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vendredi 14 octobre 2016

LA FOI DE JÉSUS ET LA FOI DE L’ÉGLISE



(Luc 17,5-10)

            Le concept de «foi » occupe une place privilégiée dans le discours de Jésus de Nazareth. Sa signification est assez complexe, mais sur la bouche du Maître ce terme sert fondamentalement à indiquer toutes ces réactions intérieures qui surviennent au niveau du cœur, lorsqu’on est épris d’une personne qui nous paraît unique et extraordinaire et qui soudainement influence le cours de notre vie. Dans les évangiles le mot «foi» sert donc à décrire avant tout l'émerveillement de l’individu devant la qualité humaine de la personne de Jésus de Nazareth et l’attrait et le ravissement qu’il ressent envers lui. Le mot «foi» signifie aussi la disposition du disciple à avoir une confiance totale dans les contenus innovateurs de la parole de son Maître, ainsi que dans les valeurs qu’elle propose. Finalement la foi indique l’attitude qui pousse le disciple à vivre son existence en conformité avec, le projet, les convictions, les principes et le style de vie du Nazaréen, afin de les incarner dans la société et le monde.

            Nous savons que le rêve de Jésus, consistait à vouloir construire un monde plus humain, dans lequel les relations entre les hommes n’étaient plus régies par les règles du pouvoir, de l’oppression, de l’exploitation et de la violence, mais par les attitudes plus humaines du service, du partage, du respect, de l’égalité, de la fraternité, en en mot, par les forces de l’amour. Or cet Amour, qui pour Jésus constitue la substance ou l’essence de la nature de Dieu, le Nazaréen voulait qu’il devienne le principe inspirateur de toute action et de tout engagement humain dans le monde, afin d’instaurer ce qu’il appelait le «Royaume de Dieu» sur terre. Dans la mise en ouvre et dans la diffusion universelle des forces de l’amour, Jésus voyait le secret d’une progression et d’un perfectionnement toujours plus grandissants de la race humaine. Pour dire cela en langage moderne: pour Jésus la capacité humaine d’aimer est la seule force capable de faire évoluer positivement notre monde vers un accomplissement toujours plus parfait, le pétrissant de la substance de Dieu.

            Cela signifie alors que pour Jésus avoir la foi équivaut à se laisser conduire par les mêmes dynamiques qui sont à l’origine de l’agir de Dieu dans l’Univers et qui, par la foi, se manifestent et agissent dans l’humain comme des «énergies aimables» faites de bonté, de compassion, de bienveillance, de tendresse, de respect, de soin, de partage, et d’amour. Pour Jésus ce sont les personnes qui, comme lui, sont mues par ces attitudes «amoureuses» celles qui ont la foi et qui agissent en véritables enfants de Dieu.

            Voilà pourquoi Jésus dira à propos du centurion romain qui lui a demandé de venir guérir son esclave mourant: «Je n’ai jamais trouvé autant de foi en Israël!». La foi à laquelle Jésus fait allusion, c’est ici l’empressement tendre et affectueux de ce soldat païen qui se préoccupe de la santé de celui qui n’était que son esclave, mais qu’il aimait comme s‘il était son enfant.

            Voilà aussi pourquoi chaque fois que Jésus, dans un geste de compassion et de tendresse, se penche sur l’infirmité, la souffrance et la détresse humaines, il demande toujours et d’abord à ses bénéficiaires d’«avoir la foi», c’est-à dire, d’intérioriser son geste de pitié et de bonté pour en faire autant.

            Voilà pourquoi dans ce texte de l’évangile de Luc (17,5-10) les disciples demandent à Jésus d’augmenter leur foi. En regardant agir leur Maître, ils se rendent compte, d’une part, combien ils sont encore loin d’adhérer à son message et, de l’autre, combien ils sont encore loin d’intérioriser ses sentiments et de vivre son style de vie, totalement donné au service amoureux de Dieu et des frères humains.

            Et Jésus de leur dire que s’ils étaient juste un peu plus réceptifs à son enseignement; s’ils avaient juste un peu plus d’amour, s’ils étaient juste un peu moins centrés sur eux même et un peu plus ouverts et attentifs aux autres, ils pourraient faire bouger des montagnes, accomplir des merveilles autour d’eux. Car un peu plus d’amour dans le cœur de chaque personne peut faire toute la différence entre un monde vivable et un monde invivable. Un peu plus d’amour dans le cœur de chacun peut constituer une force immense de transformation et de renouveau capable de balayer une grande partie des malheurs et des injustices de la face de terre. Juste une petite graine de plus de cette «foi», annonce Jésus - et les disciples auraient à leur disposition la force de Dieu qui change le monde.

            Malheureusement, il faut admettre que l’enseignement religieux que nous avons reçu à l'église au cours de notre éducation chrétienne (catéchisme, prédication...) nous a inculqué une toute autre notion de la «foi». Si pour Jésus la foi consistait dans les gestes désintéressés de l’amour qui se déploie sans réserve au service des autres (surtout s‘ils sont faibles, pauvres et vulnérables); si dans les Évangiles la foi était synonyme de choix, de liberté, de courage, d’engagement, de volonté de calquer sa propre vie sur celle du Maître; si pour Jésus la foi était surtout une question de cœur et de passion,... pour l’enseignement catholique, la foi est devenue un aride exercice intellectuel qui doit amener le croyant à accepter, sans discuter et sans douter, toute une série d’affirmations doctrinales et dogmatiques que le magistère officiel déclare inspirées par Dieu et par conséquent nécessaires et obligatoires au salut.

            De toute évidence, cette foi que j’appellerai «ecclésiale», est loin d’être une foi qui transforme la vie de la personne et qui améliore la qualité du monde, grâce à la mise en ouvre des valeurs que Jésus nous a laissées. Cette foi ecclésiale est constituée d’un système de formules abstraites, comparable à un «mot de passe» que le chrétien doit mémoriser et garder toujours à l’esprit pour pouvoir entrer dans le programme catholique où il aura accès à tout ce dont il aura besoin pour bâtir sa «justice» et sa sainteté et pour se sentir en paix avec sa conscience, avec son Église et avec son Dieu.

            Ce genre de foi est donc essentiellement un phénomène cérébral qui peut exister dans l’esprit d’une personne sans affecter moindrement ni son cœur, ni son comportement quotidien, ni la situation du monde extérieur autour de lui. C’est une foi qui sert uniquement de décoration et de signe d’identification d’un membre au sein d’un système religieux dans lequel le seul avantage que le membre en retire est la bonne conscience d’appartenir à une communauté d’élus, dans laquelle il trouve tous les moyens de son salut et la garantie d’avoir accès à la plénitude et à la «splendeur» de la vérité (Pape Jean-Paul II).

            Selon cette foi ecclésiale, ce qui sauve le chrétien ce n'est pas son adhésion à l’enseignement de Jésus, mais son adhésion à l’enseignement de l’Église. D'après cette foi, même si le monde est ravagé par la cupidité humaine; même si les relations entre les peuples et les nations sombrent dans le chaos de l’injustice, de l’intolérance, de la haine et de la violence, cette foi ecclésiale permet aux chrétiens de rester les bras croisés et de vaquer tranquillement à leurs petites affaires, pourvu qu’ils soient des croyants soumis à l’autorité du pape et qu’ils gardent inébranlable leur foi dans les dogmes du péché originel, de la Sainte Trinité, de l’Incarnation de Dieu, de l'immaculée virginité de Marie et de son assomption corporelle au ciel, de la transsubstantiation et de l’infaillibilité du Pape...

                   Lorsqu’on regarde la foi que l’Église exige de ses fidèles, on se rend compte que cette foi, étant une attitude exclusivement intellectuelle, est aussi un phénomène totalement stérile, entraînant même souvent des conséquences néfastes. En effet, cette foi peut exister sans avoir aucun impact sur les options fondamentales de la personne, sur son comportement et sur la situation du monde. Par exemple, l’adhésion indiscutable de Charles Magne à tous les articles de foi formulés dans le Credo de Nicée-Constantinople ne l’a pas retenu, au nom de cette même foi, de faire tranquillement décapiter, en l’année 782 à Verden, quatre mille cinq cent Saxons en une seule journée.
Semblablement, la foi du pape Alexandre II dans les affirmations dogmatiques de ce même Credo ne l’a pas empêché, en 1063, d’écrire à l’archevêque de Narbonne que ce n’était pas un péché que de verser le sang des infidèles ou de prendre part à une guerre utile aux intérêts de l’Église et que de telles actions étaient même louables et méritoires comme l’aumône et le pèlerinage.

            Je pense que les chrétiens modernes doivent relativiser beaucoup la nécessité d’adhérer à cette foi «ecclésiale» exigée par les autorités relieuses et dont le condensé indigeste continue à être proposé dans les différentes formulations du «Credo» proclamé à chaque eucharistie dominicale.
Je pense que de nos jours les chrétiens doivent plutôt se laisser conduire par la réaction amoureuse et émerveillée que la rencontre avec la personne et la parole de Jésus de Nazareth a suscité dans leur cœur. Cela fera d’eux des chrétiens plus vrais, plus libres, plus indépendants, plus critiques, plus adultes et, certainement, plus engagés à faire passer l’esprit d’amour du Maître de Nazareth dans le concret de leur vie et dans le monde dans lequel ils opèrent.

          Le texte de Luc qui est proposé ici à notre considération nous interpelle sérieusement sur la nature et la qualité de notre foi.
Je pense qu’il est facile de comprendre qu’en tant que disciples de Jésus, nous devons nous laisser modeler par ses valeurs et avoir foi en la possibilité de nous changer et de changer le monde en vertu des forces de l’amour. Car une foi qui ne rend pas plus humains les croyants et qui ne transforme pas le monde est une foi complètement inutile.

            Je pense que, fondamentalement, la foi est le produit de deux amours qui se cherchaient et qui, en se rencontrant, éclatent en mille feux pour embraser et bouleverser, changer la vie des amants à tout jamais. Lorsque, dans l‘amour, on peut dire d’une personne qu’elle a toute notre confiance ou que notre foi en elle est totale, cela signifie que cette personne est devenue vraiment importante pour nous. Cela signifie qu’elle occupe un grande place dans notre cœur; qu’elle fait partie désormais de notre vie et qu’elle la marque à tout jamais par la fascination qui se dégage de sa seule présence.

            Le Maître de Nazareth à exercé ce genre d’attraction sur les personnes qui l'ont fréquenté. J’aime penser que c’est sans doute à cause de cela que la foi et la confiance que ses disciples avaient en lui les a radicalement transformés en des individus nouveaux, capables de déplacer des montagnes.

Quant à nous, les nouveaux disciples du XXIe siècle, qu’en est-il de notre foi ?



BM


CES ATHÉES IMBIBÉS DE FOI …



(Luc 17,5-10)


            Nous vivons dans un monde sécularisé, laïc, technologique, scientifique, athée. L’hypothèse « Dieu » n’est plus nécessaire pour expliquer l’existence de la réalité, car les sciences ont trouvé presque toutes les réponses à nos questionnements sur les phénomènes qui nous entourent. Autrefois la religion était nécessaire à l’explication de la réalité … plus maintenant! Dieu était le « Deus ex machina » auquel on avait recours et que l’on faisait intervenir pour expliquer les innombrables « mystères » qui nous entouraient. La religion (avec ses théories et ses doctrines) et donc la foi en Dieu permettait à l’intelligence humaine de trouver une certaine satisfaction, un certain apaisement, parce qu’en elle l’homme trouvait une explication aux phénomènes naturels et une réponse autant à sa quête existentielle qu’à sa quête intellectuelle.

            Dans notre monde moderne, par contre, la foi en Dieu n’est plus nécessaire pour expliquer la réalité. Si autrefois il était difficile de vivre sans une foi, aujourd’hui il est difficile de vivre avec une foi qui apparemment ne sert plus à grand-chose. D’où la crise de la foi qu’expérimente notre société occidentale. La foi est devenue superflue. La foi semble le vestige d’un monde passé. Ceux et celles qui ont encore la foi sont regardés comme des individus « bizarres », dépassés, du Moyen-âge, d’un autre monde, qui ne sont plus « dans le coup ». Les contenus de la foi religieuse en général et de la foi chrétienne en particulier, sont considérés comme dérisoires et insignifiants. Les athées éclairés de nos temps modernes les assimilent volontiers, avec une ironie moqueuse,  à des contes, à des mythes, à des révélations venant d’un au-delà inexistant, à des histoires farfelues et rocambolesque inventées à une époque où l’humanité vivait à l’enfance de son évolution, dans une totale obscurité intellectuelle, sous l’emprise de l’ignorance, de la peur et de la superstition.

            Nos incroyants modernes, eux, sont, les fils des Lumières; ils appartiennent à la génération du Big-Bang, de l‘Internet, de l’informatique, des satellites artificiels, de la Station spatiale, des voyages interplanétaires, des quarks, du boson de Higgs, de la particule de Dieu, de l’équation magique qui fournira sous peu, en une seule formule mathématique, l’explication du tout… Eux, sont les gens qui savent où ils s’en vont et ils pensent n’avoir plus besoin de la béquille de la foi…

            Mais en est-il vraiment ainsi? Pouvons-nous vraiment vivre sans une foi? Croire en quelque chose qui nous vient d’ailleurs, à une réalité qui nous dépasse, est-ce vraiment signe d’obscurantisme et de stupidité? Mettre notre confiance et notre bonheur en un Être que nous croyons plus grand que nous et dans lequel nous pensons trouver l’accomplissement de nos aspirations et de nos désirs les plus profonds, est-ce vraiment signe de naïveté ? Ceux qui se proclament athées, ceux qui disent ne pas avoir besoin de croire en Dieu, sont-ils vraiment sans foi? Pas vraiment! Parce que nous, les humains, nous sommes ainsi faits que nous ne pouvons vivre sans une foi, sans croire en quelque chose. Si nous ne croyons pas au Dieu d’une religion, nous nous fabriquons nos propres dieux, nos propres rites et nos propres religions.


            Nous croyons en la capacité de l‘argent de nous rendre heureux. C’est une foi! Nous avons foi en l’honnêteté fondamentale de nos institutions démocratiques et de notre système de gouvernement. Nous avons foi et nous faisons confiance aux compétences de nos médecins et de notre système de santé…Nous avons foi en les personnes que nous aimons, nous faisons confiance aux gens qui nous entourent, car sans cette foi et cette confiance, la vie nous serait impossible.

            Et ceux qui ont écarté comme révolue et anachronique la foi au Dieu de la religion et de la révélation, sont-ils vraiment capable de vivre sans un dieu dans le concret de leur existence? Ils disent ne pas croire en Dieu, mais par contre ils se fabriquent leurs propres idoles, ils se décorent d’amulettes auxquelles ils rendre un culte fervent, passionné et fidèle. Ils ne peuvent pas vivre sans leur télévision, sans leur I Phone, leur Blackberry, leur ordinateur, leur console de jeux vidéo, leur bière; ils rendent un culte inconditionnel à leur ligue de football, de soccer, de hockey; ils deviennent hystériques dans un match de hockeys; au cours d’un spectacle d’un chanteur pop; ils sont obsédés par le culte du corps, de la minceur, de la beauté, de la séduction…. Ils sont superstitieux; ils croient à l’influence des astres, à la bonne ou à la mauvaise étoile, au destin; ils consultent leur horoscope; ils vont voir les cartomanciennes et les voyantes; ils tirent aux Tarots; ils sont fascinés par les médiums qui communiquent avec les morts; ils croient dur comme fer au pouvoir bénéfique et salutaire des pierres ou des parfums; il croient au pouvoir libérateur et pacifiant de la méditation transcendantale, dans le yoga et le bouddhisme; ils trouvent stupide de prier Dieu, mais ils s’adonnent à la récitation de mantras pour obtenir l’éveil de l’âme consciente; ils se fient au future dévoilé par les lignes de la main…

            Ils considèrent ridicules les rites et les gestes des religions, mais par contre, dans leur vie ordinaire, ces soi-disant incroyants éclairés s’entourent de toutes sortes de manies et de comportements. Tout cela ne constitue-t-il pas une forme de religion, avec son culte, ses rites et ses dieux?

            La demande que, dans l’évangile d’aujourd’hui, les disciples adressent à Jésus est donc, pour nous d’une pertinence et d’une actualité extraordinaire. «Aide nous à augmenter notre foi! » signifie : «Aide-nous à ne pas nous limiter et à ne pas nous renfermer dans les croyances et les idoles que nous nous formons et nous construisons continuellement dans nos vies….. Aide-nous à dépasser cela! Amplifie, rehausse la tendance que nous avons à croire à n’importe qui et en n’importe quoi, afin que nous devenions capables de donner de la valeur et de faire confiance, nous aussi, aux forces de salut dans lesquelles tu crois et auxquelles, nous aussi, tes disciples, nous voulons abandonner notre vie.

            La foi chrétienne sera et restera toujours en acte de confiance et d’abandon, outre le résultat d’une grâce et d’une rencontre personnelle avec Jésus de Nazareth. Elle est toujours la conséquence d’une amitié, d’un émerveillement, d’un attachement, d’un Amour que nous avons délibérément et volontairement choisi comme notre modèle, notre guide, notre maître, et, pourquoi pas, comme notre seigneur et dans les mains duquel nous avons abandonné, en toute confiance, l’orientation et la réussite finale de notre existence.


MB