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jeudi 1 décembre 2016

LES DANGERS DE LA STUPIDITÉ HUMAINE

(Mt. 24,37-44 – 1er dimanche de l’Avent A - 2016 )


            Depuis l’antiquité les écrivains des livres sacrés ont certes chanté la bonté de ce monde sorti de la Source Créatrice revêtu d’une éblouissante beauté ; mais ils ont surtout pleuré sur la bêtise humaine qui a vite enlaidi pareil chef d’ouvre d’harmonie et de grâce avec la turpitude du « péché ». Leurs textes sont donc souvent assombris par leurs lamentations sur l’étourderie et l’aveuglement des humains, incapables de lire et d’interpréter, dans leurs sociétés et dans la nature, les signes annonceurs des catastrophes imminentes. Dans les évangiles, Jésus aussi a uni sa voix à celle de ces anciens prophètes pour inviter ses disciples à se réveiller, à soulever la tête, à ouvrir les yeux, à regarder loin, au-delà de leur petites routines, vers les vastes carrefours du monde, vers la route de la mer sans limites, au delà des frontières du pays de Zabulon et de Nephtali (Mt.4,15), afin de pouvoir saisir les signes d’un malaise universel, les symptômes d’un monde qui semble sur le point de s’effondrer à cause, non pas d’une décision de Dieu, mais de la démence et de la convoitise humaine. Car cela est en train d’arriver, dans l’apathie et l’indifférence générale, sans que personne ne se doute de rien.

            Jésus, qui était un rêveur, un spirituel et un homme de Dieu, était convaincu que la fin de ce monde aurait marqué le début d’un monde nouveau dans lequel Dieu lui-même serait intervenu pour le rebâtir sur d’autres bases, d’après d’autres paradigmes et avec des humains complètement renouvelés et améliorés. Mais Jésus, qui était aussi un homme réaliste, savait que cette intervention de Dieu qui était souhaitable, serait cependant restée longtemps dans le domaine du mystérieux et de l’imprévisible, peut-être aussi seulement dans le domaine du désir ou de l’utopie, étant donné que, finalement, personne ne savait vraiment comment et quand cela se réaliserait.

            Alors, ce qui pour Jésus était important, c’était de susciter chez ses disciples la soif d’un monde différent, ainsi que la prise de conscience que celui dans lequel ils vivaient était loin d’être exemplaire ; et de les convaincre que seulement à travers leur conversion, leur responsabilité et leur engagement actif, l’intervention de Dieu aurait pu être efficace dans l’instauration de ce monde nouveau qui, pour Jésus, devait ressembler  à un genre de « royaume de Dieu » sur terre.

            Éveil, prise de conscience, changement intérieur, engagement, mais aussi et surtout espoir et « attente »: voilà les postures intérieures qui, pour le Nazaréen, auraient pu faire la différence entre détermination et résignation, entre dynamisme et fatalisme, entre un monde humain et un monde inhumain, entre une planète saine et une planète malade, entre un future encore envisageable ou une catastrophe assurée.
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            C’est donc avec raison que Jésus exhorte ses disciples à développer en eux la disposition de l’« attente». En effet l’attitude de l’attente est intimement liée à la conviction de la faisabilité de ce que l’on attend. Car attendre c’est croire fermement que ce que l’on attend peut et, sans doute, finira par se réaliser. Ce serait de la folie, en effet, que d’attendre l’impossible. Susciter dans l‘homme l’attitude de l’attente équivaut donc à susciter en lui le désir d’accomplir, ou d’aider à ce que s’accomplisse, ce que son cœur attend et espère. C’est lui instiller la confiance dans ses capacités de se sauver et de sauver le monde. C’est lui faire comprendre que sa réussite et sa perte, sa vie et sa mort, ne dépendent que de lui, parce qu’il est le seul forgeur de son destin et de celui de la planète qui l’accueille. C’est le convaincre que le futur de son monde et de son espèce est entre ses mains. C’est croire en la bonté foncière de son cœur et dans la bonne qualité de sa raison. C’est parier sur l’homme et avoir confiance en l’homme qui attend et qui espère, avec la certitude qu’il aura les capacités de faire «advenir» l’objet de ses attentes et de ses désirs.

            Je pense que depuis toujours la grande faiblesse des humais a été leur aveuglement, leur stupidité et leur irresponsabilité, rendus possibles par la recherche angoissée de leur sécurité et de leur bonheur immédiat. Centrés comme ils sont sur la réalisation de leur bien-être et de leur réussite individuelle, l’étendue de leur regard ne dépasse pas le périmètre restreint de leurs préoccupations et de leurs intérêts personnels. Nous, les humains, nous limitons généralement le monde presque exclusivement à ce qui tourne autour de notre personne. Au-delà de notre petit monde, le grand monde, le vrai monde, n’existe pas et la diarrhée de notre caniche de luxe nous affecte émotionnellement plus que les 795 millions de personnes qui souffrent de la faim autour du globe.

            L’origine de cette insensibilité et de cette inconscience doit être principalement recherchée dans notre incapacité de nous voir comme une partie intégrante d’un Tout, appelé «uni-vers» où toute ses composantes, unies et interdépendantes, tendent justement «vers l’unité». Nous avons beaucoup de difficulté à admettre que l'Univers est prioritaire et que nous sommes secondaires ; que nous devons organiser nos activités en fonction du bien-être du monde et donc du milieu naturel dans lequel nous vivons, et non pas l’exploiter en fonction de nos profits. Nous avons beaucoup de difficulté à comprendre que nous devons vivre aux rythmes de la bonne respiration de notre planète ; et non pas l’essouffler en le pliant aux cadences de notre voracité. Beaucoup parmi nous ne réalisent pas encore que notre salut dépend du salut des ecosystemes, c'est-à-dire du milieru naturel dans lequel nous vivons ; ou qu’il est impossible d’être en bonne santé si notre terre est malade; ou de continuer à vivre, si la terre se meure. Il faut saisir que nous vivons en symbiose profonde avec toutes les créatures de notre monde, avec lesquelles nous sommes liés par une relation essentielle et de totale et nécessaire interdépendance. De sorte que chaque fois que cette unité et que cette solidarité entre les composante animées ou inanimées de notre monde est perturbée ou détruite, c’est le bien-être et l’existence de nous tous qui sont en danger.

            Nous voyons tout de suite l’extraordinaire actualité et pertinence de ces textes d’évangile dans lesquels le Maitre de Nazareth convie ses disciples vers les attitudes de la vigilance, de la sensibilité, de l’attention, de l’éveil, de la prise de conscience , de la responsabilité, de l’engagement et de l’attente dans notre relations avec nos frères humains et le monde que nous habitons.
           
            En effet s’il y a une chose qui aujourd’hui saute aux yeux lorsqu’on considère l’état de notre société et de notre monde, c’est bien l’énorme irresponsabilité et la révoltante insensibilité des gouvernements et des bonzes des grandes entreprises face aux problèmes écologiques qui menacent la santé de la planète et le futur de l’humanité.

            Nous réalisons maintenant que, depuis la fin XIXe siècle, le rêve tant vanté d’une révolution industrielle et d’un libéralisme économique fondés sur l’entreprise privée, la libertés des marchés et la libre circulation des capitaux qui apporteraient à tout le monde bien-être et progrès… ce rêve, en réalité, s’est progressivement transformé en cauchemar, le cauchemar d’une régression économique de niveau planétaire et d’une catastrophe écologique sans précédents dans l’histoire de l’humanité qui, si elles ne sont pas arrêtées à temps, finiront par tous nous perdre.

            Que conclure de tout cela ? Personnellement je pense que la fin de notre monde, tel que nous le connaissons maintenant, est nécessaire et, sans doute, inévitable. Mais ce ne sera peut-être pas la fin du monde en tant que tel. Un autre monde meilleur, plus en santé, plus juste et plus humain pourra surgir de l’ancien, à condition cependant, que les hommes acceptent de changer leur style de vie ; de reprogrammer leur façon de penser ; de renégocier leurs priorités et de revoir l’échelle des valeurs qui dirigent leur vie. Il faut qu’ils deviennent moins  avides, moins rapaces, moins consommateurs. Il faut qu’ils d’adoptent un mode de vie plus simple, plus frugal, plus sobre, plus modeste. Il faut qu’ils soient disposés à se contenter de l’indispensable et de l’essentiel ; et à ne pas céder au caprice du luxe et le superflu. Il faut qu’ils soient décidés à ne pas se fabriquer des besoins inutiles et artificiels. Il faut que tout le monde arrive à se convaincre que, dans l’état actuel de la planète, le salut de l’humanité ne passe pas par l’accroissement, mais par la diminution de la consommation ; et que, paradoxalement, la possibilité d’un réel bien-être pour tous, consiste maintenant dans la nécessaire récupération d’une nécessaire et décente pauvreté pour tous.

            Aujourd’hui, c’est avec surprise et étonnement que l’on découvre que les vicissitudes à travers lesquelles l’histoire de l’humanité est passés le long des siècles, ont fini par donner finalement raison à l’intuition du Prophète de Nazareth qui, il y a deux mil ans déjà prêchait avec insistance, à qui voulait bien l’entendre, que seulement une saine forme de pauvreté aurait pu sauver le monde. Il proclamait haut et fort que la terre appartiendra à ceux qui sont doux, sensibles, respectueux  et attentifs envers elle (Mt.5,5). Il disait que le bonheur des humains sur la terre sera garanti seulement par ceux qui auront su garder un esprit de détachement et de pauvreté (Mt.5,3; Lc.6,20). Quant aux riches - affirmait-il sans hésitation- jamais ils ne pourront construire un monde véritablement humain, réglé selon les principes de l’amour  et du respect de l’autre, y entrer eux-mêmes et y réaliser pour eux-mêmes une forme réussie d’humanité ! (Luc 18,24-28).

            Il faudra donc que nous apprenions  à ne pas nous laisser charmer par la voix enchanteresse des sirènes de la publicité qui, profitant de notre naïveté ou de notre stupidité,  cherchent à nous leurrer, en sollicitant notre convoitise par toutes sortes de délices indispensables à notre bonheur; mais qui, en réalité, ne font que détériorer inexorablement  autant notre planète que  la qualité de notre existence. Il faudra donc que les humains de notre temps trouvent la sagesse et le courage d’inverser la direction de leur marche et d’emprunter d’autres chemins, possiblement des chemins semblables à ceux proposés par le Prophète de Nazareth et qui se caractérisent par l’éveil,  la sensibilité, la responsabilité, la frugalité, le soin, le respect, l’émerveillement, la capacité d’un amour qui se donne sans compter et qui se déverse partout pour tout humaniser, tout féconder et tout porter à son épanouissement.



BM


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