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vendredi 25 novembre 2016

LA FIN DU MONDE OU LA FIN D’UN MONDE ?....

( Luc 21,5-19) - 33e dimanche ord.C

 Les chrétiens pour lesquels l’Évangéliste Luc autour des années 80-85 écrivait son évangile, étaient aux prises avec trois grosses questions auxquelles l’auteur cherche à donner une réponse pour tranquilliser les croyants. Quelles étaient les questions qui angoissaient ces anciens chrétiens?

Premièrement : la disparition du temple de Jérusalem (détruit en l’an 70 par l’armée romaine de Tite) et de la ville elle-même, suivie de la subséquente dispersion du peuple juif hors de la Palestine. C’était la fin du judaïsme en tant que religion identifiée à un territoire et à un État. Or le temple de Jérusalem était, avec sa ville, le symbole de l’alliance de Dieu avec le peuple juif; le signe tangible et visible de l’élection, de la bienveillance et de la présence de Dieu au milieu du peuple auquel Dieu avait juré une protection et une fidélité éternelle. Comment Dieu avait-il pu oublier ses promesses et abandonner de la sorte une nation qu’il avait pourtant élue pour être guide et lumière pour toutes les autres nations de la terre ? Dieu serait-il infidèle ? Dieu ne maintiendrait-il pas ses promesses ? Dieu aurait-il châtié ainsi toute une nation parce que ses chefs n’auraient pas reconnu en Jésus de Nazareth son envoyé et son messie ? Dieu serait-t-il à ce point cruel, rancunier et partisan, alors que Jésus avait pourtant enseigné qu’il est un Père qui aime tous sans distinction de religion, de culture et de race ? Un vrai dilemme donc pour les adeptes d’un mouvement spirituel issu du judaïsme.

Deuxième point qui tracassait les chrétiens du temps de Luc était la constatation qu’eux aussi subissaient toutes sortes d’épreuves et de vexations. En Palestine, ils étaient haïs, pourchassés, emprisonnés et tués par les autorités religieuses juives. En dehors de la Palestine, ils étaient persécutés par les autorités civiles romaines qui les soupçonnaient et les accusaient de trahison et de différents autres crimes. Sans parler des drames et des contestations qui pouvaient surgir au sein d’une famille lorsque quelqu’un de ses membres adhérait à cette nouvelle secte et se convertissait à cette nouvelle foi. Si ces anciens chrétiens pouvaient comprendre que Dieu avait pu délaisser, d’une certaine façon, son ancien peuple, ils éprouvaient de la difficulté à accepter que Dieu n’accorde pas plus d’attention et de protection à son nouveau peuple, à cette nouvelle communauté qui avait adhéré à Jésus et qui avait cru à sa mission d’envoyé et de messie de Dieu.

Le troisième point qui préoccupait les chrétiens du temps de Luc était la question de la fin du monde. Cet argument enflammait les esprits, causait toute sorte d’états d’âme, allant de la panique à l’exaltation. Il était une source de continuelles discussions, de suppositions, de création de scenarios rocambolesques et fantastiques, les uns plus bizarres que les autres. Autant les juifs (y compris Jésus) que les chrétiens étaient convaincus que Dieu s’apprêtait à intervenir d’une façon drastique pour mettre fin à ce monde tel que nous le connaissons, pour en commencer un autre meilleur ici ou ailleurs.

Dans son évangile Luc intervient pour mettre les choses dans leur juste perspective, pour éclairer et rassurer ces chrétiens traumatisés et inquiets, afin qu’ils puissent vivre leur foi dans la paix et la sérénité. Et il fait cela en attribuant ici à Jésus un discours, des paroles, des affirmations, dont la fonction est d’établir ses disciples dans la confiance en la bonté et l’amour d’un Dieu qui ne peut pas se démentir, même si toutes les apparences apparaissent parfois contraires.

Les questions et les peurs des chrétiens du premier siècle ont changé maintenant de contenu, mais elles continuent à angoisser avec la même acuité les gens du XXIe siècle.
Combien de fois, devant des conjonctures difficiles ou à des événements dramatiques, nous sommes tentés de dire : « C’est la fin du monde !». Cela peut être dû à des situations d’injustices sociales flagrantes, à des cas de corruption, de désordre moral ; aux mauvaises nouvelles que nous lisons dans les journaux ou que nous entendons à la télévision. Cela peu été causé par la prise de conscience que nous vivons sur une poudrière qui peut sauter en l’air à n’importe quel moment ; car les hommes dans leur stupidité et leur folie, ont pensé que la meilleure façon de se sentir en sécurité c’était de miner la planète avec des milliers de bombes atomiques enfouies et parsemées un peu partout autour du globe. C’est le fanatisme religieux qui sévit dans le monde et qui est à l’origine des conflits armés, du terrorisme international, de l’exode massif de populations entières à la recherche d’endroits plus sécuritaires et plus pacifiques. C’est la détérioration de l'environnement, l’exploitation insensées des ressources naturelles, la destruction des écosystèmes nécessaires au maintien et au développement de la vie... et tout cela causé uniquement par la cupidité et la bêtise humaines. Ce sont les bouleversements climatiques causés par le réchauffement, par la pollution et la déforestation, C’est la pauvreté endémique de la majorité des habitants de la terre, la malnutrition, l’esclavage, les injustices sociales, l’inégale distributions des ressources et des richesses…Tout cela génère la conviction que l’humanité est en danger. Cela produit l’impression que nous allons à la dérive : sinon vers la fin du monde, certainement vers la fin de l'humanité. Et le tragique, ou le ridicule, de la situation que nous sommes en train de vivre consiste proprement en cela : que c’est nous, les humains les seuls coupables des maux dont nous souffrons ; les seuls responsables de la peur que nous ressentons et des malheurs que nous nous infligeons. Tout cela est causé en effet, et presque exclusivement, par notre cupidité et par notre consumérisme démesuré et irresponsable.

Il n’est pas possible alors d’entrevoir ou de programmer un avenir de justice, de bien-être et de paix tant que l’égoïsme et le profit individuel sont érigés en système opératif et en norme de vie. On ne peut pas rêver d'une Planète saine, propre, luxuriante et d’une humanité prospère et en bonne santé si, pour faire plus d’argent, nous empestons avec nos pesticides les terres cultivables; si nous contaminons l’air que nous respirons; si nous empoisonnons les nappes phréatiques qui nous fournissent l’eau que nous buvons; si nous détruisons les forêts qui absorbent le dioxyde de carbone (CO2), principal responsable du réchauffement planétaire, avec toute les fâcheuses conséquences que cela entraîne pour la survie de l’humanité (changements climatiques causés par les bouleversement des courants d’air et des courants marins, l’augmentation du niveau des océans, inondations, disparitions de terre habitables, etc.).

On dirait que la hantise du profit a rendu les hommes tellement aveugles et stupides qu’ils sont incapables de voir et de comprendre qu’une Planète malade ne pourra jamais produire une humanité saine et que le rêve tant proclamé d’un bien-être et d’un progrès infinis, obtenus par une exploitation et une consommation indiscriminée et sans mesure des ressources naturelles, peut transformer ce rêve en cauchemar et faire régresser l’humanité à l’Âge de pierre.

On a l'impression que dans cette époque de libéralisme industriel et de capitalisme économique, pour la grande majorité des hommes d’affaires de notre temps le bien de leur portefeuille est plus important que le bien de notre race. Face à tout cela, il est juste de se soucier. Mais notre préoccupation ne sert à rien si elle n’est pas accompagnée d’un changement radical dans notre façon de penser, d’agir, de valoriser les priorités et de voir notre relation avec cet Univers qui nous a mis dans l’existence et duquel nous dépendons entièrement.

C’est un fait qu’aujourd'hui beaucoup de gens ont peur de l'avenir. Les parents s’interrogent avec anxiété sur ce que sera le futur de leurs enfants. Nous nous rendons compte que le futur est loin d'être assuré et rassurant: dans cent ans, aurons-nous encore des bons sols à cultiver ? Assez d’eau potable pour satisfaire nos besoins et une bonne qualité d’air respirer ? Assez de forêts et de milieux naturels où la vie et la diversité des espèces peuvent se maintenir et prospérer ? Aurons-nous assez de nourriture pour tous, assez de travail, de soins, de sécurité économique, de justice, de respect mutuel, de tolérance, de fraternité, de paix ? Nous sommes inquiets, parce que nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve, étant donné que nous avons devant les yeux les signes évidents et inquiétants d’une humanité qui semble avoir perdu la raison.

Ces textes « apocalyptiques » de l’évangile de Luc que nous lisons en ce XXIe siècle ne sont pas étrangers à nos préoccupations et à nos états d’âme, qu’ils viennent plutôt raviver. Certes, le langage que Luc met ici sur la bouche de Jésus sont loin d’être clair et bien articulé, de sorte qu’il est difficile pour nous aujourd’hui de saisir de quoi Jésus veut parler précisément. Mais une chose est certaine : ces textes veulent aider les chrétiens à vivre dans la confiance.

En définitive, le message que ces textes veulent transmettre est le suivant: quoi qu'il arrive... Ne vous effrayez pas... Ne vous appuyez pas sur des valeurs qui ne sont pas définitives.... Rien n’est stable dans l’Univers, mais tout évolue vers une complexité et un perfectionnement plus grand. Et cela à travers des catastrophes et des cataclysmes d’une ampleur et d’une puissance inimaginables. Il est nécessaire que des mondes, des époques, des pans d’histoire se terminent et meurent pour que du nouveau et du neuf puissent apparaître. C’est la logique inscrite dans la nature de tout ce qui existe et qui est une expression et une révélation du bouillonnement de vie qui existe en Dieu lui-même.

Dans ce passage de l’évangile de Luc, Jésus semble donc nous inviter à garder espoir et à ne pas céder à la tentation du pessimisme. Pourquoi cela? Parce que Jésus a confiance en l'intégrité fondamentale de l’homme et en la bonté du cœur humain. Jésus veut nous convaincre que les humains sont doués de raison ; qu’ils possèdent une certaine dose de sagesse et qu’ils seront donc en mesure de ne pas perdre complètement la tête. Jésus refuse de croire que l'homme puisse être irrémédiablement égoïste et corrompu par l’attrait de ce qui est mal pour l’ensemble de ses semblables. Il refuse de croire que l'être humain, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, ne soit pas capable de trouver dans les profondeurs de son cœur ce trésor caché de sagesse, de lucidité, de bonté et de grâce qui lui permettra de voir clairement les chemins à emprunter pour se sauver lui-même et pour sauver le monde de la catastrophe.

Jésus est toujours prêt à parier sur le bon sens et la bonté foncière de l’être humain parce qu'il croit dans l’amour total de Dieu à son égard et dans les effets de la présence mystérieuse de Dieu au cœur de l’homme. Et cela conduit Jésus à avoir confiance en l'homme et dans l'humanité. Jésus est convaincu qu’il y a toujours quelque chose de beau, de bon et de merveilleux dans chaque personne, puisque chacun de nous est l’objet de l'amour et de la tendresse d'un Dieu qui veut être notre père. Jésus refuse de penser qu'une personne puisse être complètement mauvaise si elle est voulue et aimée de Dieu.

Voilà pourquoi Jésus veut croire qu'il y a toujours de l'espoir pour l'homme aussi longtemps qu'il réussit à garder dans sa vie un espace pour Dieu. Voilà pourquoi le message de Jésus est un « évangile », c’est-à-dire une « bonne nouvelle » d’espérance et de salut possible pour tout le monde. C’est seulement s’il est séparé de la Source de son être, que l'homme risque de se vider de son humanité et de se précipiter dans un gouffre de ténèbres qui peuvent l’anéantir. Mais aussi longtemps qu’il réussira à s’abreuver à cette Source, «pas un seul cheveu de sa tête ne se perdra » sans la permission de Dieu. (Luc 21,18).

Voilà pourquoi nous les chrétiens, disciples du Nazaréen, nous devons être optimistes à propos de l'avenir du monde et de l'humanité. Comme Jésus, nous devons croire que, malgré toutes les apparences contraires, le cœur de l'homme n’est jamais totalement corrompu. Nous devons croire que dans le monde le bien est toujours plus abondant que le mal ; qu’il il y a plus de bonté que de méchanceté ; plus d'altruisme que d’égoïsme ; plus d'amour que de haine. Certes, le mal est plus visible que le bien ; mais le bien, même s’il est caché, est la levure, la pulsion, la force secrète qui garde en vie l’humanité et qui soutient le monde entier.

Pour terminer sur cette note d'espoir, je veux citer ici un beau texte extrait du testament de Martin Luther King: «Aujourd'hui, dans la nuit du monde et dans l’attente de la Bonne Nouvelle, j'affirmer avec force ma foi dans l'avenir de l'humanité. Je refuse de croire que dans la situation actuelle, les hommes ne soient pas en mesure d'améliorer la terre.
Je refuse de croire que l'être humain soit un brin de paille transporté par le vent, sans possibilité d’influencer moindrement le cours des événements. Je crois que la vérité et l'amour inconditionnel auront le dernier mot. Je crois fermement que, même parmi les bombes qui éclatent et les canons qui tirent, reste toujours vivant l'espoir d'un avenir meilleur. J'ose croire qu'un jour tous les habitants de la terre recevront trois repas par jour pour nourrir le corps, éducation et culture pour nourrir leur esprit, ainsi qu’égalité et liberté pour qu’ils puissent enfin vivre dans une société plus humaine… » ".


BM


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