(Mt. 24,37-44 – 1er dimanche
de l’Avent A - 2016 )
Depuis
l’antiquité les écrivains des livres sacrés ont certes chanté la bonté de ce
monde sorti de la Source Créatrice
revêtu d’une éblouissante beauté ; mais ils ont surtout pleuré
sur la bêtise humaine qui a vite enlaidi pareil chef d’ouvre
d’harmonie et de grâce avec la turpitude du « péché ». Leurs textes sont donc souvent
assombris par leurs lamentations sur l’étourderie et l’aveuglement des humains, incapables de lire et d’interpréter, dans leurs sociétés et dans la
nature, les signes annonceurs des catastrophes imminentes. Dans les évangiles, Jésus
aussi a uni sa voix à celle de ces anciens prophètes pour inviter ses disciples
à se réveiller, à soulever la tête, à ouvrir les yeux, à regarder loin, au-delà
de leur petites routines, vers les vastes carrefours du monde, vers la route de
la mer sans limites, au delà des frontières du pays de Zabulon et de Nephtali
(Mt.4,15), afin de pouvoir saisir les signes d’un malaise universel, les symptômes
d’un monde qui semble sur le point de s’effondrer à cause, non pas d’une décision
de Dieu, mais de la démence et de la convoitise humaine. Car cela est en train
d’arriver, dans l’apathie et l’indifférence générale, sans que personne ne se
doute de rien.
Jésus,
qui était un rêveur, un spirituel et un homme de Dieu, était convaincu que la
fin de ce monde aurait marqué le début d’un monde nouveau dans lequel Dieu
lui-même serait intervenu pour le rebâtir sur d’autres bases, d’après d’autres
paradigmes et avec des humains complètement renouvelés et améliorés. Mais Jésus, qui était aussi un
homme réaliste, savait que cette intervention de Dieu qui était souhaitable, serait
cependant restée longtemps dans le domaine du mystérieux et de l’imprévisible, peut-être
aussi seulement dans le domaine du désir ou de l’utopie, étant donné que, finalement,
personne ne savait vraiment comment et quand cela se réaliserait.
Alors,
ce qui pour Jésus était important, c’était de susciter chez ses disciples la
soif d’un monde différent, ainsi que la prise de conscience que celui dans
lequel ils vivaient était loin d’être exemplaire ; et de les convaincre que
seulement à travers leur conversion, leur responsabilité et leur engagement actif,
l’intervention de Dieu aurait pu être efficace dans l’instauration de ce monde
nouveau qui, pour Jésus, devait ressembler à un genre de « royaume de Dieu » sur terre.
Éveil,
prise de conscience, changement intérieur, engagement, mais aussi et surtout
espoir et « attente »: voilà les postures intérieures qui, pour le Nazaréen, auraient
pu faire la différence entre détermination et résignation, entre dynamisme et fatalisme,
entre un monde humain et un monde inhumain, entre une planète saine et une
planète malade, entre un future encore envisageable ou une catastrophe assurée.
.
C’est
donc avec raison que Jésus exhorte ses disciples à développer en eux la disposition
de l’« attente». En effet l’attitude de l’attente est intimement liée à la
conviction de la faisabilité de ce que l’on attend. Car attendre c’est croire fermement
que ce que l’on attend peut et, sans doute, finira par se réaliser. Ce serait
de la folie, en effet, que d’attendre l’impossible. Susciter dans l‘homme l’attitude
de l’attente équivaut donc à susciter en lui le désir d’accomplir, ou d’aider à
ce que s’accomplisse, ce que son cœur attend et espère. C’est lui instiller la
confiance dans ses capacités de se sauver et de sauver le monde. C’est lui faire
comprendre que sa réussite et sa perte, sa vie et sa mort, ne dépendent que de lui,
parce qu’il est le seul forgeur de son destin et de celui de la planète qui
l’accueille. C’est le convaincre que le futur de son monde et de son espèce est
entre ses mains. C’est croire en la bonté foncière de son cœur et dans la bonne
qualité de sa raison. C’est parier sur l’homme et avoir confiance en l’homme
qui attend et qui espère, avec la certitude qu’il aura les capacités de faire «advenir»
l’objet de ses attentes et de ses désirs.
Je
pense que depuis toujours la grande faiblesse des humais a été leur
aveuglement, leur stupidité et leur irresponsabilité, rendus possibles par la
recherche angoissée de leur sécurité et de leur bonheur immédiat. Centrés comme
ils sont sur la réalisation de leur bien-être et de leur réussite individuelle,
l’étendue de leur regard ne dépasse pas le périmètre restreint de leurs
préoccupations et de leurs intérêts personnels. Nous, les humains, nous
limitons généralement le monde presque exclusivement à ce qui tourne autour de
notre personne. Au-delà de notre petit monde, le grand monde, le vrai monde,
n’existe pas et la diarrhée de notre caniche de luxe nous affecte
émotionnellement plus que les 795 millions de personnes qui souffrent de la
faim autour du globe.
L’origine
de cette insensibilité et de cette inconscience doit être principalement
recherchée dans notre incapacité de nous voir comme une partie intégrante d’un
Tout, appelé «uni-vers» où toute ses composantes, unies et interdépendantes,
tendent justement «vers l’unité». Nous avons beaucoup de difficulté à admettre
que l'Univers est prioritaire et que nous sommes secondaires ; que nous devons
organiser nos activités en fonction du bien-être du monde et donc du milieu
naturel dans lequel nous vivons, et non pas l’exploiter en fonction de nos
profits. Nous avons beaucoup de difficulté à comprendre que nous devons vivre
aux rythmes de la bonne respiration de notre planète ; et non pas l’essouffler
en le pliant aux cadences de notre voracité. Beaucoup parmi nous ne réalisent
pas encore que notre salut dépend du salut des ecosystemes, c'est-à-dire du milieru naturel dans lequel nous vivons ; ou qu’il est
impossible d’être en bonne santé si notre terre est malade; ou de continuer à
vivre, si la terre se meure. Il faut saisir que nous vivons en symbiose
profonde avec toutes les créatures de notre monde, avec lesquelles nous sommes
liés par une relation essentielle et de totale et nécessaire interdépendance.
De sorte que chaque fois que cette unité et que cette solidarité entre les
composante animées ou inanimées de notre monde est perturbée ou détruite, c’est
le bien-être et l’existence de nous tous qui sont en danger.
Nous
voyons tout de suite l’extraordinaire actualité et pertinence de ces textes
d’évangile dans lesquels le Maitre de Nazareth convie ses disciples vers les
attitudes de la vigilance, de la sensibilité, de l’attention, de l’éveil, de la
prise de conscience , de la responsabilité, de l’engagement et de l’attente
dans notre relations avec nos frères humains et le monde que nous habitons.
En
effet s’il y a une chose qui aujourd’hui saute aux yeux lorsqu’on considère
l’état de notre société et de notre monde, c’est bien l’énorme irresponsabilité
et la révoltante insensibilité des gouvernements et des bonzes des grandes entreprises
face aux problèmes écologiques qui menacent la santé de la planète et le futur
de l’humanité.
Nous
réalisons maintenant que, depuis la fin XIXe siècle, le rêve tant
vanté d’une révolution industrielle et d’un libéralisme économique fondés sur
l’entreprise privée, la libertés des marchés et la libre circulation des capitaux
qui apporteraient à tout le monde bien-être et progrès… ce rêve, en réalité,
s’est progressivement transformé en cauchemar, le cauchemar d’une régression économique
de niveau planétaire et d’une catastrophe écologique sans précédents dans
l’histoire de l’humanité qui, si elles ne sont pas arrêtées à temps, finiront par
tous nous perdre.
Que
conclure de tout cela ? Personnellement je pense que la fin de notre monde, tel
que nous le connaissons maintenant, est nécessaire et, sans doute, inévitable. Mais
ce ne sera peut-être pas la fin du monde en tant que tel. Un autre monde meilleur,
plus en santé, plus juste et plus humain pourra surgir de l’ancien, à condition
cependant, que les hommes acceptent de changer leur style de vie ; de reprogrammer leur façon de penser ; de renégocier leurs priorités et de revoir l’échelle
des valeurs qui dirigent leur vie. Il faut qu’ils deviennent moins avides, moins rapaces, moins
consommateurs. Il faut qu’ils d’adoptent un mode de vie plus simple, plus frugal,
plus sobre, plus modeste. Il faut qu’ils soient disposés à se contenter de
l’indispensable et de l’essentiel ; et à ne pas céder au caprice du luxe et le
superflu. Il faut qu’ils soient décidés à ne pas se fabriquer des besoins inutiles
et artificiels. Il faut que tout le monde arrive à se convaincre que, dans l’état
actuel de la planète, le salut de l’humanité ne passe pas par l’accroissement,
mais par la diminution de la consommation ; et que, paradoxalement, la possibilité
d’un réel bien-être pour tous, consiste maintenant dans la nécessaire récupération
d’une nécessaire et décente pauvreté pour tous.
Aujourd’hui,
c’est avec surprise et étonnement que l’on découvre que les vicissitudes à
travers lesquelles l’histoire de l’humanité est passés le long des siècles, ont
fini par donner finalement raison à l’intuition du Prophète de Nazareth qui, il
y a deux mil ans déjà prêchait avec insistance, à qui voulait bien l’entendre,
que seulement une saine forme de pauvreté aurait pu sauver le monde. Il
proclamait haut et fort que la terre appartiendra à ceux qui sont doux, sensibles, respectueux et attentifs envers elle (Mt.5,5). Il disait que le bonheur des humains
sur la terre sera garanti seulement par ceux qui auront su garder un esprit de
détachement et de pauvreté (Mt.5,3; Lc.6,20). Quant aux riches - affirmait-il sans
hésitation- jamais ils ne pourront construire un monde véritablement humain,
réglé selon les principes de l’amour et du respect de l’autre, y entrer
eux-mêmes et y réaliser pour eux-mêmes une forme réussie d’humanité ! (Luc
18,24-28).
Il
faudra donc que nous apprenions à ne pas nous laisser charmer par la voix enchanteresse des
sirènes de la publicité qui, profitant de notre naïveté ou de notre stupidité, cherchent à nous leurrer, en sollicitant notre convoitise par toutes
sortes de délices indispensables à notre bonheur; mais qui, en réalité, ne font
que détériorer inexorablement autant notre planète que la qualité de notre existence. Il
faudra donc que les humains de notre temps trouvent la sagesse et le courage d’inverser
la direction de leur marche et d’emprunter d’autres chemins, possiblement des chemins
semblables à ceux proposés par le Prophète de Nazareth et qui se caractérisent par l’éveil, la sensibilité, la responsabilité, la frugalité, le soin, le respect, l’émerveillement,
la capacité d’un amour qui se donne sans compter et qui se déverse partout pour
tout humaniser, tout féconder et tout porter à son épanouissement.
BM
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