudra-t-il angoisser, désespérer, broyer du noir, à cause de cela? Jamais de la vie, nous dit ce texte de l’évangile de Marc. Car tout cela fait partie du plan de Dieu. Car c’est ainsi que va le monde. C’est ainsi qu’il fonctionne. C’est dans ce mélange de vie et de mort, de fins et de commencements, de destructions et de reconstructions, d’ordre et de chaos, de bien et de mal, de ténèbres et de lumière, que se manifeste la présence de la puissance, de la sagesse et de l’amour du Dieu-Source de cet Univers. C’est un Dieu qui cherche à nous construire et à nous réaliser à travers notre fragilité foncière, nos peurs et nos limites. C’est un Dieu qui, à travers les multiples cataclysmes de notre existence, veut nous conduire à la pleine réalisation de notre être, en utilisant tout le potentiel humain et spirituel qu’il a versé dans notre cœur lorsqu’il nous a lancé dans l’existence.



MB

vendredi 6 novembre 2015

NON AU POUVOR, OUI AU SERVICE


 Les forces évangéliques qui peuvent bâtir un monde meilleur
(Marc 10, 35-45)


S’il y a une chose qui saute immédiatement aux yeux, lorsqu’on est un tant soit peu familier avec la pensée de Jésus de Nazareth, c’est le refus absolu de sa part de toute attitude qui pousse un être humain à se croire supérieur aux autres et donc en droit d’exercer des formes de pouvoir visant à soumettre, à assujettir et à opprimer son prochain pour en tirer des avantages personnels.

Pour Jésus cette disposition est nettement «diabolique» (diable, «diabolos» en grec est celui qui divise, du verbe diaballo qui signifie diviser), car elle cherche à établir des systèmes hiérarchiques, et donc des divisions, des séparations, des classes et donc des inégalités qui en réalité n’ont aucune raison d’exister. Pour Jésus tous les humains sont fondamentalement égaux, dans leur variété et leurs différences, car tous possèdent la même et identique dignité d’enfants de Dieu. Il faut avoir présent à l’esprit que ce principe proclamé par Jésus, qui pour nous aujourd’hui est une évidence (du moins théoriquement), a été, en son temps, une véritable bombe d’une charge explosive sans précédents et qui a bouleversé et ébranlé de fond en comble les mentalités et les principes sur lesquels les sociétés de cette époque étaient fondées. Après Jésus, le monde n’a plus été le même.

Motivé par le texte de l’évangile, je voudrais réfléchir avec vous sur les implications du principe évangélique de l’égalité fondamentale de tous les humains, qui est un des piliers de l’enseignement du Maître de Nazareth, et qui, pourtant, a été systématiquement ravalé, bafoué, renié et oublié au cours de toute l’histoire chrétienne de l’Occident, autant par les sociétés laïques, que par les institutions religieuses.
  
Nous vivons à une époque de transformations sans précédents. Jamais comme aujourd’hui nous avons pris conscience que nous avons tous la même origine, que nous avons tous le même génome, que nous appartenons tous à la même race, à la même planète, que sommes tous reliés ensemble par la même origine, les mêmes conditions de vie, le même destin, que nos ne formons qu’une immense famille, malgré les différences de races et de culture. Cette unité et interdépendance est aujourd’hui encore plus évidente grâce à la globalisation de l’économie, à la disparition des frontières entre les différents pays, grâce aux conquêtes des technologies et de l’espace qui permettent la vitesse fantastique des communications et des moyens de déplacements. Nous ne vivons plus séparés, ma reliés, unis, connectés dans un village global. La terre est devenue un petit village où tout ce qui arrive dans un coin est immédiatement connu dans le coin opposé.

Cette globalisation, si elle nous unit, elle nous confronte aussi plus directement avec l’état pitoyable de notre planète, dû à la déprédation insensée de ses ressources, ainsi qu’à la détresse, la pauvreté et la souffrance d’une grande partie de l’humanité, causées par la marque capitaliste de notre économie qui encourage la cupidité, la recherche du profit illimité, et qui produit de grandes injustices sociales et d'énormes inégalités. Si notre société occidentale, depuis la révolution française, s’est développée au cri de «liberté, égalité et fraternité», il faut admettre que ce cri n’a pas fini de retentir, car les inégalités continuent de déchirer l’humanité.

Ce qui frappe lorsqu’on approche l’enseignement du prophète de Nazareth, c’est de voir avec quelle insistance, quel aplomb et quelle sagesse il a cherché à dépister les postures intérieures qui sont à l’origine des comportements discriminatoires et inégalitaires dans l’homme. Je me limiterai ici à quelques exemples tirés de l’évangile. Dans l’évangile de Matthieu (ch.19) on trouve le récit du propriétaire d’une vigne qui embauche des ouvriers à différentes heures de la journée, mais qui donne à tous le même salaire. Or le salaire calculé pour chaque travailleur est le montant dont une famille de ce temps avait besoin pour vivre. Évidemment le patron doit faire face aux récriminations indignées de ceux qui ont travaillé depuis le matin et qui se sentent injustement traités. Ils n’acceptent pas cette façon égalitaire de faire, ils ne veulent pas être traités comme tous les autres. Ils exigent davantage. Ils veulent un traitement différent. Ils ne veulent pas entendre parler d’égalité.

Et c’est ici que se situe le cœur l’enseignement de Jésus. Le Maître de Nazareth fait comprendre que jamais on ne pourra bâtir un monde ou une société de personnes égales (mêmes droits, même digité, même possibilité de succès, même moyens suffisants de subsistance….) en appliquant les règles d’une stricte justice ou d’une stricte légalité. Mais il faudra au contraire s’équiper d’une grande dose de générosité et de sensibilité, comme le patron de la parabole, et comme devraient faire les pays développés envers les pays sous-développés, les riches envers les pauvres, les privilégiés envers les exclus.

Les problèmes, les besoins et les détresses d’une grande partie de l'humanité ne seront jamais résolus par les stratégies de la concurrence, par les politiques du pouvoir, les ententes économiques, les lois du marché, ou par les règles d’une stricte justice, mais seulement par les attitudes plus humaines de la sensibilité, de la cordialité, du partage, de la générosité et de l’amour qui devraient toujours habiter le cœur de l’homme, déterminer ses décisions et orienter ses actions. Nous trouvons le même enseignement dans la parabole des talents (Mt. 25) où le patron donne à chacun de ses administrateurs un montant d’argent différent à gérer selon leurs capacités. Ensuite il se félicite avec chacun, non pas pour les résultats obtenus, mais pour la fidélité, l’engagement et l’effort qu’ils ont déployés pour le faire fructifier. Pour le patron de la parable, ses employés sont tous également admirables: non pas à cause des résultats de leur travail, mais a cause de la valeur et de la qualité de leur personne.

Pour Jésus l’égale dignité et donc la fondamentale égalité de tous les êtres humains est basée sur le fait que nous sommes tous les enfants d’un même Dieu, qui nous est Père, et que nous sommes donc tous des frères, des sœurs, des égaux, même dans nos différences.
Il faut malheureusement constater que même l’Institution ecclésiastique qui se considère pourtant l’«exécutrice testamentaire» attitrée de l’héritage de Jésus, est loin d’avoir assimilé et d’avoir vécu selon les principes d’égalité proposés par le Maître de Nazareth. Tout au contraire. À partir du VIe siècle, avec la paix constantinienne, les papes et les autorités religieuses du temps, n’ont pas hésité à s’approprier la structure hiérarchique de l’empire romain pour l’introduire dans celle ecclésiale et construire un système religieux extrêmement hiérarchisé. C’est à partir de ce temps que dans Église on a commencé à parler de hiérarchie, d’ordre, de rang, d’autorité, de pouvoir, de clercs qui ont le pouvoir et de laïcs qui n’en ont aucun. Ce pouvoir, (s’est ainsi que les autorités religieuses le conçoivent), est directement conféré par Dieu à des personnes qu’il a lui même choisies et appelées à une fonction de direction et de sanctification dans l’Église. Ce pouvoir est donc «sacré» et il est donné à des privilégiés, appartenant à une classe supérieure; tandis que les «simples fidèles» constituent la masse du peuple chrétien de classe inférieure qui n’existe que pour obéir et se soumettre aux clercs en autorité. La société de l’Église, par volonté divine, est donc formée de personnes inégales. Comme l’a ouvertement et formellement reconnu le pape Pie X qui, dans son encyclique Vehementer Nos (11 fév. 1906), déclare: « Il en résulte que cette Église est par essence une société inégale, c'est-à-dire une société comprenant deux catégories de personnes: les pasteurs et le troupeau, ceux qui occupent un rang dans les différents degrés de la hiérarchie et la multitude des fidèles; et ces catégories sont tellement distinctes entre elles, que, dans le corps pastoral seul, résident le droit et l'autorité nécessaires pour promouvoir et diriger tous les membres vers la fin de la société. Quant à la multitude, elle n'a pas d'autre devoir que celui de se laisser conduire et, troupeau docile, de suivre ses pasteurs
 L’Église officielle a donc depuis longtemps reniée et mis de côté l’enseignement de Jésus sur l’égalité fondamentale de tous les humains devant Dieu.

Aujourd’hui il faudrait avoir la sagesse d’abolir dans le langage ecclésiastique la parole «hiérarchie», entendue comme «pouvoir sacré». Car dans la pensée de Jésus ce n’est pas le «pouvoir» qui compte, mais le «service». Et lorsque dans les évangiles on attribue à Jésus le «pouvoir», ce mot ne désigne jamais une faculté en vue de dominer ou soumettre les autres, mais il indique toujours la capacité que Jésus a de guérir, de chasser le mal, de libérer les humains de tout ce qui les opprime et les empêche de vivre pleinement. Le pouvoir de Jésus est une force qui libère et qui sauve. Cela signifie alors que tout pourvoir, toute autorité, toute structure hiérarchique qui n’est pas libératrice, n’est pas conforme à l’évangile de Jésus: elle est donc antiévangélique.
Le «pouvoir» crée les inégalités; seulement le service est capable de rendre les hommes égaux.

C’est ce que Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui (Mc.10, 42-45) veut faire comprendre à Jacques et Jean, ces deux disciples fougueux et autoritaires (qu’il avait surnommés les fils du tonnerre) qui aspirent à occuper de hautes places de pouvoir: «Vous savez, leur dit Jésus, que les chefs des nations commandent en maître; que les grands de ce monde font sentir leur pouvoir; mais parmi vous il ne doit pas en être ainsi. Celui que veut devenir grand doit se faire votre serviteur».

À la volonté de pouvoir, Jésus oppose la volonté du service. Le véritable disciple doit aspirer non pas à voir du pouvoir sur les autres, mais à être au service des autres.
Selon le Maître, c’est dans cette attitude de service que réside la vraie grandeur de l’homme; et c’est encore à travers elle qu’il se manifeste comme véritable enfant de Dieu. Par contre, celui qui profite de son pouvoir pour se dresser au-dessus des autres, pour créer des inégalités et pour opprimer les autres, se transforme en être méprisable et insignifiant dans lequel la ressemblance avec Dieu a été complètement déformée.

Et c’est ainsi que dans la générosité, le partage, l’amour et le service envers les autres sont mises en place, dans la pensée de Jésus, les forces de salut qui ont le «pouvoir» de bâtir un monde plus juste, plus égalitaire et finalement plus humain.




BM

vendredi 9 octobre 2015

CE QUE DIEU A UNI … OU L’APOLOGIE DE LA FEMME



(Marc 10,2-16)


Dans la culture juive du temps de Jésus personne ne contestait le fait qu’un homme marié pouvait pendre unilatéralement la décision de répudier sa femme. C’était une pratique presque normale. S’il y avait une certaine discussion à propos de cette pratique, cela ne concernait pas le principe de la répudiation en tant que tel, mais les raisons valables pour prendre une telle décision. Dans les faits, en ce temps-là, un homme pouvait chasser sa femme de la maison pour n’importe quel motif. Il suffisait qu’elle fasse quelque chose de désagréable à monsieur: comme un repas mal cuisiné; des mets brulés; une épouse surprise à parler avec un inconnu en dehors de la maison, ou sans voile avec les cheveux au vent…

En ce temps, être abandonnée par son mari, était pour une femme la pire des catastrophes. Une femme chassée de la maison était une femme déshonorée et destinée à la mort sociale et, souvent aussi, à la mort physique, car elle se retrouvait sans statut social, sans support, sans protections et sans moyens de subsistance. Il ne faut pas oublier qu’en ce temps, la femme était totalement dépendante et à la merci de son mari. On était encore loin du mouvement de libération de la femme, de la parité des droits, des droits de la personne, de l’égalité des sexes. Dans la société juive du temps de Jésus, comme d’ailleurs encore aujourd’hui dans la majorité des pays musulmans, les femmes ne sortaient pas seules et s’occupaient exclusivement du foyer, du mari et des enfants. Elles étaient soit les servantes, soit les esclaves de leur conjoint qui avait plein pouvoir sur elles. Elles n’étaient pas considérées comme des personnes adultes et responsables, mais comme des mineurs qui ont toujours besoin d’être surveillés, dirigés et commandés. Seul le mari était capable de raison. Il pouvait donc les réprimander, les châtier, les punir, les battre et, finalement, les expulser de sa maison si cela lui convenait.

Ici Jésus s’érige avec toute la force de son autorité pour condamner cette mentalité machiste et oppressive. Dans ce texte d’évangile Jésus pose les bases de la lutte pour la libération de la femme. Il condamne toute forme de domination, de supériorité, d’hégémonie et de prééminence de l’homme sur la femme. Il affirme que si la loi mosaïque semblait avantager les hommes, en leur donnant le pouvoir de sévir contre leurs épouses, cela était à cause d’une concession faite à la brutalité incurable des mâles et à la dureté de leur cœur. La Loi mosaïque préférait envisager une voie d’issue pour la femme mariée, lui laisser une porte de sortie, plutôt que de la contraindre à subir indéfiniment les sévices ou la violence de son mari et la condamner ainsi à une vie d’enfer. Jésus affirme que la Loi mosaïque est un moindre mal, une concession faite à la barbarie de ces hommes primitifs, mais que ce n’est pas ainsi que Dieu voit et veut les relations entre homme et femme. «Au début, lorsque Dieu créa l’homme et la femme, ce n’était pas ainsi que les choses devaient se passer», remarque le Maître.

Jésus se lève donc contre cette absurdité juridique, inventée par des hommes et pour les hommes, qui leur permet de renvoyer d’une façon unilatérale leur épouse et qui ne permet pas à celle-ci d’en faire autant. Jésus cherche à faire comprendre aux machos de son temps, que cette Loi mosaïque ratifie la pire des injustices, car devant Dieu, affirme Jésus, l’homme et la femme ont la même nature, la même dignité, la même grandeur humaine et donc les mêmes droits et les mêmes obligations. Dieu aux débuts a fait l’être humain homme et femme, avertit Jésus. Ils sont en même temps semblables et différents. Ils sont comme les deux parties d’une même médaille. Il n’y a pas un côté qui vaut plus que l’autre ou qui est plus important que l’autre. Les deux côtés ont exactement la même valeur. On ne peut pas les penser séparés. Ils ne sont pas deux, mais un, insiste Jésus. Ils existent pour être et rester ensemble, pour se compléter, pour payer ensemble le prix de la vie et le bonheur de vivre.

Ici Jésus nous dit que la force qui fait en sorte qu’un homme et une femme soient capables de briser les liens du sang qui les attachent à leurs parents pour s’unir à un partenaire étranger et ne faire qu’un seul être, qu’en seul corps avec lui, n’est évidemment pas celle de l’opportunisme, des alliances de clan ou de parti, ni la pulsion de la passion, ni l’attrait du plaisir ou la recherche de la sécurité, mais uniquement la puissance de l’amour. L’amour est le plus sublime et le plus extraordinaire des élans spirituels dont les humains soient capables; et c’est uniquement à cette Énergie intérieure, qui coule en nous de la Source de tout être que nous appelons Dieu, qu’est confiée la tâche de souder ensemble le couple humain. Jésus nous enseigne non seulement que c’est la force divine de l’amour qui, dans le couple humain, transforme l’union des corps en union des cœurs et des âmes, mais aussi que cet amour, que nous devons continuellement déployer, est aussi celui qui marque la fin de ces rapports de couple vécus à l’enseigne de la discrimination, du pouvoir, de la domination, de la supériorité, de l’humiliation, de l’exploitation et de la violence.

Jésus est donc venu nous révéler que, en tant qu’humains, nous sommes les vecteurs privilégiés de l’énergie divine de l’amour. Mais il est venu nous dire aussi que cet amour est difficile à vivre à cause de la «dureté de notre cœur»; c’est-à-dire, à cause le l’état d’imperfection de notre nature qui n’a pas encore atteint la perfection évolutive nécessaire pour réaliser une telle qualité d’amour. Sur le chemin de notre évolution humaine, nous sommes encore aux débuts. Nous sommes encore des êtres primitifs, rustres, à peine ébauchés, pas encore pleinement formés et donc incapables de jouer sur le piano de notre vie, avec succès, aisance et brio, la merveilleuse partition de l’amour que Dieu nous a confiée. Nous pianotons, et alors l’amour se gâche et se perd. Et le couple se décompose: par les circonstances de la vie, par l’instabilité de nos sentiments, et par la faiblesse de notre condition humaine exposée aux aléas de nouvelles rencontres et de notre transformation intérieure. Alors la séparation et le divorce deviennent inévitables et même nécessaires; et toute société doit les envisager, les accepter et légiférer sur une telle possibilité, afin que la vie à deux (et le mariage) ne se transforme pas en une horrible prison dans laquelle le couple risque d’être exposé à une vie insupportable et parfois d'enfer.

Ce texte de l’évangile n’est donc pas une apologie de l’indissolubilité du mariage, comme souvent une certaine exégèse catholique a voulu le faire croire, mais une apologie de la condition féminine. Ici Jésus se lève contre la discrimination, l’oppression et la violence auxquelles les femmes sont soumises de la part des hommes. Ici le Maître de Nazareth plaide en faveur de l’amour tendre, fidèle, respectueux et durable dans le couple. Ici le Nazaréen abolit et condamne toutes ces lois, toutes ces pratiques et toutes ces coutumes patriarcales inventées par les hommes et qui ne servent qu’à justifier leur comportement oppressif, égoïste et dominateur. Ici Jésus veut redonner dignité, noblesse, respectabilité, valeur et droits aux femmes. Il en fera ses meilleures amies et ses meilleures collaboratrices. C’est pour cela que les femmes l’aiment et l’entourent.

Dorénavant c’est dans sa doctrine qu’elles découvriront leur excellence et c’est dans ses paroles qu’elles puiseront à tous jamais les principes de leur libération et de leur fierté.



MB

jeudi 1 octobre 2015

LA SAINTETÉ, LE CORPS ET LE PLAISIR



Dans le christianisme la mesure de la perfection de l'homme semble être donnée par sa capacité de s’éloigner ou de fuir les réalités matérielles et donc par l’intensité de son attachement aux réalités spirituelles et surnaturelles. C’est le degré de cet éloignement et de cet attachement qui mesure son degré de perfection ou de sainteté.  Dans le catholicisme, la sainteté ou l’état de perfection, s’inspire du principe des valeurs inversées. Ce principe établit que ”ce qui est matériellement bon pour le corps de l’homme, est spirituellement mauvais pour son âme; et que ce qui est matériellement mauvais pour le corps, est spirituellement bon pour l’âme. De cet énoncé l’Église en a déduit un autre qui est à la base de tout l’enseignement catholique sur la sainteté. Ce nouveau principe peut être formulé ainsi: La capacité de la souffrance est la capacité même de la sainteté. En d’autres, mots cela signifie que plus une personne est capable de souffrance, plus elle avance en sainteté. La souffrance devient alors l’unité de mesure et l’outil pour produire de la sainteté.

Selon la doctrine catholique, la sainteté est un état de perfectionnement intérieur qui approche l’être humain de la perfection et de la beauté de Dieu. Cet état de perfection intérieure, à partir du présupposé qu’il soit réel, est, de toute évidence, un phénomène strictement spirituel et donc insaisissable. Cela signifie qu’il constitue un état de l’être qui n’a pas de consistance métaphysique et qui ne peut non plus être jaugé ou mesuré par aucune méthode humaine d’analyse. L’Église pense cependant pouvoir établir une correspondance ou une relation de cause à effet entre le comportement et les pratiques ascétiques d’un individu et son degré de sainteté , et pouvoir affirmer et déclarer infailliblement (dans les procès de canonisation des saints) son état de sainteté à partir de la constatation et de la preuve juridique de ses souffrances endurées par amour de Dieu. La sainteté semble ainsi être dans le sujet une réalité spirituelle qui peut être constatée, mesurée et quantifiée et de laquelle on peut dire qu’elle est assez abondante pour qu’une personne puisse mériter d'être inscrite dans le catalogue officiel des saints.

Nous pouvons exprimer tout cela plus synthétiquement en disant que dans le catholicisme la sainteté du chrétien est mesurée par sa détermination à réprimer l’appel du plaisir. «On peut décrire le plaisir comme un sentiment de plénitude consécutif à l’apaisement d’un besoin ou à l’accomplissement d’un désir. Le plaisir est comme une heureuse manière d’être soi-même, de coïncider avec son corps. Le plaisir nous ancre dans notre corps et dans notre monde, il nous donne du bonheur; il est source de joie et d’épanouissement ici sur terre. Un monde sans plaisir serait un monde inhumain. Le plaisir nous réconcilie avec notre corps, avec les autres, avec le monde. Profondément lié à l’expérience du corps, le plaisir nous enracine dans notre condition humaine finie, limitée, terrestre[1]. »
Parce que le plaisir implique de la part de l’homme l’acceptation joyeuse de son humanité, de sa condition corporelle et sociale; parce qu’il postule que l’homme peut être heureux ici et maintenant sans recourir à Dieu; parce qu’il suppose que Dieu n’est pas toujours nécessaire ou indispensable au bonheur de l’homme, le plaisir a toujours eu pour les religions une connotation “diabolique” et n’a jamais vraiment pu trouver “grâce” à leurs yeux. La raison de la méfiance de la religion face au plaisir est aisée à comprendre. Le but de la religion est de “relier” l’homme à Dieu. La religion est donc bâtie sur la proclamation de la supériorité de Dieu sur l’homme et sur la totale dépendance de celui-ci de la divinité. La religion doit affirmer que Dieu seul constitue le bonheur de l’homme et que Dieu seul peut combler ses besoins, accomplir ses aspirations et réaliser heureusement sa vie temporelle ainsi que son destin éternel. Pour la religion, de Dieu vient le salut, la joie et le bonheur; de l’homme le péché, la souffrance et le malheur. Cette affirmation de la religion est la raison même de son existence. Il n’est pas alors étonnant que les religions éprouvent non seulement beaucoup de difficulté à apprivoiser le plaisir, mais qu’elles nourrissent une méfiance viscérale à son égard. L’existence et la possibilité même du plaisir constituent une menace pour la religion. Le plaisir est en effet la preuve évidente que Dieu n’est pas l’unique source du bonheur pour l’homme, mais qu’il existe pour l’homme une source de félicité et d’accomplissement qui ne jaillit pas nécessairement d’en haut.


Selon la doctrine  spirituelle de l’Église, la souffrance est donc un facteur  essentiel de sainteté. La souffrance peut avoir des causes spirituelles ou des causes corporelles. La souffrance spirituelle peut être très intense et souvent même plus douloureuse que la souffrance physique. Cependant, dans l’évaluation de l’Église, la souffrance spirituelle ne semble pas avoir autant d’efficacité que la souffrance corporelle en ce qui concerne la production de sainteté. Alors que toute une vie d’efforts et d’accomplissements n’est souvent pas suffisante pour faire un saint, il suffit d’un coup d’épée ou d’une balle d’arme à feu pour produire un saint et un martyre. D’ailleurs, pendant les premiers siècles du christianisme le martyre a été la seule forme officielle de sainteté. Dans l’histoire chrétienne le martyre restera le paradigme et le modèle par excellence de la sainteté en général et de la sainteté féminine en particulier.
On peut donc affirmer que, dans la spiritualité chrétienne, la mesure de la sainteté est surtout donnée par la quantité de souffrances corporelles que l’ascète est capable d’endurer ou de s’infliger. La perfection du chrétien va ainsi dans le sens inverse de son humanité. Cela signifie que plus le chrétien réussit à détruire ou à réprimer les besoins, les pulsions et les désirs attachés à sa condition corporelle, plus il avance en perfection et en sainteté. Le processus de sanctification se déroule dans le sens contraire du processus d’humanisation. La construction d’une bonne vie spirituelle s’accomplit à travers le phénomène d’une lente démolition corporelle. Il faut mourir pour vivre. Il faut souffrir pour être heureux; il faut être inhumain pour être divin. Le divin ne peut s'installer que sur les ruines de l’humain. La “grâce” ne peut être féconde que dans la désintégration de la nature. La sainteté de l’homme se bâtit par la destruction de son humanité. L’histoire de la sainteté chrétienne nous montre, avec une monotonie déconcertante, que l’épanouissement spirituel ne réussit à émerger que de l’effondrement de l’épanouissement humain et que ce que l'Église reconnaît comme sainteté n'est, bien souvent, que le résultat d'un gâchis d'humanité.

L’Église est la seule institution religieuse qui fonde son idéologie sur l’affirmation dogmatique d’une nature humaine fondamentalement bâclée. Cette nature humaine pervertie n’est pas une nature amie, aimée, compagne agréable qui assiste l’homme au cours du voyage de la vie pour qu’il puisse réaliser sa portion d’humanité. Elle est, au contraire, un adversaire qui veut sa ruine et contre lequel l’homme doit sans cesse lutter pour se défaire de son emprise, afin d’acquérir cette liberté “angélique” qui lui vaut le salut. Les voix de la nature humaine ne parlent que de désordre et de péché; ses dispositions, ses tendances et ses pulsions ne réussissent qu’à égarer l’homme loin de Dieu. Or, ce n'est pas une entreprise de tout repos pour un chrétien que de se délester de son humanité; que d'étouffer en continuation les pulsions qui montent des profondeurs de son corps; que de se méfier de tout ce qui est typiquement humain; que de négliger les richesses humaines que l'action millénaire de la sélection et de l'évolution ont accumulées en lui; que de vouloir parcourir à contre-courant le fleuve de la vie; que de faire taire toute voix qui monte des profondeurs de sa réalité corporelle comme n'étant pas digne de confiance; que de réduire le plus possible la quantité d'humanité qui fait le support de sa vie; que de conduire une action continuellement “mortifère” contre tout ce qui est humain en lui ! Et pourtant, selon la doctrine catholique, c’est à ce prix que le chrétien se sanctifie et mérite son salut.






[1].  Theo, Encyclopédie Catholique pour jeunes, DA/Fayard, 1992, p.723.
(Extrait du livre de B. Mori  «Perimé 1» )


LES VIRUS QUI ONT CONTAMINÉ LE CHRISTIANISME

  
L’impact des philosophies dualistes de l’antiquité

On pourra difficilement comprendre le pessimisme qui caractérise la spiritualité chrétienne en général et le caractère fondamentalement torturant de la morale catholique en particulier, si on ne garde pas présent à l’esprit l’impact que les courants philosophiques des quatre premiers siècles ont exercé sur la formation de la pensée chrétienne. Les philosophies de cette période ont en effet fourni aux théoriciens de la nouvelle religion les schémas intellectuels, les instruments logiques et les techniques épistémologiques qui leur ont permis d’élaborer  à partir du noyau original du message du Prophète de Nazareth et d’exprimer, d’une façon systématique, les contenus doctrinaux de la foi chrétienne. Cette formulation marquera d’une façon définitive la théologie de l’Église pour les siècles à venir.
Sortie de la Palestine et de la zone d’influence sémitique, la foi chrétienne se propagea dans les régions de l’Empire Romain et vint en contact avec la culture gréco-romaine. Les païens (”gentiles”) perçurent ce mouvement religieux d’origine juive comme une nouvelle secte, c’est-à-dire comme une nouvelle philosophie ou école de pensée et de comportement semblable aux grandes écoles philosophiques de l’époque (Académie de Platon, le Lycée d’Aristote, le Jardin d’Épicure, le Portique de Zénon). Cette perception amènera les penseurs chrétiens venus de l’hellénisme non seulement à aborder le fait chrétien selon les habitudes de leur culture et de leur formation intellectuelle, mais aussi à l’interpréter à travers le bagage mental et les catégories philosophiques de leur époque. Pour ces nouveaux maîtres chrétiens la nouvelle religion deviendra la seule “vraie philosophie”.

Du premier au quatrième siècle, la pensée et la culture occidentale furent influencées et modelées par les courants philosophiques de l’époque dont les plus marquants ont été le platonisme, le gnosticisme, le manichéisme, le stoïcisme et le néo-platonisme. Pour comprendre certains traits caractéristiques du christianisme en général et de la pensée catholique en particulier il est donc indispensable de connaître les courants d’idées qui ont circulées dans le monde hellénistique dans lequel s’est développée la réflexion chrétienne des quatre premiers siècles.

Pour la commodité du lecteur, je résumerai ici brièvement les affirmations de base de ces anciennes philosophies qui se sont introduites dans le christianisme et qui l’ont, pour ainsi dire, «contaminé». Ces mouvements de pensée ont en commun une vision dualiste de la réalité. Cela signifie qu’ils soutiennent l’existence de deux mondes, de deux principes distincts, séparés et souvent opposés l’un à l’autre, comme l’esprit et la matière, le ciel et la terre, un Dieu bon et un Dieu mauvais, l’âme et le corps, le monde visible et le monde invisible. Ils affirment presque unanimement le double principe de la dérivation de toutes choses de Dieu et celui de leur retour en Dieu. Dieu est conçu comme pur Esprit, comme le Tout-Autre, le Transcendant, l’Indicible, l’Être parfait qui existe au-delà de la réalité sensible et matérielle; principe et fin, l’archétype et la forme exemplaire de tout ce qui existe, seule réalité authentique et parfaite. Ce Dieu se manifeste par son Logos (ou Démiurge) qui est une émanation de la divinité dans le monde matériel et visible et par lequel il y insère ordre et rationalité. Ce Dieu-Logos est considéré comme garant de l’ordre naturel des choses et des lois naturelles qu’il serait néfaste de perturber.

La personne humaine est un composé éphémère et précaire d’esprit et de matière, d’âme et de corps. L’âme humaine est une réalité subsistante, immortelle qui vient de Dieu et donc distincte et séparée du corps, capable de survivre à la vie corporelle,  destinée à retourner à Dieu et auprès duquel elle trouve son bonheur et son accomplissement véritables.

L’existence terrestre et corporelle des humains est considérée comme inauthentique, provisoire, sans valeur véritable; lieu de la lutte, de l’épreuve et de la souffrance; lieu de l’exile que l’on endure dans l’attente de rejoindre un jour la patrie véritable qui est le monde divin de l’au-delà. C’est pour ce monde divin que les âmes humaines sont faites; c’est à ce monde qu’elles sont destinées. La vie humaine sur terre n’est pas importante, car les humains sont appelés à vivre ailleurs et la vraie vie est la vie de l’âme en Dieu. Les humains vivent donc dans l’attente de mourir. Dans cette perception des choses, la mort est plus importante que la vie; la qualité de la mort compte plus que la qualité de la vie. La mort est alors le seul événement vraiment décisif de l’existence humaine sur terre, puisqu’ elle seule est capable de libérer l’âme de la servitude du corps et de rendre ainsi possible son retour à la Source divine qui l’a créée.

Le monde de la matière est un monde mauvais, éloigné de Dieu, sous l’emprise du Mal ou d’une divinité mauvaise, occasion constante de faute et de péché. C’est donc un monde dont il faut se méfier; auquel il ne faut surtout pas s’attacher, duquel il faut s’écarter par la fuite et le renoncement. Mais c’est surtout à travers le corps de l’homme que la matière, principe et siège du mal, exerce son influence néfaste sur l’âme. C’est à cause du corps que l’âme est obligée de vivre loin de Dieu. Le corps est le geôlier et le bourreau de l’âme. Le corps est l’élément qui emprisonne l’âme et la fait souffrir. Le corps, sous l’emprise du Mal à cause de la matière dont il est composé, entraîne l’âme à le suivre dans son penchant naturel vers la corruption et la déchéance.

Ce n’est qu’en gardant à l’esprit ces affirmations des philosophies dualistes qu’il est possible de comprendre pourquoi dans la doctrine chrétienne, surtout dans sa version catholique, le corps est devenu pour l’âme une source et une occasion continuelle de tentation et de péché. Au cours de l’histoire de la spiritualité catholique, le corps de l’homme, mais surtout celui de la femme, a assumé une connotation de plus en plus démoniaque. Le corps humain, source de tentation et de péché, n’est pas plus que “chair”, c’est-à-dire matière réduite à ses composantes organiques. L’âme doit lutter contre les avances du corps ; elle doit se battre pour se libérer des contraintes et des  liens qui l’attachent au corps dans lequel elle se trouve comme dans une prison obscure et de laquelle elle aspire à s’échapper, afin de réaliser son envol vers le monde des archétypes  divins . Elle doit tantôt soumettre et maîtriser, tantôt bâillonner et étouffer les forces et les pulsions d’origine corporelle. L’âme doit se défendre autant contre la violence que contre la fascination séduisante des passions. Elle ne peut faire cela qu’à travers le recours aux techniques de mortification, de répression et de refoulement.

Les manifestations typiquement corporelles et charnelles de l’existence humaine sont suspectes, disqualifiées, souvent étiquetées comme mauvaises et donc condamnées. Cela explique pourquoi, dans une certaine littérature chrétienne, surtout monastique, on en soit arrivé à penser que veiller est meilleur que dormir; jeûner meilleur que manger; pleurer meilleur que rire; gémir meilleur que se divertir ; être célibataire meilleur qu’être marié; être vierge meilleur qu’être sexuellement actif; être homme meilleur qu’être femme.

L’influence de la pensée dualiste dans le christianisme aide à comprendre pourquoi la doctrine catholique a pu imaginer et enseigner une “conception immaculée” de Marie ; pourquoi dans la tradition chrétienne il a été possible d'exalter le martyre; encourager la pratique de la souffrance corporelle; faire l’éloge inconditionné de la virginité et l'apologie du célibat obligatoire pour les clercs; entretenir le mépris et l’exclusion des femmes. Cela explique aussi pourquoi, au cours de son histoire, le christianisme a rarement encouragé, mais souvent diabolisé les sciences naturelles qui se proposent d’étudier et de comprendre la nature et le fonctionnement du corps humain et de la matière (la médecine, la chimie, l’astronomie, les mathématiques). Si cette vie est une vallée de larmes et si notre patrie n’est pas ici bas, à quoi bon soutenir et encourager la médecine qui cherche à guérir les maladies et à prolonger sur terre une existence pétrie de tentations, de péchés et de souffrances? Le salut de l’homme est conçu uniquement comme salut de son âme placé exclusivement en Dieu. Le salut est dans la mortification des passions et des exigences corporelles. Le salut est dans le renoncement et la privation. C’est à cause de la contamination dualiste de la pensée chrétienne que dans le catholicisme la souffrance est devenue le “sacrement“ du salut, car signe du combat douloureux et sanglant que l’âme doit engager pour se libérer des attaches qui la tiennent prisonnière du corps. La souffrance devient alors la norme ou le barème de la perfection et de la sainteté, comme nous le verrons plus loin.

L’influence des doctrines dualistes sur la pensée chrétienne explique enfin le caractère pessimiste, défaitiste, hargneux, souvent apocalyptique d’un certain discours clérical lorsqu’il parle du monde, des réalités terrestres et de la société humaine. À y regarder de plus près, la philosophie dualiste qui a imprégné la réflexion et la théologie chrétienne en Occident, est aussi responsable, en dernière analyse, des dégâts écologiques dont souffre aujourd’hui notre planète. En effet, une fois que l’on a posé comme principe que le monde matériel est un monde mauvais, rien ne s’oppose plus à ce que sa destruction puisse être envisagée comme bonne et souhaitable. Si l’esprit est considéré supérieur à la matière; l’âme supérieure au corps et si le corps et la matière sont la prison de l’esprit, voilà que la domination et la maîtrise du corps et de la matière deviennent un devoir et une obligation pour l’esprit. Cela vaut certainement au niveau de l’individu. Mais ce comportement agressif vis-à- vis de la réalité matérielle a été également transféré et appliquée aux réalités sociales et politiques, pour devenir une attitude collective qui caractérise la société capitaliste de l’Occident chrétien. Le monde physique, les ressources matérielles, la terre et tout ce qu’elle contient, tout est là pour être dominé, exploité par l’esprit de l’homme. Tout est là pour servir l’homme. Tout est là pour profiter à l’homme, pour combler ses besoins, pour augmenter son bien-être, pour produire ses richesses, pour augmenter ses profits. La pensée dualiste a posé les bases théoriques qui justifient l’emprise de l’homme sur la création et qui font de l’homme le maître absolu et incontesté de la nature et du monde matériel. Dans cette conception, la matière n’est pas seulement quelque chose qui emprisonne l’esprit, mais elle devient ce qui est à disposition de l’esprit et ce que celui-ci peut soumettre et utiliser à sa guise. Voilà que les bases sont jetées pour la déprédation de la nature de la part de l’homme, ainsi que l’exploitation inconditionnée et sauvage des ressources naturelles de notre planète qui un jour pourraient conduire la race humane vers sa disparition de la face de la terre.


Extrait du livre de B. Mori  «Perimé1»  

dimanche 27 septembre 2015

LA VRAIE GRANDEUR DE L’HOMME SELON LA PENSÉE DE JÉSUS



(Marc 9,30-37)

Les cultures et les civilisations anciennes ont été, en très grande majorité, gouvernées par des régimes absolus, dictatoriaux et totalitaires, et les structures du commandement toujours établies selon une stricte échelle hiérarchique d’influences, d’importance et de pouvoir. La société des «grands» et des «puissants», appartenant à cette structure hiérarchique (rois, empereurs, chefs militaires, prêtres, nobles, seigneurs) détenait le pouvoir, faisait les lois, avait tous les droits, commandait. Ceux qui étaient hors de cette structure hiérarchique, la masse de gens normaux, n’avait aucun droit et ne pouvait qu’obéir et se soumettre. Ils n’étaient que des serviteurs.

Dans les sociétés ancienne du temps de Jésus, on trouvait normal que la «plèbe» ou le «petit peuple» soit utilisé, exploité, asservi, opprimé, pour que les «grands» puissent maintenir leur pouvoir, leurs privilèges, accroître leur richesse et réaliser leurs ambitions. On trouvait aussi tout à fait normal l’esclavage : c'est-à-dire que des êtres humains puissent être moins humains que les autres; pouvant être acquis et possédés, comme on achète et on possède un objet, un bien, un animal, totalement à la merci des besoins, de la volonté et des caprices de leurs propriétaires

Sauf des rares exceptions (Grèce ancienne du VIe siècle a.c.), le monde ancien, en général, et le monde du Moyen-Orient, en particulier, ne connaissait pas la démocratie. Les anciennes cultures n’avaient aucune idée de l’égalité fondamentale de tous les humains; de l’égalité des sexes; de la valeur inaliénable de la personne et du respect qu’on lui doit. Ils ne connaissaient pas la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Chartes des droits et libertés. Les principes humanitaires et les notions affirmées dans ces documents sont des conquêtes relativement récentes de la société moderne, surtout occidentale (XVIIIe siècle) et encore loin d’être universellement reconnues et appliquées dans le monde actuel (elles sont loin d’influencer les lois des États islamiques).

Au temps de Jésus donc, pour être quelqu’un, il fallait entrer dans la liste et dans la hiérarchie des grands, dans les structures du pouvoir. Sans cela tu n’étais personne; tu n’étais rien. Tu étais un être sans identité, sans valeur, sans défense, sans sécurité, en proie à la cruauté, à la rapacité et aux décisions arbitraires des puissants. C’est pour cela que dans la société juive du temps de Jésus le protocole des préséances, qui réglait la place de chacun dans la hiérarchie des gens en autorité, ainsi que le désir de faire partie du nombre des grands, avait tant d’importance. Ce protocole imprégnait en effet toutes les manifestations autant profanes que religieuses de la vie courante. Il y avait une hiérarchie, un ordre et des préséances à respecter partout: dans les réunions du sanhédrin, à la synagogue, dans les assemblées du Temple, dans l’administration de la justice, dans les places à table, dans le rencontre sur la rue, dans les marques de respect et les salutations à donner ...

Ce n’est pas sans raison donc que dans l’évangile de Marc (9, 30-37) les compagnons de Jésus font des plans, cherchent à établir des manouvres, planifient des stratégies qui leur permettront de s’asseoir, eux aussi un jour, dans la cour des grands de ce monde.

Malgré le fait qu’on l’appelle «Rabbi», c’est au petit peuple sans voix et sans droits que Jésus appartient, c’est parmi les gens simples et pauvres qu’il est né; c’est avec eux qu’il se tient. Ce sont les gens mal-vus et mal-aimés qu’il fréquente presque exclusivement. C’est une société d’exploités, d’exclus, de gens sans valeur, sans dignité, sans protection. Mais c’est son peuple! Dans la pensée de Jésus, cependant, ce peuple de petits est composé de gens qui sont grands, d’une grandeur qui n’est pas comparable à la grandeur des gens de ce monde. Ils sont grands parce qu’ils sont tous des enfants de Dieu, parce qu’ils sont aimés de son Père, parce qu’ils ont un grand cœur, parce qu’ils sont intérieurement libres, donc prêts à changer, à évoluer; parce qu.ils possèdent un potentiel extraordinaire, des aspirations, des attentes …de sorte que Jésus reconnaît finalement en eux, les authentiques bâtisseurs de Royaume de Dieu sur terre.

De sa vie, en contact avec ce peuple et en contact avec son Dieu, Jésus a découvert que la vraie grandeur de l’homme n’est pas dans le pouvoir qu’il exerce, mais dans l’amour qu’il donne; que l’homme est grand non pas lorsqu’il commande, mais lorsqu’il aime; non pas lorsqu’il est en autorité, mais lorsqu’il est en amour.
Jésus a compris que toute la grandeur de l’être humain consiste dans sa capacité non pas à se faire distant, mais à se faire proche de son semblable et à être pour lui une source de joie et de bonheur. Pour Jésus l’homme est grand non pas lorsqu’il pense avoir plus de droits que les autres, lorsqu’il se croit supérieur aux autres, plus puissant, plus important que les autres, mais lorsqu’il se reconnaît égal aux autres, capable d’empathie, d’attention, de compassion, de respect, d’écoute, de disponibilité, de solidarité et de service. Pour Jésus l’homme est grand et vraiment accompli dans son humanité, non pas quand il vit pour soi, mais quand il vit et il existe pour les autres.

Dans son Royaume, c'est-à-dire, dans la communauté de ses disciples, les valeurs sont donc renversées: les premières places, les honneurs, les applaudissements sont réservés à ceux et celles qui son capables d’occuper les dernières places, afin de mettre ainsi en valeur la présence de leurs frères plus petits.

Dans ce texte de Marc, Jésus est présenté comme un maître qui instruit ses apôtres sur le sens et le contenu de l’authentique grandeur humaine:«Vous voulez être grands? Devenez petits! Vous voulez être les premiers? Soyez les derniers! Vous rêvez d’autorité, de noblesse, d’admiration, de prestige? Transformez-vous en serviteurs de tous, accueillez tous et répandez autour de vous tendresse et amour ! Car c’est ainsi que mon Dieu agit; et c’est seulement ainsi que vous lui rassemblerez et que vous serez considérés ses véritables enfants. Et ainsi vous serez vraiment grands aux yeux des hommes et aux yeux de Dieu!».

Et pour donner plus d’impact au contenu de son enseignement, Jésus le visualise et le dramatise pour ainsi dire, par la présence d’un enfant qu’il serre tendrement dans ses bras: Voyez vous cet enfant? - nous dit-il, il est l’incarnation et le symbole de tous ceux qui sont petits, faibles, démunis, insignifiants, qui n’ont pas d’importance, qui ne sont pas dignes d’attention, qui se trouvent dans une situation d’infériorité, de vulnérabilité et de dépendance totale. Eh bien, faites comme moi, ouvrez-leur vos bras, serrez les contre votre cœur, accueillez dans votre vie tous ceux que cet enfant représente. Soyez pour eux des frères aimants et des serviteurs attentifs. Vous serez grands et importants seulement si, dans votre vie, vous êtes capables de donner la première place à ceux qui ne sont ni grands ni importants. Alors vous serez une source d’émerveillement et d’attraction pour tous; vous serez des exemples fascinants d’une humanité accomplie. Et ceux qui vous entourent découvriront en vous la grandeur même de cœur de Dieu.


BM

samedi 12 septembre 2015

Une société de sourds-muets


(Marc 7, 31-37)


Les récits de l’Évangile que la liturgie nous propose chaque dimanche ne sont généralement pas des récits qui ont comme but de nous renseigner sur ce que Jésus a fait à une certaine période de sa vie. Si tel était le cas, le contenu des Évangiles n’aurait aucun intérêt ni aucune valeur pour nous. Car, finalement, en quoi le fait qu’un individu ayant vécu il a deux mille ans et ayant accompli certaines guérisons ou agi d’une certaine manière plutôt que d’une autre, peut bien me concerner ? Les récits des Évangiles ne nous intéressent pas pour leur valeur historique, mais pour leur valeur symbolique. Cela signifie que les récits des Évangiles nous intéressent non pas tant pour ce qu’ils nous révèlent, mais pour ce qu’ils nous cachent; non pas tant à cause de ce qu’ils nous racontent ouvertement et directement (leur contenu matériel ou littéraire), mais par ce qu’ils nous disent indirectement. En d’autres termes, dans les Évangiles, ce n’est pas l’histoire ou l’anecdote qui compte, mais le sens, la signification ou le message que l’Évangile, à travers le conte en question, veut nous transmettre. C’est donc ce sens et ce message qu’il est important de découvrir.

L’Évangile d’aujourd’hui nous amène, avec Jésus, en plein territoire de la Décapole, c’est-à-dire en cette région très peuplée à l’Est de la Palestine (au sud de la Syrie actuelle), où il existait au temps de Jésus, une vingtaine de villes assez proches les unes des autres, avec une grosse population et une intense activité commerciale. On est en plein cœur du commerce, de l’activité humaine et de la vie économique. On est donc loin de la paix, du calme et de la relative tranquillité de la Galilée et de son beau lac.

L’Évangile veut donc nous plonger dans un climat qui nous est familier et créer un scénario que nous connaissons très bien, parce qu’il constitue le milieu dans lequel se coule le quotidien de notre vie: la hâte, la course, les rythmes frénétiques, les queues sur les routes, le trafic exaspérant, le bruit, la confusion, l’énervement, la préoccupation constante du profit et du succès, la hantise de l’efficacité, l’urgence de la productivité, la nécessité de la consommation, la violence et le harcèlement physique et psychologique au travail, la fatigue chronique, la dépression, l’indifférence générale, la méfiance, la peur des autres, d’où la fermeture sur nous-mêmes, l’insensibilité, l’incommunicabilité, le dialogue de sourds...

Oui, c’est vrai! Dans notre vie quotidienne, à cause des conditions de vie que nous avons créées; à cause du style de vie que nous avons adopté; à cause du type de relations que nous avons établies et du type de société que nous avons inventé, nous sommes tous devenus des aveugles, des sourds et des muets. Nous ne voyons plus, nous n’entendons et n’écoutons plus, nous ne dialoguons plus. N’est-il pas vrai que, dans un certain sens, nous sommes tous devenus des sourds? Nous allons toujours tellement vite, nous sommes toujours tellement pressés, nous sommes tous tellement absorbés par nos affaires, que nous avons perdu la faculté et donc la capacité d’écouter. Nous ne savons plus écouter personne: ni nous-mêmes, ni les autres, ni (la voix de) Dieu.

Nous ne savons plus écouter nous-mêmes: nous n’avons plus le temps de nous mettre à l’écoute des besoins de notre intelligence et des aspirations profondes de notre cœur et de notre âme. Nous vivons toujours à la surface ou à l’extérieur de notre être et jamais à l’intérieur. Et, à cause de cela, nous ne nous connaissons pas; nous sommes des étrangers dans notre propre maison. Nous ne sommes jamais descendus à l’intérieur de nous-mêmes, dans ces profondeurs de notre être où se cachent pourtant nos vraies richesses et qui contiennent la meilleure partie de nous-mêmes. À cause du bruit qui nous entoure, à cause du temps et de la disponibilité qui nous manquent, à cause du fait que notre attention est toujours détournée de l’essentiel et toujours tournée vers le contingent et le matériel, nous sommes tous devenus sourds aux appels qui surgissent de l’intérieur de nous-mêmes et qui voudraient nous convier vers une forme d’existence plus accomplie car plus humaine et plus spirituelle.

Nous ne savons plus écouter les autres. Soyons honnêtes, nous sommes devenus une génération de sourds! Nous entendons, peut-être, mais nous n’écoutons plus. Combien de pères sont capables de s’asseoir, de s’arrêter pour écouter vraiment leurs enfants ? Combien de parents sont des sourds devant leurs grands adolescents, qui pourtant leurs parlent à travers les gestes de leur insécurité, de leurs bêtises et de leurs maladresses; ou à travers le langage indirect et souvent inconscient de leurs insatisfactions, de leurs rebellions, de leurs besoins, de leurs cris, de leurs larmes !

Nous n’écoutons que ce qui nous intéresse et quand cela peut nous apporter des profits ou des avantages. Mais nous avons perdu la capacité d’écouter avec le cœur. Ce qui signifie que nous avons perdu la capacité de l’écoute positive, gratuite; de l’écoute amicale, désintéressée; de l’écoute amoureuse, faite pour faire plaisir à l’autre, pour accueillir l’autre, pour valoriser l’autre, pour nous enrichir de l’autre. Ainsi écoutons-nous vraiment notre conjoint, nos amis, nos collègues de travail, nos vieux ? Et quand je dis “écouter” je veux dire “prêter attention” à ce qu’ils disent. assimiler ce qu’ils disent, faire descendre non seulement dans notre esprit mais surtout dans notre cœur leurs paroles, afin que celles-ci puissent susciter une réaction de sympathie, de chaleur et de participation sincère de notre part. Sans cela nos conversations ne sont que des monologues ou des dialogues entre des sourds. Savoir écouter est, en fin de compte, une des plus belles façons d’aimer. La capacité d’écouter est une qualité tellement rare aujourd’hui, que les individus qui la possèdent et qui ont réussi à la développer, deviennent les personnes les plus recherchées et les plus aimées.

Et puisque nous ne savons plus écouter, voilà que nous sommes aussi devenus incapables de parler, de communiquer et de dialoguer. Nous sommes des sourds qui parlent à d’autres sourds. Donc nous parlons inutilement. Nous parlons, mais souvent pour ne rien dire. Et cela non seulement parce que, vivant à la surface de nous-mêmes, nous manquons de profondeur et donc nous n’avons rien de vraiment intéressant, important et valable à dire, mais aussi parce que notre interlocuteur est trop pressé et trop distrait pour saisir et intérioriser ce que nous disons. Nous parlons de la pluie et du beau temps. Nous parlons pour proférer des banalités. Nous parlons pour remplir avec du bruit des silences autrement gênants. Nous parlons sans rien dire. Sans nous en rendre compte, nous sommes devenus muets !

Alors, qui d’entre nous pourra dire ne pas avoir besoin de guérison? Nous sommes tous ce sourd-muet présenté à Jésus pour qu’il le guérisse. Mais Jésus sait que pour lui rendre ses facultés, la seule cure valable est celle de sortir ce malheureux de l’environnement bruyant et accablant de la Décapole; de l’éloigner du stress de la vie; des contraintes du travail et de l’activité; de lui donner la possibilité de ralentir les rythmes et les cadences infernales qui rongent de l’intérieur sa vie et l’empêchent de “s’ouvrir” au plaisir de l’écoute et du dialogue avec le monde qui l’entoure. Voilà pourquoi dans le texte évangélique de Marc il est dit que pour guérir le sourd-muet, Jésus dut l’amener à l’écart, loin de la foule, dans un lieu solitaire. Seulement alors le malade a été capable de “s’ouvrir” et d’entendre finalement, dans l’émerveillement et la joie, la mélodie du monde autour de lui, ainsi que l’extraordinaire nouveauté du message de Jésus.

BM