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vendredi 25 novembre 2016

LA FIN DU MONDE OU LA FIN D’UN MONDE ?....

( Luc 21,5-19) - 33e dimanche ord.C

 Les chrétiens pour lesquels l’Évangéliste Luc autour des années 80-85 écrivait son évangile, étaient aux prises avec trois grosses questions auxquelles l’auteur cherche à donner une réponse pour tranquilliser les croyants. Quelles étaient les questions qui angoissaient ces anciens chrétiens?

Premièrement : la disparition du temple de Jérusalem (détruit en l’an 70 par l’armée romaine de Tite) et de la ville elle-même, suivie de la subséquente dispersion du peuple juif hors de la Palestine. C’était la fin du judaïsme en tant que religion identifiée à un territoire et à un État. Or le temple de Jérusalem était, avec sa ville, le symbole de l’alliance de Dieu avec le peuple juif; le signe tangible et visible de l’élection, de la bienveillance et de la présence de Dieu au milieu du peuple auquel Dieu avait juré une protection et une fidélité éternelle. Comment Dieu avait-il pu oublier ses promesses et abandonner de la sorte une nation qu’il avait pourtant élue pour être guide et lumière pour toutes les autres nations de la terre ? Dieu serait-il infidèle ? Dieu ne maintiendrait-il pas ses promesses ? Dieu aurait-il châtié ainsi toute une nation parce que ses chefs n’auraient pas reconnu en Jésus de Nazareth son envoyé et son messie ? Dieu serait-t-il à ce point cruel, rancunier et partisan, alors que Jésus avait pourtant enseigné qu’il est un Père qui aime tous sans distinction de religion, de culture et de race ? Un vrai dilemme donc pour les adeptes d’un mouvement spirituel issu du judaïsme.

Deuxième point qui tracassait les chrétiens du temps de Luc était la constatation qu’eux aussi subissaient toutes sortes d’épreuves et de vexations. En Palestine, ils étaient haïs, pourchassés, emprisonnés et tués par les autorités religieuses juives. En dehors de la Palestine, ils étaient persécutés par les autorités civiles romaines qui les soupçonnaient et les accusaient de trahison et de différents autres crimes. Sans parler des drames et des contestations qui pouvaient surgir au sein d’une famille lorsque quelqu’un de ses membres adhérait à cette nouvelle secte et se convertissait à cette nouvelle foi. Si ces anciens chrétiens pouvaient comprendre que Dieu avait pu délaisser, d’une certaine façon, son ancien peuple, ils éprouvaient de la difficulté à accepter que Dieu n’accorde pas plus d’attention et de protection à son nouveau peuple, à cette nouvelle communauté qui avait adhéré à Jésus et qui avait cru à sa mission d’envoyé et de messie de Dieu.

Le troisième point qui préoccupait les chrétiens du temps de Luc était la question de la fin du monde. Cet argument enflammait les esprits, causait toute sorte d’états d’âme, allant de la panique à l’exaltation. Il était une source de continuelles discussions, de suppositions, de création de scenarios rocambolesques et fantastiques, les uns plus bizarres que les autres. Autant les juifs (y compris Jésus) que les chrétiens étaient convaincus que Dieu s’apprêtait à intervenir d’une façon drastique pour mettre fin à ce monde tel que nous le connaissons, pour en commencer un autre meilleur ici ou ailleurs.

Dans son évangile Luc intervient pour mettre les choses dans leur juste perspective, pour éclairer et rassurer ces chrétiens traumatisés et inquiets, afin qu’ils puissent vivre leur foi dans la paix et la sérénité. Et il fait cela en attribuant ici à Jésus un discours, des paroles, des affirmations, dont la fonction est d’établir ses disciples dans la confiance en la bonté et l’amour d’un Dieu qui ne peut pas se démentir, même si toutes les apparences apparaissent parfois contraires.

Les questions et les peurs des chrétiens du premier siècle ont changé maintenant de contenu, mais elles continuent à angoisser avec la même acuité les gens du XXIe siècle.
Combien de fois, devant des conjonctures difficiles ou à des événements dramatiques, nous sommes tentés de dire : « C’est la fin du monde !». Cela peut être dû à des situations d’injustices sociales flagrantes, à des cas de corruption, de désordre moral ; aux mauvaises nouvelles que nous lisons dans les journaux ou que nous entendons à la télévision. Cela peu été causé par la prise de conscience que nous vivons sur une poudrière qui peut sauter en l’air à n’importe quel moment ; car les hommes dans leur stupidité et leur folie, ont pensé que la meilleure façon de se sentir en sécurité c’était de miner la planète avec des milliers de bombes atomiques enfouies et parsemées un peu partout autour du globe. C’est le fanatisme religieux qui sévit dans le monde et qui est à l’origine des conflits armés, du terrorisme international, de l’exode massif de populations entières à la recherche d’endroits plus sécuritaires et plus pacifiques. C’est la détérioration de l'environnement, l’exploitation insensées des ressources naturelles, la destruction des écosystèmes nécessaires au maintien et au développement de la vie... et tout cela causé uniquement par la cupidité et la bêtise humaines. Ce sont les bouleversements climatiques causés par le réchauffement, par la pollution et la déforestation, C’est la pauvreté endémique de la majorité des habitants de la terre, la malnutrition, l’esclavage, les injustices sociales, l’inégale distributions des ressources et des richesses…Tout cela génère la conviction que l’humanité est en danger. Cela produit l’impression que nous allons à la dérive : sinon vers la fin du monde, certainement vers la fin de l'humanité. Et le tragique, ou le ridicule, de la situation que nous sommes en train de vivre consiste proprement en cela : que c’est nous, les humains les seuls coupables des maux dont nous souffrons ; les seuls responsables de la peur que nous ressentons et des malheurs que nous nous infligeons. Tout cela est causé en effet, et presque exclusivement, par notre cupidité et par notre consumérisme démesuré et irresponsable.

Il n’est pas possible alors d’entrevoir ou de programmer un avenir de justice, de bien-être et de paix tant que l’égoïsme et le profit individuel sont érigés en système opératif et en norme de vie. On ne peut pas rêver d'une Planète saine, propre, luxuriante et d’une humanité prospère et en bonne santé si, pour faire plus d’argent, nous empestons avec nos pesticides les terres cultivables; si nous contaminons l’air que nous respirons; si nous empoisonnons les nappes phréatiques qui nous fournissent l’eau que nous buvons; si nous détruisons les forêts qui absorbent le dioxyde de carbone (CO2), principal responsable du réchauffement planétaire, avec toute les fâcheuses conséquences que cela entraîne pour la survie de l’humanité (changements climatiques causés par les bouleversement des courants d’air et des courants marins, l’augmentation du niveau des océans, inondations, disparitions de terre habitables, etc.).

On dirait que la hantise du profit a rendu les hommes tellement aveugles et stupides qu’ils sont incapables de voir et de comprendre qu’une Planète malade ne pourra jamais produire une humanité saine et que le rêve tant proclamé d’un bien-être et d’un progrès infinis, obtenus par une exploitation et une consommation indiscriminée et sans mesure des ressources naturelles, peut transformer ce rêve en cauchemar et faire régresser l’humanité à l’Âge de pierre.

On a l'impression que dans cette époque de libéralisme industriel et de capitalisme économique, pour la grande majorité des hommes d’affaires de notre temps le bien de leur portefeuille est plus important que le bien de notre race. Face à tout cela, il est juste de se soucier. Mais notre préoccupation ne sert à rien si elle n’est pas accompagnée d’un changement radical dans notre façon de penser, d’agir, de valoriser les priorités et de voir notre relation avec cet Univers qui nous a mis dans l’existence et duquel nous dépendons entièrement.

C’est un fait qu’aujourd'hui beaucoup de gens ont peur de l'avenir. Les parents s’interrogent avec anxiété sur ce que sera le futur de leurs enfants. Nous nous rendons compte que le futur est loin d'être assuré et rassurant: dans cent ans, aurons-nous encore des bons sols à cultiver ? Assez d’eau potable pour satisfaire nos besoins et une bonne qualité d’air respirer ? Assez de forêts et de milieux naturels où la vie et la diversité des espèces peuvent se maintenir et prospérer ? Aurons-nous assez de nourriture pour tous, assez de travail, de soins, de sécurité économique, de justice, de respect mutuel, de tolérance, de fraternité, de paix ? Nous sommes inquiets, parce que nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve, étant donné que nous avons devant les yeux les signes évidents et inquiétants d’une humanité qui semble avoir perdu la raison.

Ces textes « apocalyptiques » de l’évangile de Luc que nous lisons en ce XXIe siècle ne sont pas étrangers à nos préoccupations et à nos états d’âme, qu’ils viennent plutôt raviver. Certes, le langage que Luc met ici sur la bouche de Jésus sont loin d’être clair et bien articulé, de sorte qu’il est difficile pour nous aujourd’hui de saisir de quoi Jésus veut parler précisément. Mais une chose est certaine : ces textes veulent aider les chrétiens à vivre dans la confiance.

En définitive, le message que ces textes veulent transmettre est le suivant: quoi qu'il arrive... Ne vous effrayez pas... Ne vous appuyez pas sur des valeurs qui ne sont pas définitives.... Rien n’est stable dans l’Univers, mais tout évolue vers une complexité et un perfectionnement plus grand. Et cela à travers des catastrophes et des cataclysmes d’une ampleur et d’une puissance inimaginables. Il est nécessaire que des mondes, des époques, des pans d’histoire se terminent et meurent pour que du nouveau et du neuf puissent apparaître. C’est la logique inscrite dans la nature de tout ce qui existe et qui est une expression et une révélation du bouillonnement de vie qui existe en Dieu lui-même.

Dans ce passage de l’évangile de Luc, Jésus semble donc nous inviter à garder espoir et à ne pas céder à la tentation du pessimisme. Pourquoi cela? Parce que Jésus a confiance en l'intégrité fondamentale de l’homme et en la bonté du cœur humain. Jésus veut nous convaincre que les humains sont doués de raison ; qu’ils possèdent une certaine dose de sagesse et qu’ils seront donc en mesure de ne pas perdre complètement la tête. Jésus refuse de croire que l'homme puisse être irrémédiablement égoïste et corrompu par l’attrait de ce qui est mal pour l’ensemble de ses semblables. Il refuse de croire que l'être humain, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, ne soit pas capable de trouver dans les profondeurs de son cœur ce trésor caché de sagesse, de lucidité, de bonté et de grâce qui lui permettra de voir clairement les chemins à emprunter pour se sauver lui-même et pour sauver le monde de la catastrophe.

Jésus est toujours prêt à parier sur le bon sens et la bonté foncière de l’être humain parce qu'il croit dans l’amour total de Dieu à son égard et dans les effets de la présence mystérieuse de Dieu au cœur de l’homme. Et cela conduit Jésus à avoir confiance en l'homme et dans l'humanité. Jésus est convaincu qu’il y a toujours quelque chose de beau, de bon et de merveilleux dans chaque personne, puisque chacun de nous est l’objet de l'amour et de la tendresse d'un Dieu qui veut être notre père. Jésus refuse de penser qu'une personne puisse être complètement mauvaise si elle est voulue et aimée de Dieu.

Voilà pourquoi Jésus veut croire qu'il y a toujours de l'espoir pour l'homme aussi longtemps qu'il réussit à garder dans sa vie un espace pour Dieu. Voilà pourquoi le message de Jésus est un « évangile », c’est-à-dire une « bonne nouvelle » d’espérance et de salut possible pour tout le monde. C’est seulement s’il est séparé de la Source de son être, que l'homme risque de se vider de son humanité et de se précipiter dans un gouffre de ténèbres qui peuvent l’anéantir. Mais aussi longtemps qu’il réussira à s’abreuver à cette Source, «pas un seul cheveu de sa tête ne se perdra » sans la permission de Dieu. (Luc 21,18).

Voilà pourquoi nous les chrétiens, disciples du Nazaréen, nous devons être optimistes à propos de l'avenir du monde et de l'humanité. Comme Jésus, nous devons croire que, malgré toutes les apparences contraires, le cœur de l'homme n’est jamais totalement corrompu. Nous devons croire que dans le monde le bien est toujours plus abondant que le mal ; qu’il il y a plus de bonté que de méchanceté ; plus d'altruisme que d’égoïsme ; plus d'amour que de haine. Certes, le mal est plus visible que le bien ; mais le bien, même s’il est caché, est la levure, la pulsion, la force secrète qui garde en vie l’humanité et qui soutient le monde entier.

Pour terminer sur cette note d'espoir, je veux citer ici un beau texte extrait du testament de Martin Luther King: «Aujourd'hui, dans la nuit du monde et dans l’attente de la Bonne Nouvelle, j'affirmer avec force ma foi dans l'avenir de l'humanité. Je refuse de croire que dans la situation actuelle, les hommes ne soient pas en mesure d'améliorer la terre.
Je refuse de croire que l'être humain soit un brin de paille transporté par le vent, sans possibilité d’influencer moindrement le cours des événements. Je crois que la vérité et l'amour inconditionnel auront le dernier mot. Je crois fermement que, même parmi les bombes qui éclatent et les canons qui tirent, reste toujours vivant l'espoir d'un avenir meilleur. J'ose croire qu'un jour tous les habitants de la terre recevront trois repas par jour pour nourrir le corps, éducation et culture pour nourrir leur esprit, ainsi qu’égalité et liberté pour qu’ils puissent enfin vivre dans une société plus humaine… » ".


BM


mardi 15 novembre 2016

Un juge pas comme les autres …


Les humbles sauveront le monde

 (Luc 18, 9-14)
           
            Le texte de l’Évangile nous invite aujourd’hui à une sorte de séance en tribunal. C’est Dieu qui préside et qui juge. Mais ce juge a une façon toute à lui de voir les choses qui nous surprend et nous déconcerte. Ce juge n’est pas conduit par nos principes et nos critères. En effet, dans le récit de l’évangile, l’honnête homme qui se présente devant lui, en proclamant son innocence et en plaidant non-coupable, est condamné, alors que le voyou, qui avoue sa faute et plaide coupable, est pleinement acquitté. C’est à ne rien y comprendre. Il y a certainement quelque chose quelque part qui ne fonctionne pas selon les règles établies.

            Ce pharisien fait partie du groupe de ces dix milles hommes pieux qui se distinguaient en Palestine au temps de Jésus par leur foi exemplaire, leur religiosité, leur piété sincère, leur assiduité à la prière et au culte du temple, par leur zèle dans l’observance de la Torah, par leur discipline et leur rigorisme moral, par leurs jeûnes et leurs aumônes. Ce pharisien qui se présente aujourd’hui devant Dieu au Temple est donc ce qu’il y a de plus irréprochable, de plus respectable, admirable et honnête parmi les hommes. Il est, pour ainsi dire, le champion de la probité et de la vertu. Il en est d’ailleurs convaincu et il ne se gêne pas à le proclamer haut et fort à tous ceux qui veulent l’entendre.

            Et puis voilà l’autre type, le publicain. Les publicains étaient des gens qui travaillaient pour des entreprises privées auxquelles l’État romain, qui occupait alors la Palestine, avait confié la désagréable besogne de collecter les taxes et les impôts (une genre de «franchise»). Et puisque ces employés étaient très mal payés par leur employeur, ils compensaient le manque à gagner en fraudant et en exigeant des gens plus que ce qui était convenu pour empocher le surplus qu’ils réussissaient ainsi à soutirer. À la longue leur classe était devenue une véritable organisation criminelle, une espèce de mafia spécialisée dans l’extorsion. Les publicains étaient donc, en grande majorité, des gens sans scrupules et qui n’hésitaient pas à recourir à la menace et à la violence pour arriver à leurs fins. Les gens les haïssaient et les considéraient comme des voleurs et des êtres ignobles qu’il fallait éviter de fréquenter. Dans la mentalité des gens pieux de l’époque, les publicains étaient devenus la personnification même du péché.

            Devant Dieu il y a donc d’un côté l’homme irréprochable, juste, vertueux et saint, si l’on veut et, de l’autre, l’escroc, le tortionnaire et le pécheur. Et voilà que, contre toute vraisemblance, contre tout bon sens, le juge divin dans son jugement tranche en faveur du truand, tandis que le bon et le saint est viré et condamné. L’Évangile nous assure ainsi que ceux qui ressemblent au pharisien de la parabole ne jouiront jamais des préférences et de l’approbation de Dieu.

Que se cache-t-il donc de si épouvantable et de si sinistre sous le comportement innocent et l’attitude vertueuse du pharisien ? Que se cache-t-il de si bon dans le geste affligé et désolé du publicain qui se bat la poitrine et reconnaît ses torts ?

            Analysons de plus près le plaidoyer du pharisien pour voire ce qui cloche. Il saute tout de suite aux yeux que son discours suinte la suffisance, la satisfaction, le sentiment de supériorité. Le pharisien ne parle pas à Dieu, il se parle à lui-même, vantant ses propres mérites, mettant en avant et soulignant continuellement l’importance de sa personne. Remarquez combien de fois ce messieurs dit « Je ». Il est imbu de lui-même. Il pense qu’il n’est pas comme les autres. Les autres sont tous, d’après lui, des voyous et des vauriens. Mais lui est différent. Il est supérieur, il est meilleur. Lui est sur le bon chemin. Il est un modèle de bon comportement. Il est pleinement satisfait de lui-même. Il n’a rien à se reprocher. Il n’a donc pas besoin de changer, de s’améliorer, de se convertir. Puisqu’il est parfait, il est inconvertible, comme tous ceux qui sont convaincus d’être des bons, d'être du côté des élus, du côté de la vertu, de la justice et de la vérité, comme le sont tous les Bush, tous les fanatiques chrétiens ou islamiques qu’ils soient, qui dans leur aveuglement perdent le sens du relatif, de la réserve, de la tolérance et du respect des autres; ainsi que la mesure de leurs limites et de leurs faiblesses.

            Alors qui est le plus dangereux pour la société et pour le monde, celui qui brandit sa supériorité pour s’élever au-dessus des autres, dénigrer, écraser les autres ; ou celui qui s’efface et se dérobe parce qu’il se considère un bon à rien ? Celui qui sonne de la trompette à tout vent pour vanter ses mérites et ses exploits ; ou celui qui n’ose pas se regarder dans le miroir et regrette les  erreurs qu’il a commises ? Celui qui est fier et orgueilleux de ses vertus, ou celui qui éprouve de la honte pour ses vices, ses défaillances, ses défauts ? Celui qui se trouve juste et sans reproche, ou celui qui est capable de reconnaître ses torts et de ressentir du remord et de la peine pour le mal qu’il a causé ? Celui qui se prend pour un « superman » que tous doivent admirer et auquel tous doivent se soumettre, ou celui qui se considère une personne bien ordinaire ?

             S’il est une attitude qui est néfaste pour les relations humaines et qu’il faut éradiquer, n’est-ce pas surtout et avant tout l’attitude de celui qui, se croyant supérieur et meilleur que les autres, pense qu’il a aussi droit à plus que les autres ? Cette attitude si répandue de supériorité, de nombrilisme et d’auto exaltation, … n’est-elle pas à l’origine des calamités dont souffre notre société contemporaine? Cette attitude ne génère-t-elle pas des individus et donc des entreprises et des sociétés arrogantes, intolérantes, agressives, et prédatrices ? Cette attitude n’est-elle pas à l’origine des tous les fondamentalismes modernes, ainsi que de l’aveuglement, de l’insensibilité des systèmes capitalistes, et des politiques de consommation et d’exploitation sauvage des ressources naturelles, politiques qui sont en train de ruiner l’économie mondiale, l’approvisionnement durable des marchés (pour que tous puissent avoir facilement accès à la nourriture dont ils ont besoin) et la santé de notre Planète ?

            A la fin de cette réflexion, nous sentons-nous encore capables de blâmer la façon dont le Juge de l’évangile exerce sa justice ? Je pense que nous devons plutôt remercier et admirer sa perspicacité et sa sagesse. Il a su déjouer les embûches du mal. Les textes de l’évangile de ce dimanche nous enseignent qu’il n’y a pas de mal plus perfide que celui qui se cache sous l’apparence du bien ; qu’il n’y a pas de démons plus dangereux que celui qui prend l’aspect d’un ange de lumière ; qu’il n’y a pas de traître plus perfide que celui qui cherche à nous apprivoiser par un baiser.

            L’évangile veut finalement nous apprendre que l’arrogance, l’hypocrisie, la duplicité et le fanatisme ne sont jamais payants : à la fin ils devront un jour rendre inévitablement compte devant l’histoire des ravages, des désastres et des souffrances qu’ils ont causés ; et à la fin se confronter à la justice de Dieu. Personne n’y échappe ! La dernière phrase de l’évangile est tout à fait tranchante et catégorique sur ce point : « Quiconque s’élève sera rabaissé et quiconque  s’abaisse sera élevé » .

BM

(30e dim. ord. C )


mercredi 9 novembre 2016

ZACCHEO O L’INSODDISFAZIONE CHE FINALMENTE SODDISFA


(Luca 19, 1-10)

Zaccheo, presidente dell’Ufficio tasse e imposte di Gerico, collaborazionista dei romani, era riuscito ad ottenere l'appalto delle tasse per conto invasore romano. Era un uomo ricco, influente, temuto e odiato dai suoi dipendenti e dai cittadini che lo consideravo un farabutto, ma avevano interesse a trattarlo con i guanti bianchi.
Ma se Zaccheo si sentiva rispettato e temuto, non si sentiva certo amato. Aveva notato che la gente lo evitava o si nascondeva al suo passaggio. Zaccheo si sentiva terribilemente solo. Si era reso conto da un bel pò che i soldi non fanno e non danno la felicità. Anzi aveva notato che la sua fortuna non aveva fatto altro che procurargli suo isolamento, insoddisfazione e abbatimento. Zaccheo era pieno di soldi, ma vuoto d’amore.
 Allora, che cos’è, che cosa vale la vita, che te ne fai dei tuoi soldi, se ti mancano proprio le cose più importanti che danno senso e pienezza alla tua vita? A che cosa servono le tue sostanze, se poi ti manca il bene più prezioso ? Se non sei e non ti senti amato? Zaccheo era ricco di soldi, ma povero d’amore. Zaccheo più d’ogni altra cosa desiderava adesso avere intorno a sè delle persone che gli volessero bene ; delle persone che lo accettassero per quello che era e non per i suoi soldi o per la carica che esercitava. Zaccheo era ormai giunto ad una fase della sua vita in cui aveva finalmente acquisito quella a saggezza e quella maturità che gli avevano fatto capire quali sono i veri valori e le cose che veramente contano in una vita. Senza che egli se ne accorgesse, il suo cuore era stato lavorato dalla grazia di Dio ed era adesso pronto a imprimere una nuova svolta alla sua esistenza.
Zaccheo aveva sentito parlare di Gesù, di questo vagabondo che non possedeva niente, che non incuteva soggezzione a nessuno e che tutti rincorrevano, cercavano, ammiravano ed amavano. Ma che cosa aveva quest’uomo per attitare tanto la gentee? Zaccheo era curioso di conoscerlo, di incontrarlo, di sapere chi fosse Gesù . Ed ecco che un giorno Gesù attraversa la città di Gerico dove Zaccheo abitava. Una occasione inaspettata per Zaccheo! Finalmente è la volta buona - pensa Zaccheo- questa volta non mi deve sfuggire. Devo riuscire a vederlo ad ogni costo.
 E guardate che cosa fa quest’uomo, spinto dal suo desiderio di vedere il Signore! Dimentica tutta la sua dignità e la sua rispettabilità e si arrampica sopra un albero come un monello di strada. Non gliene importa più niente ella sua rispettabilità o di quello che la gente può pensare di lui. Per lui adesso quello che conta è vedere, incontrare il Signore!
Zaccheo cercava di sapere chi fosse Gesù; ma Gesù sapeva già da tempo chi fosse Zaccheo. Gesù sapeva che Zaccheo, in questa fase della sua vita, era pronto per una conversione profonda; era pronto per imprimere alla sua vita una direzione totalmente diversa da quella avuta finora. Il Signore sapeva che su quell’albero, Zaccheo era come un frutto maturato dalla grazia e pronto per essere colto dalla bontà e dalla tenerezza di Dio. E poichè Zaccheo desiderava intensamente vedere ed incontrare il Signore, il Signore si manifesterà a lui come se egli fosse un amico di vecchia data, un amico conosciuto da sempre; entra nella casa di Zaccheo e trasforma radicalmente la sua vita .
L’evangelista Luca racconta che passando sotto l’albero sul quale Zaccheo si era appollaiato, Gesù alza gli occhi e lo chiama per nome e gli dice : ”Zaccheo scendi presto, perchè ho fretta, muoio dalla voglia di starmene con te, di godermi la tua compagnia. Oggi è necessario che io mi fermi a casa tua!”
Ed é cosi che lui, e soltanto lui, il ladro, lo strozzino, il pubblico peccatore messo al bando, riceve la visita del Signore! Colui che tutti detestavano e fuggivano, si vede tutto ad un tratto cercato, voluto e amato. Ed entrando nella casa di Zaccheo, il Signore entra per sempre nella sua vita. E da quel momento Zaccheo non vorrà più separarsi da colui che ha saputo credere in lui, nella sua bontà nascosta, che ha saputo vedere le aspirazioni segrete del suo cuore e dimostrargli tanta premura e tanto affetto.
Con il suo comportamento Gesù dimostra a Zaccheo che Dio ascolta sempre il grido del cuore di colui che, insoddisfatto di sè, cerca di rifarsi una vita migliore. Questo episodio vuole fare capire che Dio non giudica e non rigetta mai nessuno; e che anche nell’abisso più profondo della colpa, della degradazzione e del male, si può sempre sperare che una mano buona e sollecita venga a soccorrerci. Questo racconto ci fa capire che l’amore di Dio ci è sempre assicurato, anche quando noi pensiamo di non merirarlo più; e che a tutti è sempre data una seconda possibilità (chance) di un nuovo inizio nella vita. Questo commovente episodio del vangelo vuole forse insegnarci che quando il Signore riesce ad entrare a casa nostra, tutta la nostra esistenza ne è sconvolta e trasformata, Quando si ha la fortuna o la grazia d’incontrare il Signore, non si può più vivere come prima ; tutti i nostri vecchi schemi, i nostri vecchi valori e le nostre vecchie priorità sono messi a soqquadro.
Ne è di noi come di Zaccheo? Zaccheo è l’immagine emblematica di ognuno di noi. Nessuno di noi può sfuggire all’attenzione premurosa e delicata di Dio. E beati noi se riusciamo a scendere dall’albero della nostra arroganza, del nostro orgoglio e della nostra autosufficienza per permettre a Dio di riempire il vuoto del nostro cuore e della nostra vita con la ricchezza della sua presenza. Allora esperimenteremo anche noi, come Zaccheo, la trasformazione che egli è capace di operare nella nostra esistenza. Forse anche noi, come Zaccheo, saremo capaci di sbarazzarci di molte cose inutili per dare più spazio a Dio.

BM     


dimanche 6 novembre 2016

ZACHÉE OU L’HISTOIRE D’UNE CONVERSION

(Luc, 19,1-10)

Luc, médecin d’origine syrienne (Antioche), converti au christianisme par la prédication de l’apôtre Paul, a écrit son évangile pour les chrétiens de culture gréco-romaine qui venaient du paganisme.

Luc rédige son texte aux débuts des année 80, en s’inspirant de l’évangile de Marc et d’autres documents. Dans son évangile, Luc présente l’homme de Nazareth comme un cadeau du ciel; comme un être qui vient de Dieu et qui parle au nom de Dieu; comme quelqu’un qui connaît qui est Dieu et comment s’approcher de lui; qui sait quelle «voie» les humains doivent parcourir pour donner du sens à leur vie et atteindre une authentique humanité.

Luc enseigne donc qu’en suivant la « Voie » de Jésus on peut apprendre beaucoup de choses sur les hommes et sur Dieu. Sur Dieu, on apprend qu’il est la Source inépuisable de l’amour ; un Être riche en miséricorde, qui ne juge personne, qui accueille tout le monde, qui respecte les rythmes de croissance et d’évolution intérieure de chacun ; qui a un faible pour les pauvres, les démunis, les maganés et les meurtris de la vie ; qui s’angoisse pour les égarés ; qui embrasse les délinquants ; qui veut le bonheur de tous.

Sur les hommes, on apprend que les riches, les puissants, les égoïstes, les arrogants, les superbes, les présomptueux, les satisfaits, les suffisants sont incapables d’emprunter la «voie» du Seigneur parce qu’ils n’en ressentent pas le besoin et qu’ils finissent donc inévitablement par suffoquer dans la pièce étanche de leur égoïsme et de leurs suffisance. On apprend aussi que Dieu ressent une profonde tristesse, une immense pitié pour ce genre de personnes; qu’il ne cesse cependant de les attendre à la croisée des chemins de leur existence, dans l’espoir de les récupérer et de les sauver.

 Luc développe les thèmes de l’amour gratuit, de la bonté, de la tendresse, du pardon et  de la miséricorde de Dieu, thèmes qui l’avaient fortement impressionné et qui avaient probablement déclenché chez lui le mouvement de conversion qui l’amena à devenir un fervent adepte du nouveau « Chemin » ou de la nouvelle « Voie » (Act.9, 1-3 ; 18,25 ; 24,22) ouverte aux croyants par Jésus de Nazareth.

Luc semble fortement intéressé par la dynamique de la conversion, de la sienne et de celle des autres chrétiens. Il veut donc réfléchir et analyser les mécanismes de ce phénomène qui bouleverse si souvent la vie des personnes.

Or, l’épisode de Zachée, dans lequel, avec un humour et une finesse hors pair, est esquissé en quelques lignes le portrait de ce publicain malfamé, sert à Luc de trame de fond pour décrire les étapes typiques que l’individu traverse avant d’arriver à sa conversion chrétienne. Luc, utilise le récit de Zachée pour expliquer la trajectoire humaine et spirituelle par laquelle une personne décide d’abandonner son mode de vie, son propre chemin, afin de s’engager définitivement sur la voie du Nazaréen.

Tout cet enseignement est admirablement condensé dans le récit de Zachée qui devient une figure emblématique, à travers laquelle Luc, avec une habilité et une efficacité pédagogique extraordinaire, émiette et livre aux croyants simples de son temps le cœur du message chrétien .

En réfléchissant sur ce texte de Luc, j’essaierai d’abord de faire ressortir l’importance de certains mots-clefs qui guident la composition et déterminent le sens et le contenu de ce magnifique récit. Je chercherai ensuite à montrer combien ce texte nous concerne et combien il éclaire la structure et les raisons ultimes de notre adhésion au projet chrétien mis en marche par le Prophète de Nazareth.

Il est utile de savoir que Zachée est un collecteur d’impôts à la solde de l’occupant romain. Il exerce une profession très lucrative, mais qui, en même temps, le rend détestable et méprisable pour tout bon juif qui le considère comme un renégat, un escroc et un voleur. Zachée, en plus, est le chef d’une compagnie de fonctionnaires de l’impôt, ce qui augmente la grogne et l’agressivité de ses compatriotes à son égard.

Toutefois la vie huppée mais tourmentée de ce riche insatisfait prend un pli inattendu et bascule définitivement lorsque le chemin de sa vie croise celui de Jésus, en route vers Jérusalem.

Luc nous signifie ainsi par là que la conversion est fondamentalement déclenchée par la rencontre de deux personnes, de deux chemins, de deux conceptions de la réalité, de deux parcours différents de vie. Pour Luc cependant, on ne trouve pas « sa » voie sans la chercher et sans avoir envie de la trouver. C’est pour cela qu’il caractérise d’amblée Zachée comme quelqu’un qui « cherche » à voir.

En effet, à la racine de toute conversion et de tout changement te de vie, il y a toujours l’apparition d’une profonde et angoissante insatisfaction, suivie d’un long travail de questionnement et de recherche. On se cherche parce qu’on ne sait pas exactement qui l’on est, ou ce que l’on veut. On cherche parce que l’on n’a pas ce que l’on désire ; parce que l’on expérimente un manque, un vide ; parce qu’on n'est pas content de la qualité de sa vie, des fruits qu’elle produit, de l’orientation qu’elle a prise. Nous nous sentons déçus, mécontents et malheureux de notre chemin et nous voudrions pouvoir en entreprendre un autre.

Comme Zachée, qui avait tout et qui pourtant n’avait rien qui pût vraiment le contenter, le faire grandir, le soulever, le faire voler plus haut que sa misérable vie de fonctionnaire crapuleux, occupé et préoccupé seulement à accumuler de l’argent sur le dos des pauvres. Malgré son statut social enviable et influent Zachée ne réussissait pas à avoir la taille spirituelle et humaine qu’il aurait souhaité. Rien n’y faisait ! Il serait toujours resté un homme insignifiant et de « petite taille »… à moins de tout balancer, de tout changer dans sa vie, de tout recommencer à nouveau et différemment. Finalement, on sent qu’il a en a marre de n’avoir et de ne voir que de l’argent. Il en a marre de la vie qu’il conduit. Il veut avoir et voir autre chose. L’argent qu’il possède ne lui apporte ni plus de gratification, ni plus de bonheurs, ni plus d’amis. Au contraire, il ne fait qu’augmenter autour de lui le nombre des personnes qui le détestent et qui souhaiterait ne plus le voir.  

Luc, en nous suggérant ce portait psychologique de Zachée, veut nous conduire à comprendre qu’a la base de toute conversion, il y a toujours le désir, l’aspiration, l’attente et donc la « recherche » d’une forme d’existence différente, car celle que l’on expérimente est perçue comme invivable.

Luc, qui à part d’être un chrétien converti, est aussi médecin, sait très bien combien l’attitude de la « recherche » est fondamentale dans la vie d’une personne pour que celle-ci puisse continuer à progresser jusqu’à la mesure de la taille que Dieu a prévu pour elle. Luc sait aussi que Jésus a fait de la « recherche » un des leitmotivs de sa prédication : «Cherchez, vous trouverez; frappez, on vous ouvrira… car celui qui cherche trouve, et a qui frappe on ouvrira - Cherchez les royaume de Dieu et tout  le resta vous sera donné par surcroît …» (Luc, 11, 9-10; 12,31; 19,10). L’attitude de la recherche, suite à un sentiment intense d’insatisfaction et de vide existentiel, ainsi que le désir de devenir, de changer, de se transformer, de se renouveler, de parcourir d’autres routes, de voir d’autres horizons, constituent le mètre par lequel l’évangile de Luc mesure la disponibilité au salut, la profondeur spirituelle et la grandeur humaine d’une personne.

C’est pour cela que Zachée, qui était de « petite taille », dès qu’il commence à «chercher» pour voir qui était Jésus, grandit immédiatement dans l’esprit de Luc et est tout de suite placé par lui en haut, sur un arbre, comme un oiseau qui s’y pose, après avoir longtemps voltigé dans le ciel bleu.
Cependant, pour Luc la conversion n’est pas seulement le résultat d’une recherche. Elle est aussi la sortie des ténèbres, la guérison d’un aveuglement, la capacité de voir clairement. Elle est le résultat d’une découverte, d’une rencontre, d’une illumination, souvent d’une fulguration, par lesquelles est soudainement révélé aux yeux du cœur et de l’esprit de la personne qui cherche, le lieu de son authentique bonheur, les valeurs qui donneront du sens à sa vie et la forme ultime de son plein accomplissement.

C’est intentionnellement que Luc place le récit de Zachée immédiatement après celui de la guérison de l’aveugle de Jéricho, un homme écrasé sur le bord de la route et incapable de marcher sur le «chemin». C‘est intentionnellement aussi que dans le récit de Zachée, l’évangéliste utilise le verbe «voir» immédiatement après le verbe «chercher», pour indiquer la quête existentielle de ce publicain.

Il est important de remarquer que Luc ne dit pas que Zachée cherchait «à voir Jésus», ce qui n’aurait décrit que la posture d’un badaud curieux et superficiel. Luc prend le soin de préciser que Zachée cherchait à voir «qui était Jésus». L’emploi du pronom relatif personnel est d’une importance capitale pour Luc. Le «qui», indique en effet la personne de Jésus qui intriguait et qui, en même temps, fascinait Zachée et de laquelle il aurait voulu percer le mystère ; avec laquelle il aurait souhaité amorcer une relation d’amitié et de familiarité. Dans sa recherche, Zachée avait «vu» et compris que ce Prophète vagabond, plus pauvre que Job sur son tas de fumier, possédait cependant tout ce que lui, Zachée, aurait tellement voulu avoir, mais qu’il n’avait pas. Zachée avait «vu» et compris qu’ici le vrai riche et l’homme authentiquement réussi était ce Jésus qui avait su se libérer de la hantise de l’avoir ; et que le vrai misérable et l’incontestable raté, c’était par conte lui, Zachée, l’homme cupide et stupide, qui avait passé le meilleur temps de sa vie à s’approprier de l’argent d’autrui.

Luc veut ainsi faire comprendre que, finalement, dans le parcours d’un homme converti, c’est seulement la rencontre d’une personne et l’admiration, la fascination, l’attachement quelle suscite en lui, les facteurs décisifs qui déterminent le virage existentiel qui fait basculer sa vie du côté et sur la «voie» de l’être aimé.

C’est cette rencontre de deux amours que Luc campe au centre de l’histoire de Zachée. Dans ce conte il arrive un moment où le lecteur est confus ne comprenant plus qui cherche qui. Il ne sait plus si c’est Zachée qui cherche à savoir qui est Jésus ; ou si c’est Jésus qui cherche à savoir qui est Zachée. En effet toute la scène est en mouvement, traversée d’une agitation et d’une excitation fébriles. On dirait qu’il s’agit de deux amoureux qui se rencontrent enfin après une longue et interminable séparation.

C’est est impressionnant de voir avec quelle habilité littéraire, avec quelle concision et délicatesse Luc réussit à exprimer l’empressement des amants, l’urgence de proximité et le désir d’intimité qui se dégage de leurs retrouvailles. Je me permets de paraphraser à peine les paroles de Jésus : « Zachée, mon ami, me voici enfin ! Tu m’as tellement manqué ! Je t’ai si longtemps cherché ! Descends vite ! J’en peux plus de t’attendre ! Il faut que je sois avec toi! J’ai besoin, je veux tout de suite, maintenant, aujourd’hui même, me trouver avec toi, dans l’intimité de ta maison. Je veux entrer dans ta vie, afin que je l’emporte avec la mienne ».

Quelle surprise et quelle joie pour Zachée d’entendre enfin quelqu’un l’appeler amicalement par son nom ; de se sentir enfin une personne cherchée, voulue, désirée et aimée, lui, qui jusque-là n’avait connu que le refus, l’hostilité et la haine de la part de tous!  «Vite Zachée descendit de son arbre, - remarque Luc, - et tout joyeux il accueillit Jésus chez lui».

Parce que Jésus s’est donné à lui, en entrant dans sa maison, Zachée aussi entrera dans la sienne. Il fera partie de sa famille. Il adoptera son style de vie. Il épousera sa cause, ses principes et ses valeurs. Comme son Maître, il deviendra un homme libre. Il brisera les chaînes de la cupidité. Il se débarrassera de tout ce qui l’empêchera de vivre en communion d’esprit et de cœur avec son nouvel Ami. Il sait que pour cela il faut qu’il devienne pauvre. Il ne peut pas oublier une phrase de Jésus qui circulait sur la bouche de tous ses disciples et qui n’avait jamais cessé de le tourmenter : « Qu’il est difficile à ceux qui ont de richesses de se sauver ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » (Mt 19,23-25 ; Mc. 10, 23-26 ; Lc. 18, 24-26). Transformé par sa rencontre avec le Seigneur et enrichi du don d’un amour qui le transporte, Zachée, qui possède maintenant un trésor autrement plus précieux, ne sait plus qu’en faire de son argent. Alors, finies les tergiversations ! Zachée donnera la moitié de ses biens aux pauvres et il remboursera au quadruple ceux qu’il a fraudé.

C’est ainsi que Zachée, en s’engageant définitivement sur la « voie » tracée par Jésus, connaîtra enfin félicité et plénitude de vie: « Aujourd’hui, - lui annonce Jésus, - le salut est venu pour cette maison ».

Concluons en disant que, par cette narration, Luc a parfaitement réussi à atteindre le but qu’il se proposait. Il voulait d’abord faire comprendre aux chrétiens convertis de son époque que c’est uniquement la rencontre d’une  personne et l’expérience de l’amour que l’on ressent pour elle, la seule raison et la seule force capables de déclencher le processus de conversion (ou de transformation intérieure) par lequel la vie d’un individu est amenée à se fondre dans celle d’un autre, dans un mouvement de confiance et d’abandon total. Cette fusion comporte inévitablement l’abandon d’un monde, d’une mentalité, d’un mode de vie, pour rebâtir sur d’autres rêves et d’autres assises la nouvelle forme de son existence.

Luc voulait ensuite conduire ces chrétiens à réaliser que leur transformation intérieure n’avait été possible que parce que l’amour de Dieu, manifesté en Jésus, était venu à la rencontre de leur aveuglement, de leurs malaises, de leurs insatisfactions, de leurs égarements, en ouvrant leurs yeux, en comblant le vide de leurs cœurs, en les établissant dans la confiance de l’amour, et les conduisant ainsi, à la suite du Maître, sur la nouvelle «voie» qu’il avait tracé .

C’est sans doute à cause la densité de ses contenus, de la complexité de ses thèmes, de la profondeur de ses aperçus et de ses références, accouplés à une extraordinaire simplicité de composition littéraire, que ce conte de Zachée est considéré une des plus belles perles du Nouveau Testament.

BM  

 27 octobre 2016