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mardi 10 mars 2015

Il DÉTRUIT LA RELIGION DU TEMPLE

(Jean 2, 13-25)

L’action de Jésus qui chasse les vendeurs du temple constitue un geste symbolique d’une importance capitale pour comprendre le contenu contestataire de la pensée et de l’activité du Prophète de Nazareth. Par ce geste, Jésus n’exprime pas seulement son opposition aux convictions et aux pratiques religieuses et cultuelles de son temps, mais il proclame la fin de la fonction du temple comme moyen de relation avec Dieu. Le temple, transformé en la plus grande institution financière de l’époque et en un honteux système commercial d’exploitation des plus pauvres de la part des plus riches, est devenu, pour Jésus, un contre-sens et un scandale insupportable auxquels il veut mettre fin. Le temple, comme lieu de la présence divine et comme signe d’élection, a failli à sa mission. Il n’a donc plus aucune valeur ni comme signe religieux, ni comme instrument de salut. Comme n’ont plus aucune importance les services cultuels qu’il offre et les personnes qui les desservent (grand-prêtre, prêtres, lévites, scribes, etc.). Le temple doit donc cesser d’exister.

Jésus ne reconnaît pas le Dieu adoré dans ce temple comme son Dieu. Si dans ce texte d’évangile Jésus appelle Dieu «mon Père», c’est pour qu’il soit clair qu’il ne veut pas identifier son Dieu avec celui du Temple. Ce Dieu du temple n’est pas son Dieu. Ce Dieu du temple, qui justifie l’argent, la richesse, le commerce, le profit, le pouvoir, l’exploitation, l’abattage cultuel de milliers d’animaux; ce Dieu, despote, irascible et punisseur qu’il faut flatter, amadouer, rendre propice par des rites propitiatoires et des sacrifices, n’existe pas. Ce Dieu qui s’abreuve du sang des animaux sacrifiés est un monstre hideux, inventé par la cupidité, la cruauté et la bêtise humaine. Donc ce temple qui le sert, n’a aucune raison d’exister non plus. Vidons-le donc de tout ce qu’il contient, puisque ce qu’il contient n’a absolument aucun importance ni aucune utilité pour le salut de l’homme. Ici Jésus élimine la valeur du temple et donc de toute organisation religieuse construite pour faire croire aux gens qu’ils ont besoin d’elle pour se mettre en relation avec la divinité afin d’obtenir faveurs, protection et salut.

Par ce geste Jésus veut faire comprendre qu’on ne rencontre pas Dieu dans les rites cultuels et l’offrande des sacrifices. Les humains n’ont pas besoin d’offrir à Dieu quoi que ce soit pour lui plaire. Ils n’ont même pas à se soucier de lui plaire, car ils plaisent naturellement à Dieu. Ils sont depuis toujours le produit de son amour.

 Son Dieu n’est pas un Dieu à qui on doit donner, mais c’est un Dieu qui donne, qui se donne. Il n’est pas un Dieu qui veut être servi, mais qui sert et qui se met lui-même au service de l’homme. L’homme ne doit plus sacrifier quoi que ce soit à Dieu; il ne doit pas se priver de son pain pour le lui offrir. Au contraire, nous dit Jésus, c’est Dieu lui-même qui est le pain de l’homme, qui se fait pain pour le nourrir de sa parole, de son esprit et de sa présence. Voilà donc que le fonctionnement de la religion et du temple sont mis à mort. C'est ce que Jésus dira clairement à la Samaritaine quelques jours plus tard quand il remontera en Galilée après la Pâque: "Ce n'est pas à Jérusalem que vous adorerez le Père. Les vrais adorateurs adoreront Dieu en esprit et en vérité". Pour Jésus, c’est le cœur de l’homme qui est le temple de la présence de Dieu en ce monde.

C’est donc toute la religion instituée que Jésus disqualifie ici. Jésus sape ici les fondements mêmes sur lesquels sont bâtis la société, l’économie, la religion et la culture juive de son temps. Lorsqu’on a saisi l’importance symbolique de ce geste de Jésus, on comprend aussi plus facilement pourquoi la bagarre du temple constitue, dans la vie de Jésus un tournant décisif. Elle sera la goutte qui fera déborder le vase de l’hostilité et de l’opposition des autorités religieuses juives contre le prophète de Nazareth et, finalement, l’événement tragique qui déclenchera la décision définitive de son élimination.

Une grande partie de l’activité de Jésus est marquée par cette guerre qu’il a entreprise contre les expressions oppressives du pouvoir et contre les manifestations du paraître, de la simulation et du mensonge. C’est surtout pour fouetter la vanité et l’hypocrisie de certaines classes sociales que Jésus montre une agressivité et une sévérité qui ne finissent pas de nous surprendre. Jésus n’a pas utilisé le fouet seulement contre les marchands du temple, mais il a fustigé avec un plaisir amer et sans mâcher ses mots la fausseté et l’hypocrisie, l‘attachements insensé et ridicule à l’argent et au pouvoir. Je pense que ceux qui s’imaginent Jésus comme une personne calme, tendre, aimable, délicate, qui endure tout et supporte tout, le doux Jésus à l’eau de rose et au visage efféminé tel qu'il nous est souvent présenté par certaines représentations mielleuses de l’imagerie chrétienne, devraient revoir leur idée du Maître. Jésus est un homme de conviction, de transparence, de vérité qui n’a pas eu peur de se mettre contre le pouvoir établi, contre les préjudices, les tabous; qui a lutté pour une religion plus vraie, plus humaine, une société plus juste; qui s’est battu pour rendre conscients les gens de leur grandeur, de leur dignité, de leurs droits: droit à suivre leur conscience et leurs convictions; à ne pas être jugés, à vivre libres; droit au respect, à l’égalité, à l’amour puisque enfants de Dieu…

L’évangile d’aujourd’hui en présentant Jésus, au terme de sa vie, le fouet à la main, veut sans doute attirer notre attention sur la facette violente de sa personnalité afin que nous aussi, ses disciples, nous soyons davantage en syntonie avec l’aspect prophétique du maître de Nazareth. Cela comporte un devenir plus averti, plus éclairé, plus contestataire, plus critique des valeurs, des attitudes, des principes que le monde, la société, et même les institutions religieuses nous proposent, afin que nous ayons le courage de les contester et de les combattre, s’il le faut. Par exemple, combattre la centralité et la supériorité absolue de l’humain sur les autres êtres vivants. Combattre la suprématie de l’argent, du profit, du capital, qui crée richesses pour une minorité avec l’exploitation de la majorité, la lutte des classes, les injustices et la dévastation de la nature qui en suivent. S’opposer à la hantise de la consommation comme moteur indispensable de l’économie, du bien-être social et du progrès. Mettre en question la compétition et le rendement comme lois essentielles et indiscutables du marché et des relations commerciales entre les peuples.

Pour conclure, cet évangile veut nous faire comprendre que désormais Dieu on ne le rencontre plus dans le temple, la synagogue, la mosquée ou l’église par le moyen de l’observance extérieure des rites, des sacrifices, des formules de la prière; mais Dieu est présent partout dans le cœur de tout homme et de toute femme que nous rencontrons sur le chemin de notre vie. Pour Jésus, c’est la personne humaine qui est le temple de Dieu et le lieu de sa présence. Et ne prend de la valeur que le sanctuaire construit par la main de Dieu et qui est finalement le cœur de l’homme.  

Restent ainsi condamnées et disqualifiées toute manipulation et monopolisation de Dieu de la part de n’importe quelle religion; ainsi que toute prétention de posséder en exclusivité la vérité sur Dieu et les moyens de faire sa rencontre et d’obtenir son salut.


MB





LES FILS QUI RÊVENT DE QUITTER LA MAISON PATERNELLE


(Luc 15, 11-32)


Pourquoi le fils cadet abandonne la maison paternelle ? Certainement pas parce qu’il manque de confort et de biens matériels. De la plainte que le fils aîné adressera plus tard à son père (moi je te sers depuis des années et je n’ai jamais transgressé un de tes ordres et toi tu ne m’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis) on peut en déduire que la vie dans la maison du père était caractérisée par le service, l’obéissance et la sobriété. Le fils cadet en a marre de servir, d’obéir et d’une vie d’austérité. Il veut pouvoir vivre à sa façon, sans contraintes et dans une totale liberté; il veut goûter à la vie et s’adonner à toutes sortes d’expériences. Il a la conviction que pour être vraiment heureux et pour se réaliser pleinement et accomplir ses rêves et ses aspirations, il faut qu’il quitte cette maison dans laquelle il se sent étouffé.

 Et un jour il se décide. Il se présente devant son père et lui demande sa part de l’héritage. Et le père fit le partage des biens entre ses deux fils. Il donne tout de suite aussi bien au fils qui demande et à l’autre qui ne demande pas. Ce qui nous frappe dès le début de ce récit, c’est l'extraordinaire condescendance de ce père. Chez lui aucune tentative de retenir son fils. C’est un indice de l’amour grand et respectueux qu’il a pour lui. « Tu penses pouvoir être plus heureux ailleurs! Très bien ! Va, je ne te retiens pas, je ne veux pas t’obliger à rester avec moi; si tu ne veux plus de moi, ou si ma compagnie te limite, t’irrite et t’indispose… va chercher ailleurs! ». L’amour, l’affection, l’attachement, la fidélité, ne se commandent pas…tu peux faire ce que tu veux avec ta vie…avec votre vie. Je vous donne votre argent… je vous rends indépendants … vous êtes libres maintenant de rester ou de partir, parce que je veux que votre vie avec moi soit le résultat d’une libre décision de votre part. Le fils cadet s’en va et le fils aîné reste. L’un et l’autre à la recherche du bonheur : l’un, loin du père, l’autre, dans la maison paternelle, mais l’un et l’autre en excluant complètement la présence du père de la réalisation de leur bonheur.

La parabole nous décrit ensuite les différentes étapes de l’aventure du fils cadet dans ce lointain pays. Après avoir investi tout son capital dans la recherche du bonheur, le fils constate amèrement que ses ressources ne sont pas infinies. En effet, il épuise tout son argent, mais il n’épuise pas sa faim et soif de bonheur Maintenant qu’il n’a plus d’argent, à qui pourra-t-il recourir pour étancher sa soif de bonheur? Personne ne peut l’aider, tous en effet sont dans le besoin, car, dit le texte, il y avait une grande famine dans ce pays. Et le fils constate qu’il risque de mourir de faim : il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient le porcs, mais personne ne lui donnait rien. Cette débâcle a conduit le fils cadet à se rendre compte de trois choses: qu’il n’a jamais possédé a lui tout seul les ressources suffisantes pour satisfaire sa faim et sa soif de félicité; qu’il ne peut pas compter sur l’aide de ceux qui habitent ce lointain pays; que malgré sa bonne volonté et malgré ses efforts les plus héroïques, jamais dans ce pays lointain il aurait été capable de satisfaire sa faim.

Ainsi, ce voyou décide-t-il de rebrousser chemin. C’est certainement plus la faim que le regret ou l’amour envers son père la raison qui le pousse à retourner à la maison. Mais cette canaille a, au moins, une qualité: il sait faire taire son orgueil; il sait passer par dessus sa fierté et son amour propre et assumer une attitude d’humilité et de confiance dans la bonté de son père et dans la capacité d’amour et de pardon que, sans doute par expérience, il sait extraordinaires… et c’est cette humilité et cette confiance qui finalement le sauvent.

Ensuite il y a ce fils aîné qui n’a jamais quitté la maison. Tout un moineau, lui aussi! Ce fils tire au grand jour le paradoxe de l’amour du père. Il nous oblige à toucher de la main cette ambivalence de l‘amour, lorsqu’il est magnanime, total, inconditionnel; lorsqu’il se fait miséricorde. Ce genre d’amour est accueilli par les uns et il est repoussé par les autres comme fou, comme injuste, comme déraisonnable. Et le fils aîné est de ceux qui se révoltent devant cet amour. Le fils aîné, même s’il n’a jamais quitté la maison, n’est pas meilleur que son frère. Lui-aussi rêve de faire la fête avec ses amis. Lui aussi rêve d’évasion, de liberté et d’un bonheur loin de son père et sans les contraintes qu’il trouve dans la maison paternelle. Lui aussi, comme son frère, a faim et soif de bonheur, sans réussir à trouver les moyens de les assouvir. Mai lui, à la différence de son frère cadet n’a ni le courage ni la simplicité de parler avec son père. Il a en a peur; il le considère trop vieux jeu, trop sévère, trop mesquin, trop radin pour lui permettre de vivre des moments de détente et de relâche dans une vie faite de travail, de service et de soumission. Il accumule en silence hargne, agressivité et amertume. Sentiments qui éclatent au grand jour et qu’il ne se gêne pas de déverser à la face du père, lorsqu’il apprend la nouvelle de la fête pour le retour de son frère.

N’avez-vous par l’impression que la situation de ce père au cœur immense, ce père à l’amour débordant et fou est une situation pathétique et terriblement frustrante et décevante? Ces deux fils sont des salauds: le cadet qui fait semblant de l’aimer parce qu’il y trouve finalement son intérêt et l’aîné qui ne l’aime pas parce qu’il ne réussit pas à y trouver des avantages …et lui, le père qui ne sait plus comment il pourrait les aimer davantage et qui se bat pour qu’il puissent être heureux !!!.

Et c’est justement cela que la parabole veut mettre en relief et nous faire comprendre. Bien que souvent nous soyons des saligauds égoïstes et pourris; bien que nous soyons souvent des gens qui s’en fichent éperdument de Dieu et de la religion, bien que nous cherchions souvent notre félicité loin de lui, il reste cependant vrai, nous dit Jésus, que Dieu seulement est notre vrai Père et que seulement à l’intérieur de sa maison et à l’ombre de son amour nous pouvons trouver notre repos, notre joie et notre salut.

MB