Rechercher dans ce blog

jeudi 28 décembre 2017

Noël ou un Dieu qui naît de la fragilité des êtres


(Essai d’une interprétation postmoderne du conte de Noël)


 1- « Allons voir le grand événement que Dieu veut nous faire connaître…»  (Lc 2,15)

                        L’histoire évolutive de l’Univers a conduit les humains à l’auto-conscience. À une certaine période de cette histoire, pour échapper à l’angoisse causée par la prise de conscience de leur finitude, de leur vulnérabilité et du caractère inéluctablement transitoire de leur existence, les humains ont inventé des dieux, sur lesquels ils ont projeté leurs désirs de puissance, de sécurité et de vie. À ces dieux, construits à la mesure de leurs manques, les hommes ont confié la tâche de les combler.

             Conçus par l’inquiétude et la peur , les dieux ont été imaginés à l’instar des super-héros de nos films de science-fiction ou de nos bandes dessinées: des Entités masculines, super puissantes, situées en dehors et au-dessus de notre monde, dotées de qualités surhumaines, surnaturelles et extraordinaires qu’elles utilisent, non seulement pour gérer les événements cosmiques, mais aussi et surtout pour libérer les humains des dangers auxquels ils sont continuellement exposés, les protéger et leur assurer une qualité de vie satisfaisante, en échange de leur adoration et de leur soumission.

            L’homme religieux (homo religiosus), en inventant les dieux et en cherchant à les apprivoiser et à se rapprocher d’eux (par un processus psychologiquement compréhensible de mimétisme), les a transformés en prototypes et en modèles de son propre comportement.

            Depuis l’invention de «ses dieux», et pour surmonter ses propres limites, «l'homme religieux» a été continuellement exposé à la tentation de s’approprier des facultés et des pouvoirs qu’il leur avait attribués, dans une folle prétention de devenir comme eux. C’est la tentation de la démesure, de l’orgueil et de la stupidité humaine cherchant à rivaliser avec la puissance et grandeur de la divinité.
          
            Devenir comme dieu ou devenir un dieu, a toujours été le rêve fou de la précarité humaine à la recherche de gratifications et de sécurité. Cependant, pour être comme dieu, l’humain a dû s’élever au-dessus des autres, devenir supérieur aux autres, plus grand, plus important et plus puissant que les autres. Il a dû soumettre les autres. En d’autres mots, il a dû refuser d’être simplement humain ; il a donc dû se « déshumaniser ». De là l’apparition dans le monde des hommes du phénomène de la « violence » (hybris) sous toutes ses formes (pouvoir, confrontation, domination, oppression, haine, guerre …), à l’origine de ce que les religions ont traditionnellement appelé le « péché », responsable de tous les désastres et de toutes les souffrances de l’humanité.

            Si donc, du côté de l’homme, la recherche compulsive de sa « divinisation » a été pour lui une source intarissable de malheurs, Jésus de Nazareth a été, de son coté, un des premiers grands esprits qui a compris et enseigné que le secret du salut et du bonheur de l’homme n’était pas dans sa « divinisation », mais dans son « humanisation » et dans l’élimination des causes de la «violence ». Ce qui comportait nécessairement la guérison des processus psychologiques angoissants (peur, anxiété de sécurité, recherche de pouvoir, de supériorité, de gratification, de succès…), suscités en l’homme par sa finitude et par sa fausse perception de Dieu. Le Nazaréen avait compris que si Dieu continuait à être perçu comme grandeur, supériorité, puissance et pouvoir qui dominent et soumettent, la violence dans le monde était inévitable et l’humanité vouée à un misérable destin.

            Toute la valeur et la nouveauté de la prédication de Jésus consistent dans la proposition d’une nouvelle image de Dieu, aux antipodes de celle avancée par les hommes et leurs religions. Le nouveau Dieu annoncé par Jésus est tout autre, différent, à l’opposé et en contradiction avec le dieu ou le « theos » des religions établies. On pourrait dire que, comparé et confronté au dieu des religions, le Dieu de Jésus apparaît comme un « anti-Dieu » qui ne se manifeste jamais comme grandeur, autorité, puissance et pouvoir qui commande, soumet et exige ; mais toujours comme petitesse et délicatesse à la recherche d’empathie et d’accueil bienveillant. En effet, l’Anti-Dieu de Jésus se présente essentiellement comme une Forme Mystérieuse d’Amour qui se révèle et agit uniquement là où il y a insuffisance, défaillance, faiblesse, perte, imperfection…, afin de combler le manque, soutenir la fragilité, enrichir la pauvreté, donner du perfectionnement, déclencher évolution, infuser énergie, vigueur et vie à tout ce qui flétrit, qui se dégrade et qui peine sous le poids de l’inéluctable pesanteur et finitude de son être. « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids de la vie et vous trouverez le repos de vos âmes…» (Mt, 11, 28-30).

            De sorte que, pour le Prophète de Nazareth, ce que les religions appellent « Dieu», n’est, en réalité, que cette Énergie Primordiale et Bénévole qui n’existe et ne se manifeste dans l’Univers que pour remplir le vide, suppléer au manque, produire relation, intégralité, plénitude, complexité évolutive dans les créatures qu’elle relève continuellement de leurs limites, afin que puisse émerger en elles une qualité supérieure d’être.

            Mais il y a plus: pour Jésus, Dieu semble être également une Énergie qui se désactive et cesse d’opérer dans les humains chaque fois que ceux-ci, dans une attitude d’orgueil arrogante et stupide, sont convaincus d’être riches d’eux-mêmes, c'est-à-dire, d’avoir atteint la pleine configuration ou la pleine suffisance de leur nature. « Dieu comble de biens les affamés, mais il renvoie les riches les mains vides » (Lc 1,53).
  
           
2 – « Ils allèrent et ils trouvèrent un enfant nouveau-né gisant dans une mangeoire pour animaux… » (Lc 2, 16)

            Cette nouvelle façon de concevoir Dieu nous permet de mieux comprendre, d’un côté, pourquoi le mythe chrétien de Noël place la présence et l’action de Dieu là où il y a naissance, petitesse, impuissance, pauvreté, pénurie d’être, symbolisés par l’Enfant-Dieu de la crèche. Et, de l‘autre côté, elle permet de mieux saisir pourquoi Jésus se réfère toujours à la Réalité Ultime avec le nom évocateur de « Père ». Cet appellatif comporte, en effet, une sémantique reliée, à l’origine, à la génération, à la naissance, au surgissement, à la croissance et à l’accomplissement, au soin, à l’amour de l’être, là où avant il n’y en avait pas ou pas assez, qui pour le Nazaréen, sont les caractéristiques typiques de la nature de son Dieu.

             Noël devient alors un magnifique conte, plein de lyrisme et de poésie, qui sert à illustrer le mystère chrétien de la présence amoureuse du Divin dans notre monde et dans la vie des hommes et aussi à nous faire comprendre la nature unique du Dieu de Jésus.

            L’histoire de Noël raconte qu’un jour une Énergie, un Souffle, un Esprit « divins » ont pris corps, chair, visibilité dans notre monde, en se présentant sous les traits d’un enfant qui vient de naître. Non pas un enfant né dans un palais de roi, mais l’enfant d’un humble couple de paysans, pauvres et sans logis. Il s’agit donc d’un être nu, dépossédé de toute ostentation de puissance et de grandeur, habillé seulement de son charme, de sa fragilité, établi dans la dépendance et le besoin le plus radical.

            Noël nous dit que là où un tel enfant d’homme existe, là aussi est le lieu de la présence et de la manifestation de Dieu. Voilà pourquoi l’histoire de Noël raconte que le Dieu de Jésus ne fréquente pas les grands et les puissants de ce monde. Il n’habite pas le luxe du palais d’Hérode, ni le faste du Temple de Jérusalem, avec les solennités du son culte. Il n’est surtout pas dans les manifestations du pouvoir, laïc ou clérical, quel qu’il soit, ni dans les projets et les convoitises des riches et des puissants de ce monde.

            La fête de Noël constitue, alors, une touchante catéchèse sur la nature du Dieu de Jésus. Elle illustre, avec le langage allégorique et imagé de la fable, pourquoi ce Dieu est essentiellement présent dans notre monde comme Force et Esprit de vie, de joie, de perfectionnement, de guérison, de compassion et d’amour qui se manifestent et s’activent à la rencontre de l’indigence et de la souffrance des créatures.

            C’est pour cela que, dans l’histoire de Noël, Dieu est présenté dans une cabane, dans une étable, dans la paille, dans le dénuement et la pauvreté. Il est avec les bergers, les bandits, les exclus, les persécutés. Il est là où la nature humaine est tourmentée et courbée sous les contraintes de l’exploitation et de la violence et sous la pesanteur de sa misère et de sa méchanceté. Il est dans les camps de réfugiés de Lybie, de Syrie, du Liban, du Myanmar. Il est dans leurs enfants nus, qui pleurent, qui souffrent, qui ont faim, qui sont sans soins, sans instruction, sans maison, sans parents, sans patrie, sans sécurité, sans avenir, sans espoir, sans amour.


3- « …Et ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en cadeau de l’or de l’encens et de la myrrhe… » ( Mt. 2, 11)

Chaque année, la fête de Noël vient alors nous rappeler que le Dieu de Jésus est toujours là où résonne le cri de la détresse humaine qui attend le cadeau de notre bonté et l’intervention de notre amour. Noël nous dit que Dieu est là où des êtres ont besoin du don de notre attention, de notre sympathie, de notre aide, de notre action charitable et fraternelle. Noël nous dit que là où la personne est faible, démunie, délaissée, dépréciée, menacée, opprimée, abandonnée, sans pain, sans maison, sans travail, sans considération, sans respect, sans réputation, sans moyens, sans liberté, sans droits… là aussi est le Dieu de Jésus. « J’avais faim…J’avais soif.., J’étais étranger… nu... malade…en prison… et vous m‘avez secouru …» (Mt.25,31-45).

La fête de Noël constitue ainsi un cri, un soupir, une  prière adressée aux grands de ce monde pour leur rappeler l’urgence de cesser la confrontation et la violence. Chaque année, Noël arrive pour demander à ceux qui commandent de rester humains, d’accepter de n’être que des humains et d’arrêter la folle prétention de vouloir être tout-puissants, supérieurs aux autres  et de détenir, comme des dieux , le pouvoir de vie et de mort sur le reste de l’humanité.

            La fête de Noël vient nous dire que toute recherche de grandeur, de supériorité et de pouvoir qui déshumanise ses détenteurs, qui abaisse, humilie, opprime, fragilise et fait souffrir nos frères humains, est et doit rester disqualifiée et bannie à tout jamais. Noël est là donc pour rappeler aux hommes de bonne volonté la nécessité et l’urgence de faire en sorte qu’un jour tous les pauvres, les faibles et les petits  de la terre arrivent  à atteindre la taille de la grandeur spirituelle et de la dignité humaine que Dieu leur a depuis toujours réservées.

Noël est là pour nous rappeler que, conformément aux dynamiques de l’Univers qui nous a produits, nos existences humaines n’acquièrent de valeur et de sens que si elles deviennent le véhicule d’un don divin d’amour et de bonté qui sauve et accomplit ; et que si elles sont, à leur tour, gratuitement et généreusement données pour parfaire le bonheur des autres créatures. « Qui veux garder sa vie exclusivement pour soi-même, la perd ; mais celui qui accepte de la donner comme un présent continuellement offert à qui en a besoin, la conservera pour l’éternité » (Mc.8,35; Lc.17,33; Jn. 12, 25) .

                       Le conte de Noël cherche ainsi à nous faire comprendre que le Dieu de Jésus est cette Bonté créative, cette Énergie Originaire qui pulse au cœur du corps de l’Univers et dans le cœur de chaque humain pour l’ouvrir et le sensibiliser à la beauté du Tout et à la valeur de chacune de ses parties. Ainsi ce Dieu, Réalité Ultime, nous permet d’apprivoiser nos insatisfactions, nos frustrations et nos limites ; de nous réconcilier avec nos défauts et nos fautes ; d’accepter le caractère fini et éphémère de notre existence comme étant une cellule indispensable d’un corps divin ; mais une cellule qui a pour elle une déclaration d‘Amour, une certitude d’accomplissement et une promesse de l’éternité.

            Le petit enfant de Noël constitue alors le symbole le plus saisissant autant de notre condition humaine, que des conditions qui réalisent et incarnent la présence du divin dans notre monde : l’amour qui va à la rencontre de la misère. Enfants, seul l’amour que nous avons reçu, nous a permis de vivre. Adultes, seul l’amour que nous donnerons, nous réalisera et sauvera le monde.

            Si dans les évangiles Jésus pouvait affirmer que tout enfant est capable de contempler le visage de Dieu (Mt.18,1-5), ce n’est que parce qu’il était convaincu que la présence de Dieu ne peut être perçue que sur le visage de tout enfant d’homme capable de croire en la bonté du monde et de confier ses faiblesses entre les mains des forces divines-humaines de l’amour.

            C’est dans la prise de conscience de cet Amour Ultime qui s’incarne dans notre petitesse, que chaque chrétien peut avoir la révélation du divin et toucher, avec espoir et tendresse, l’humble crèche de Bethleem où le conte de Noël a déposé la présence de Dieu dans notre monde.


Bruno Mori

 (Montréal 7 décembre 2017)






lundi 27 novembre 2017

Le Dieu qui habite l’homme et l’homme qui habite Dieu


(Fête du Christ-Roi – Mt. 25, 21-46)

            Depuis la nuit des temps l’homme a toujours été intrigué par la présence d’énergies mystérieuses qu’il constatait partout à l’œuvre dans le monde qu’il habitait. L’homme primitif a instinctivement attribué ces forces à l’action d’une Réalité Ultime à laquelle il a donné le nom de Dieu. Au cours de l’histoire humaine, Dieu a été imaginé de toutes sortes de façons et sous toutes sortes de formes. C’est pour cela qu’il y a autant de conceptions de Dieu qu’il a de civilisations, de cultures, de peuples et de religions. L’énorme diversité de nos représentations de Dieu est en relation directe avec notre impossibilité à connaître quoi que ce soit de sa nature. Alors nous compensons notre radicale et inéluctable ignorance par le foisonnement et la répétition de nos fantaisistes descriptions de la divinité.[i]

            La Réalité Ultime échappera toujours à toute prétention humaine de vouloir la définir et la comprendre. Même son existence ne pourra jamais être affirmée avec certitude par une démonstration ou une déduction logique de notre esprit. Dieu ne pourra jamais être saisi par notre intelligence, mais seulement ressenti par notre cœur comme une souhaitable possibilité; comme un soupir de notre désir, comme un élan de notre fascination qui voudraient relier à une Entité familière et à un visage aimable le mystérieux ensemble d’énergies qui bâtissent partout la grandeur et la beauté du monde.

            Cependant, la logique nous dit que si Dieu il y a, il ne peut être et se manifester que dans ce qui est. Il est en effet absurde de penser que quelque chose puisse exister en dehors ou au-delà de ce qui existe. C’est donc dans l’Univers existant que l’homme doit chercher Dieu ou plutôt les signes ou les traces de son action qui lui font suspecter que quelque chose de l’Ultime Mystère est à l’œuvre et se manifeste dans notre monde.

            On peut alors affirmer que la Réalité Ultime (Dieu) acquière visibilité et consistance dans la réalité de ce qui existe; que la divinité, située par les religions là-haut, dans l’au-delà, dans la transcendance, dans le surnaturel, ne réside, de fait, que dans l’ici-bas, dans l’immanence, dans le naturel, le matériel et le quotidien de notre monde et de notre existence quotidienne. Personne mieux que le théologien basque José Arriegi a illustré cette vérité : « Dieu n’intervient pas dans notre monde de l’extérieur et au gré de ses caprices. Il ne s’incarne pas une fois en passant, pour entrer dans notre monde depuis le sien. Il est la Chair du monde. Il est l’Être de tout ce qui est. Il est le Cœur de tout ce qui bat. Il est le Verbe actif et passif de toute parole. Il est le Dynamisme de toute transformation. Il est la tendresse de tout baiser. Il est le Toi de tout moi et le Moi de tout toi. Il est l’Unité de toute diversité et la Diversité de toute unité. Il est la lumière de tout regard. Il est la conscience de tout esprit. Il est la Beauté et la Bonté qui soutiennent et propulsent l’Univers dans son mouvement sans fin et ses relations infinies» [ii] .

            Il s'en suit que tout ce que nous pouvons deviner de Dieu, ne peut être saisi qu’à travers les phénomènes du processus évolutif de cet Univers physique qui nous a tous générés. On peut alors affirmer en toute vérité que la présence de Réalité Ultime prend corps dans la matérialité de notre monde et qu’elle n’agit et ne se manifeste que dans ses éléments ainsi que dans la complexité de leurs interférences et de leurs relations. Si cela est vrai, nous pouvons en tirer une extraordinaire conclusion et affirmer que notre Univers est, d’une certaine manière, la manifestation concrète et visible ou, si l’on préfère, la matérialisation ou l’incarnation de Dieu.

            Alors que les humains du paléolithique avaient découvert les signes de la présence de l’Esprit de Dieu dans les phénomènes naturels du monde, l’arrivée des religions (au néolithique) a vidé le monde de la présence de Dieu, pour le placer ailleurs. Et depuis ce temps Dieu n’est plus ni avec nous, ni parmi nous.

            C’est le mouvement chrétien, issu de la prédication de Jésus de Nazareth qui, en secouant l’humanité avec la force de son Souffle innovateur, a réveillé les humains hypnotisés et fourvoyés par leurs croyances religieuses et qui, en leur ouvrant les yeux, les a poussés à récupérer le Dieu proche et immanent que les religions avaient chassé hors de leur monde et de leurs vies.

            Dans l’histoire de l’humanité,  le  courant de pensée suscité par le christanisme est peut-être  arrivé  à nous débarrasser des fausses conceptions anthropomorphiques, mythiques et surnaturelles de la divinité, inventés et proposées par les religions, pour nous offrir enfin  un Dieu incarné dans la matérialité de ce monde et, particulièrement, dans sa réalité humaine, telle qu’elle se présente et se réalise, d’une façon exemplaire, dans la personne de l’Homme de Nazareth.

            Pour le chrétien moderne , Jésus de Nazareth constitue  non seulement un modèle d’humanité parfaitement réussie, mais aussi un exemple de comment doit être structurée et vécue, dans la vie d’une personne, sa relation avec Dieu et le prochain. Jésus semble nous montrer que, si nous désirons entrevoir, trouver et toucher quelque chose de Dieu et de son action et de son esprit dans notre existence, nous ne devons plus chercher cela dans les rituels, les normes, les prescriptions, les observances, les lois, les obligations, les prières, les sacrements, les incantations et les croyances proposées par les religions.

            Jésus semble nous dire que c’est plutôt ici, sur notre planète, dans notre maison, au contact avec nos frères humains, l’endroit où nous pouvons découvrir les traces de la présence du Mystère Ultime qui imprègne toute la création. Le seul but de l’enseignement du Prophète de Nazareth a été celui de convaincre ses disciples que, si Dieu existe, il ne peut être qu’ici, dans ce monde qui est le nôtre, dans la nature et dans les créatures qui l’habitent, dans le cœur des personnes, comme étant le souffle, l’énergie la sève, l’âme l’amour qui les font vivre, qui assurent leur perfectionnement, leur épanouissement et leur bonheur.

                        La caractéristique principale et la nouveauté du Prophète de Nazareth consistent finalement dans le fait d’avoir conçu et perçu Dieu comme étant essentiellement, une Force Amoureuse qui remplit l’Univers, un cœur divin qui bat en toute créature et qui est particulièrement active dans l’être humain. À cause de sa capacité et de son attitude à aimer, l’homme possède une ressemblance et une affinité spéciale avec Dieu. Et c’est en déployant totalement sa capacité d’aimer que, selon le Nazaréen, la personne réalise pleinement sa nature et atteint le but de sa présence en ce monde.
            Cette perception de l’homme[iii] considéré le lieu privilégié de la présence dans notre monde de l‘Énergie Amoureuse Originelle que Jésus appelait «Dieu-Père», constituait une conviction particulièrement chère à Jésus, engagé corps et âme dans un projet de transformation et de renouveau de la société de son temps, basé sur des relations humaines à l’enseigne exclusive de la communion, de la fraternité et de l’amour (le «Royaume de Dieu»).

Jésus a enseigné et révélé que c’est cet Amour Originel et Ultime que nous devons être capables d’entrevoir dans le complexe réseau des connexions, des dépendances, des attractions et des relations qui unissent les humains entre eux et avec tous les autres éléments de l‘Univers. Car seulement si nous nous sentons partie intégrante de ce système global et universel né de l‘Amour Originel et parcouru par l’Amour, nous serons en état de comprendre que notre pleine réalisation humaine ne peut être obtenue que par l’amour que nous générons et par l’amour que nous donnons. Donner et recevoir de l’amour devient alors, selon le Nazaréen, la seule façon de nous réaliser en tant que personnes et de faire vibrer le monde des hommes en harmonie avec la musique divine qui fait chanter l’Univers entier.

            Cette vision de l‘homme comme porteur et diffuseur « attitré » de l’Amour de Dieu dans notre monde, fournissait à Jésus les raisons et les arguments théologiques et spirituels nécessaires pour donner de l’élan, du dynamisme, de la détermination et des fortes motivations intérieures à tous ceux et celles qui, à sa suite, voulaient s’impliquer dans la tâche ardue visant à réaliser son rêve de renouveau universel.

            Pour Jésus, c’est alors l’homme qui devient le lieu privilégié de la proximité de Dieu et de la rencontre avec Dieu en notre monde. Pour Jésus, l’Esprit de Dieu est présent dans l’homme; et Dieu agit et aime dans l’homme et par l’homme. De sorte qu’il n’est pas possible d’avoir une bonne relation avec Dieu qui ne passe pas par une bonne relation avec l’homme, quel qu’il soit. Jésus arrive même à affirmer que ce qui est fait à l’homme, doit être considéré comme fait à Dieu. Pour Jésus, il n’est donc pas possible à quelqu’un d’offrir son amour à Dieu, si cet amour ne s’est pas formé dans le ventre de ses relations amoureuses avec les autres êtres humains (et non-humains). Il n’existe pas ici sur terre d’amour pour Dieu à l’état «pur», c’est -à-dire décanté ou épuré de toute scorie humaine ou contact humain. Sur cette terre, l’amour a toujours une coloration humaine et emporte toujours avec soi une forte odeur d’homme. « Celui qui dit d’aimer Dieu, mais ne déploie pas sa capacité d’amour en faveur de ses frères, est un hypocrite et en menteur et Dieu n’est pas en lui » (1Jn 4, 20-21).

            En identifiant la relation à Dieu avec la relation à l’homme, Jésus a accompli la plus grande révolution religieuse et spirituelle de l’humanité. Il a humanisé Dieu. Il a mis Dieu dans l’homme et non pas dans la religion. Il a libéré Dieu du monopole de la religion, de la prison du sacré, pour le placer dans le profane, dans le séculier, dans le monde naturel, dans la vie quotidienne des gens, dans le cœur de chaque personne, dans l’amour que nous ressentons, que nous donnons et que nous recevons. Il a disqualifié l’importance des moyens que la religion propose pour atteindre Dieu. Il a transformé la recherche de Dieu en la recherche de l’homme et d’une plus grande qualité humaine de son existence.

            Jésus n’a cependant pas supprimé la religion en tant que telle ; mais il a cherché à faire comprendre à ses représentants officiels que leur tâche n’est pas principalement celle de conduire les fidèles à aimer Dieu, mais à aimer les hommes et les femmes,  ainsi que tout ce qui les entoure. Car Dieu ne sait que faire d’un amour qui ne peut être vrai ni être sincère et duquel,  de toute façon, il n’a aucun besoin[iv], alors qu’il existe une infinité de personnes qui souffrent et qui ont besoin de notre aide et  de notre amour et avec lesquelles Dieu lui-même s’identifie : « Tout ce que vous avez fait aux plus petits de mes frères, c’est à moi que l’avez fait (Mt. 25,40).

            Pour Jésus c’est dans le service amoureux de ses frères, que l’homme rencontre Dieu et qu’il atteint la véritable grandeur de son humanité.

            Il n’y donc de souveraineté ou royauté possible pour l’homme chrétien que dans la supériorité et la prééminence de son amour.

Il en est de même pour l’Homme de Nazareth.

 Mori Bruno  (17 nov. 2017)
  





[i] Dans la Bible nous ne trouvons jamais des spéculations philosophiques sur la nature de Dieu. On peut dire que les auteurs bibliques ne sont pas intéressés par la spéculation sur l’essence de Dieu afin de chercher à comprendre ce que Dieu est en lui-même. Ces auteurs ont une attitude plus « pragmatique ». Ils sont beaucoup plus intéressés à savoir ce qui arrive au monde et à l’homme lorsque Dieu entre en action. Et ce sont précisément les exploits ou les «gesta» de Dieu que la Bible décrit et qu’elle nous transmet.
Il s'en suit que ce qui détermine la bonne relation de l’homme biblique avec la divinité, est sa «justice»: c’est-à-dire, la «juste» correspondance de ses actions avec la volonté de Dieu, lequel agit toujours, selon les auteurs bibliques, en vue de d’améliorer l’œuvre de sa création et le sort de son peuple.
A la différence du chrétien qui, sous la poussé de l’autorité et de l’enseignement contraignant de l’Église, fonde sa bonne relation avec Dieu sur la foi en des affirmations intellectuelles abstraites contenues dans des systèmes théologiques appelés «dogmes», l’homme de la Bible fonde sa bonne relation avec Dieu sur la bonté de ses actions.
Certes, même dans la Bible il est question de « foi » et la littérature rabbinique utilise souvent l’expression « homme de foi ». Dans la Bible, cependant, la « foi » n’a ni la même connotation cérébrale, ni le même contenu que le Magistère catholique attribue à ce mot. La foi catholique est l’adhésion de la volonté du chrétien à un ensemble d’affirmations théologiques retenues non seulement comme étant absolument vraies, mais aussi comme étant absolument nécessaires à son propre salut. La foi de l’homme biblique, par contre, est une disposition ou une attitude faite d’adoration, d’émerveillement et surtout de « confiance » face à l’action de Dieu telle qu’elle se déploie et se manifeste dans l’histoire de son peuple, dans sa vie personnelle et dans le monde et que l’«homme de foi» cherche à reproduire par l’intermédiaire de ses bonnes ouvres.

[ii] «Dios no interviene desde fuera cuando quiere. No se encarna una vez desde fuera, pues es la Carne del mundo, el Ser de cuanto es, el Corazón de cuanto late, el Verbo activo y pasivo de toda palabra, el Dinamismo de toda transformación, la Ternura de todo abrazo, el Tú de todo yo y el Yo de todo tú, la Unidad de toda diversidad y la Diversidad de toda unidad, la luz de toda mirada, la conciencia de toda mente, la Belleza y la Bondad que sostienen y mueven al universo en su infinito movimiento, en su infinita relación.» (Relat, 449)
[iii] Il va sens dire que chaque foi que dans ce texte il est question de l’homme, cela se réfère aussi à la femme.
[iv] Jésus avait compris que Dieu, étant Mystère ultime absolu et donc Réalité totalement inaccessible et incompréhensible à l’homme, ne peut jamais être saisi ou aimé par l’homme en lui-même, mais uniquement dans les manifestations et les signes que son l’Énergie, agissante dans les profondeurs des êtres, fait apparaître à la surface du monde que nous voyons. Un peu comme lorsque nous regardons la mer en bourrasque. Nous n’avons aucune idée de l’immensité des forces qui habitent et parcourent ses profondeurs. Nous pouvons cependant deviner leur présence aux résultats de leurs actions à la surface de l’eau, lorsque nous admirons, avec un mélange de frayeur et de stupeur, la puissance, la beauté et l’harmonie fougueuse des vagues qui crispent et modulent la surface de l’océan.

vendredi 17 novembre 2017

«Veillez, car vous ne connaissez ni le jour ni l’heure!»

(Mt. 25, 1-13 - 32 dim.ord. A)

            La proximité de la Toussaint et de la mémoire de nos morts risque de nous faire penser que cette sentence finale est une allusion à notre propre mort. Chacun de nous n'en sait, en effet, "ni le jour ni l'heure". Dans un passé pas si lointain, la religion chrétienne était tout entière centrée sur la mort. Avec un arrière-fond de peur: peur de ne pas faire son salut, peur de l'enfer, peur du jugement de Dieu considéré comme un juge sévère. Nous sommes heureusement débarrassés d'une telle image de Dieu, même s'il arrive parfois à tel ou tel de vivre encore dans cette peur pleine de culpabilité et de crainte de Dieu, un Dieu qui veut nous surprendre à l'improviste. Nous le savons : l'Évangile est, au sens propre, une Bonne Nouvelle et non une annonce de malheur, un message de crainte.
           
            Il est vrai que dans les évangiles, Jésus proclame souvent la venue imminente du «Royaume Dieu». Cette expression est cependant utilisée par lui non pas pour nous avertir de notre mort imminente, mais pour indiquer l’instauration d’un monde nouveau et d’une nouvelle société sur terre, régis par les principes et les forces de l’amour et de la fraternité. Pour Jésus de Nazareth la construction de ce monde nouveau que chaque être humain de bonne volonté doit chercher à bâtir et à habiter, a constitué le grand rêve de sa vie, pour la réalisation duquel il est mort.

            Dans les évangiles, Jésus compare souvent ce Royaume à une fête de noces à laquelle tout le monde est invité. Mais pour faire partie de ce monde nouveau, il faut en voir la nécessité. Il faut le désirer. Il faut s’y préparer intérieurement. Il faut être disposé à changer. Il faut donc être attentif et bien éveillé, afin de pouvoir saisir et interpréter les signes de cette nouveauté qui se rend indispensable et nécessaire un peu partout. Il faut être réceptif et éveillé, afin de ne pas rater dans notre vie les appels et les invitations au renouveau et à la conversion que l’Esprit de Dieu, à travers la parole de Jésus, fait continuellement retentir en nous et autour de nous.

            Veillez, signifie alors vivre en état d’alerte et d’attention vis-à-vis des personnes et du monde dans lequel nous vivons. Signifie être conscients de leurs beautés et de leurs laideurs, de leurs accomplissements et de leurs imperfections, de leurs richesses et de leur pauvreté, afin d’être capables autant de nous émerveiller, d’adorer, de rendre grâce, que de nous engager pour aider, réparer, soigner et guérir leurs maux et leurs blessures.

            Veiller, c’est avancer vers l’avenir avec confiance et espoir, sans se laisser envahir par la somnolence de notre apathie, de notre indifférence, de nos attitudes fatalistes qui cultivent le découragement et la résignation, qui poussent à l’abandon, qui désarment nos élans et nous confinent dans l'hébète satisfaction d’une existence plate, médiocre, sans ambitions, sans hauteur, sans souffle et sans but.

            Veiller, c’est croire à la bonté fondamentale du cœur humain et à la sagesse de son esprit. C’est penser que le bien est plus répandu que le mal et que les forces de la fraternité et de l’amour l’emporteront sur celles de l’hostilité et de la haine. C’est finalement croire qu’il vaut toujours la peine de s’engager et de se battre pour améliorer le cœur de l’homme et pour bâtir un monde plus beau.

Dans un monde sous l’emprise de l’égoïsme, de la compétition, de la rivalité et de la violence, veiller c’est se préoccuper de faire plus de place à la gratuité de l’amour dans notre vie, pour que notre cœur puisse être sensible à la souffrance et à la détresse des vivants et aux besoins de nos frères.

Veiller, nous renvoie alors à l’urgence de l’amour. Veiller, devient pour nous aujourd’hui un cri au secours, afin que nous nous dépêchions, nous nous précipitions à aimer. Car la réussite de notre existence et la survie de l’humanité dépendent de l’amour que nous aurons répandu autour de nous au cours de notre voyage à travers l’existence. À la fin de notre parcours nous serons jugés et évalués seulement sur l’amour que nous aurons dans notre cœur et sur celui que nous aurons donné.

Veiller est donc un appel à aimer tout de suite, maintenant, toujours. Nous aimons toujours ou trop peu ou trop tard. Il n’existe pas d’amour inutile, ni d’amour gaspillé. L’amour est toujours source de vie et de bonheur. Il est la seule richesse qui donne poids, sens et valeur à toute chose et à toute personne. Car dans l’amour nous touchons et nous participons au mystère de la présence du divin dans notre monde.

            Veiller, pour nous, les chrétiens, c’est reconnaître avec lucidité et gratitude que nous sommes toujours dans les mains et dans le cœur d’un Dieu qui nos aime et que nous ne devons pas avoir peur de la nuit ; et que nous pouvons donc avancer sans anxiété sur les chemins de notre difficile et pénible existence, même si parfois nous avons l’impression de marcher dans le noir, sans voir clairement où notre marche aboutira.

            Veiller, ce n’est pas mener une vie de héros ou de saints, sans fautes et sans accros; mais c’est vivre une vie qui cherche continuellement à se consumer et à se déployer soutenue par les attitudes de l’ouverture, de l’accueil, de l’attention, du soin, des petits gestes quotidiens du don de soi, de la tendresse et de l’amour, afin que les personnes que nous croisons sur notre route puissent entrevoir que, grâce à Jésus de Nazareth, quelque chose d’extraordinaire et de nouveau est en train de surgir dans notre monde.

BM


Nov. 2017

samedi 21 octobre 2017

CET AMOUR QUE L'ON CHERCHE À MÉRITER....

(Mt.22,1-14 - 28e dim.ord. A 2017)

Bizarre parabole que celle de ce roi (figure de Dieu) qui prépare un banquet de noce pour son fils ; et ces invités qui trouvent toutes sortes de prétextes pour refuser l’invitation ; et l’étrange attitude de ce seigneur qui invite alors n’importe qui, afin que la salle du banquet soit pleine ...! Si cette parabole est interprétée dans son sens littéral, en l’extrapolant du contexte historique de sa composition et des intentions catéchétiques de l’évangéliste, elle a de quoi nous faire réfléchir et peut même nous déranger.

En effet, Jésus présente ici un Dieu pour lequel la valeur, les vertus, les qualités, les mérites, les accomplissements des personnes (représentées par les premiers invités), ne semblent pas avoir grande importance dans sa façon de les considérer et de les traiter. Si les individus sont des braves et honnêtes personnes, tant mieux ! Si non, c’est pareil ! Bons et méchants, tous sont également invités à la fête et tous bénéficient de la même attention et de la même générosité.

Je pense que le but de ce récit est double. D’un côté, Jésus veut faire comprendre que Dieu, son Dieu, à une façon bien à lui de traiter avec les humains et de les aimer. On pourrait dire que, pour Jésus, il existe une façon «divin » d’aimer, qui est assez différente de la façon «humaine» d’aimer. Et c’est justement cette façon «divine» d’aimer qui souvent nous dérange et que nous avons de la difficulté à accepter. Car nous la trouvons inconvenante, trop bonace, pas très éclairée et surtout pas mal injuste.

De l’autre côté, Jésus nous exhorte à accepter ce type divin d’amour et, possiblement, à le reproduire dans notre vie, afin que s’opère dans notre existence une conversion de notre manière de communiquer et d’entrer en relation avec les personnes, et que notre amour pour elles prenne, de plus en plus, la coloration et les caractéristiques de l’amour qui est en Dieu.

En bref, Jésus veut ici nous rendre conscients non seulement du fait que l’amour de Dieu est toujours gratuit, désintéressé, altruiste, tandis que le nôtre est toujours, ou presque, intéressé, calculateur et égoïste ; mais aussi du fait que nous, les humains, souvent nous nous révoltons contre ce type d’amour qui est en Dieu. Nous refusons l’offre de son amour, nous déclinons son invitation.

Jésus nous révèle ici que Dieu veut nous aimer, mais que nous ne voulons pas nous faire aimer, ou plutôt, que nous n’acceptons pas sa façon d’aimer. On dirait que ce genre d’amour divin, toujours gratuit, toujours offert, toujours inconditionnel, nous fait peur, nous agace et nous indispose . Nous avons, en effet, la sensation qu’il froisse notre ego ; qu’il mortifie notre amour-propre ; qu’il brime notre orgueil. Nous ne voulons pas d’un amour gratuit ! Nous voulons en payer le prix ! Nous voulons l’acheter avec nos propres moyens ! Nous voulons le mériter !   

Nous voulons pouvoir être les patrons et les maîtres même de l’amour que nous recevons. Nous voulons que, si quelqu’un s’attache à nous, au point de nous aimer, que cela soit à cause de quelque chose d’attrayant et d’intéressant qu’il a découvert en nous et que nous lui donnons en échange, notre beauté, notre corps, nos valeurs, nos qualités, nos vertus, nos mérites, nos accomplissements, etc.

Et cette attitude marchande remonte souvent à notre enfance. Quand nous étions enfants, nos parents nous ont appris que nous devions conquérir et mériter leur affection. Si nous étions des enfants sages, obéissants, appliqués, studieux, nous avions droit à leur appréciation et à leur amour ; autrement nous avions en retour leurs cris, les reproches, les punitions, l’éloignement physique et émotionnel. Et c’est ainsi que, tout petits, nous avons appris que l’amour est une conquête, que l’amour doit être mérité ; que pour obtenir  de l’amour, il faut donner quelque chose en échange ; et que l’amour n’est jamais donné et obtenu gratuitement.

En grandissant, nous avons continué à penser la même chose, et nous avons appliqué cela à nos rapports avec Dieu. Et lorsque, dans les évangiles, nous avons appris que Dieu aime tout le monde gratuitement et sans conditions préalables ; qu’il aime autant les bons que et les méchants, les obéissants et les désobéissants, les saints et les pécheurs, nous sommes tentés de réagir avec indignation : « Eh non ! Ce n’est pas juste ! Je n’accepte pas un tel Dieu ! Je ne veux pas m’asseoir à sa table ! Je n’en veux pas d’un amour qui ne tient pas compte de ma valeur, de ce que je suis et qui semble s’en ficher de mes qualités et de mes mérites. Je préfère un amour que j’ai moi-même conquis et mérité ; un amour que j’acquière en déboursant de ma poche, même si c’est un prix élevé. Un amour gratuit ne m’intéresse pas, car il me déprécie et me dévalorise, comme tout ce qui ne coûte rien».
Nous voulons donc que la cause et la raison de l’amour que nous recevons soit en nous et non pas dans celui ou celle qui nous aime. Nous voulons être aimés non pas parce que celui ou celle qui nous aime est extraordinairement aimant, mais parce que nous sommes craquants et terriblement aimables, grâce à tous nos atouts.

Cette façon bien humaine que nous avons de concevoir l’amour, est passée de plein pied dans la spiritualité chrétienne et dans l’enseignement officiel de l’Église Catholique qui, le long de son histoire, a élaboré une complexe doctrine sur la grâce sanctifiante, les vertus et les mérites que le croyant doit produire et posséder pour pouvoir profiter de l’amour de Dieu.

Nous agissons ainsi parce que nous n’avons de l’amour que la notion ou la version humaine de ce sentiment que nous considérons comme un mouvement ou un phénomène déclenché par une cause, alors qu’en Dieu l’amour n’a pas de cause, mais est un état de son Être, ou plutôt, il est la nature de son Être.   

L’évangile de ce jour nous dit qu’il faut apprendre à se laisser aimer et à abandonner toute prétention et toute volonté de vouloir contrôler les forces de l’amour qui sont partout autour de nous. Dans la mesure où nous sommes capables de renoncer à tout mettre en œuvre pour «mériter» d’être aimés et à mettre de côté tout besoin de bâtir en nous les raisons de l’amour; dans la mesure où nous accepterons d’être imparfaits, faibles, limités, vulnérables, nous nous approcherons davantage à la vérité de notre être et nous acquerrons cette simplicité, cette sincérité, cette innocence et cette transparence qui feront de nous des personnes autant plus aimables qu’elles ne cherchent pas à piéger à leur avantage les courants de l’amour, auxquels, au contraire, elles s’abandonnent avec la confiance d’un enfant. C’est pour cela que Jésus affirmait que se sont surtout les simples, les pauvres et les petits qui sont les héritiers privilégiés de l’amour de Dieu.

Mais il reste que, de l’amour, nous ne connaissons souvent que ses faibles, défectueuses et superficielles manifestations humaines que nous confondons avec l’amour tout court ; alors que souvent elles ne sont que les expressions de notre égoïsme et de la recherche de notre satisfaction et de notre bien être psychologique, sentimental ou érotique.

Il faut admettre que les dynamique de l’Amour tout court nous échappent totalement. Car l’amour tout court est seulement en Dieu et, principalement, une affaire de Dieu et, par conséquent, il participe de son même mystère. Jamais nous ne réussirons à comprendre pleinement son abyssale et essentielle gratuité, qui, aux yeux de notre esprit humain, handicapé par notre extrême petitesse, nous apparaît comme une folie supplémentaire du Dieu de Jésus-Christ.

Nous pouvons, peut-être, avoir une pâle idée (intercepter une fugace lueur) de ce mystère, lorsque  nous pensons que si Dieu est Amour et en même temps Valeur unique, absolue et ultime, il ne peut être et se manifester que comme Amour totalement inconditionnel, étant donné qu’aucune autre valeur n’existe qui puisse l’attirer ou le concurrencer. Croire que nos petites valeurs humaines, nos petites vertus, nos petits ou grands mérites soient capables de déclencher en Dieu les élans d’un amour qui, autrement, ne nous serait pas donné, c’est un non-sens. Dieu nous aime, non pas parce qu’il nous trouve aimables, mais parce qu’il ne peut pas faire autre chose que d’aimer. Dieu ne peut qu’offrir à tous le repas de son amour ; un amour nécessairement gratuit, comme l’Univers à travers lequel il se manifeste.

Si nous, les humains, nous ne sommes pas capables ni d’imaginer, ni de comprendre, ni de réaliser cette qualité divine de l’amour, puisque notre façon d’aimer est toujours, quelque part, entachée d’égoïsme et de recherche d’avantages, de plaisirs et de gratifications, cela ne nous empêche pas de croire que cette gratuité divine de l’amour puisse constituer, dans notre vie, un rêve et un idéal vers lequel tous les amants devraient tendre. Jésus de Nazareth nous assure que si la gratuité de l’amour chez les humains est rare et difficile, elle n’est cependant pas impossible. Et parfois il arrive que cette qualité d’amour qui est au cœur de Dieu, par grâce ou par miracle, fasse soudainement et brièvement son apparition dans le cœur de l’homme.

Il peut arriver dans la vie d’un individu de tomber soudainement amoureux d’une autre personne ; le coup de foudre qui frappe sans préavis et sans que l’on sache d’où cela vienne et comment cela ait pu être possible. Il arrive parfois que l’amour d’un autre te soit soudainement offert comme un don inattendu, sans que tu n’aies volontairement rien fait pour le susciter ou le motiver. II arrive que l’amour vienne à toi sans aucun « mérite » de ta part ; comme une attitude, un geste, un élan totalement gratuit ; comme un magnifique et touchant cadeau, qu’un beau jour tu trouves posé là, pour toi, au cœur de ta maison, alors que tu pensais que personne n’en connaissait l’adresse.

Il arrive donc parfois que des échantillons d’amour divin percent le ciel pour venir ensemencer de leurs virtualités l’amour des hommes. Il arrive parfois, que dans notre vie, nous assistions à des rares et fugaces manifestations de l’amour tel qu’il existe à sa Source divine. Comme dans l’amour d’une mère pour son enfant ; comme dans le cas de certaines existences exclusivement données à soulager la misère et la souffrance d’autrui (cf.  Jésus de Nazareth); dans la qualité de certaines rencontres et de certaines fusions amoureuses… Dans ces cas, nous sommes confrontés à un phénomène amoureux qui a quelque chose de divin.

Il y a vraiment des attitudes et des comportements amoureux où il faut reconnaître que quelque chose de l’amour divin vient éclairer le ciel de nos existences calculatrices orgueilleuses et égoïstes. C’est comme si des étincelles du monde de Dieu surgissent soudainement et miraculeusement dans le monde des hommes, pour leur annoncer que quelque chose de la pure gratuité divine peut aussi s’introduire dans nos amours humains et qu’il est peut-être possible à l’homme d’aimer à la façon de Dieu.  
Jésus de Nazareth, lui, en était convaincu !

Bruno Mori 4 octobre 2017




vendredi 6 octobre 2017

JAMAIS PLUS FATIMA!

(Mario De Oliveira)

Ce texte est un extrait du livre du même titre qui a été publié au Portugal en avril 1999 par Editora Campo das Letras (campo.letras@mail.telepac.pt) et a obtenu 8 éditions en 12 mois. Ses argumentations sont mieux comprises à partir de la lecture complète de son travail. Le livre peut être demandé à: Jornal Fraternizar (fraternizar@mail.telepac.pt)

 Dieux contre Dieu
À Fatima, comme dans n’importe quel autre sanctuaire ou lieu de pèlerinage, il ne suffit pas d'invoquer Dieu, pour conclure que nous assistons à une manifestation de foi, ou, au moins, de  foi chrétienne. Tout au plus, il s’agit d’une manifestation religieuse, ce qui n'est pas la même chose. En fait, le christianisme, à ses débuts, n'a même pas voulu apparaître comme une religion. Les textes fondateurs du Nouveau Testament ne parlent pas d'une nouvelle religion, mais d'une « voie » ou d’un « chemin ». Voie ou chemin qui doivent nous conduire non pas tellement à Dieu, mais plutôt à la rencontre de l'autre, des autres, de ceux et celles qui ne sont pas de notre propre "chair et sang", et même à la rencontre de ceux que nous considérons comme nos ennemis, afin qu’entre nous et eux, entre nous tous, s’établisse progressivement une relation de fraternité. En effet, c’est uniquement quand cette relation de fraternité devient une réalité, que Dieu est vraiment adoré et honoré et que la foi chrétienne se transforme en un véritable événement. «Ce ne sont pas ceux qui disent "Seigneur, Seigneur" qui entreront dans le Royaume des Cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est aux cieux» (Mt 7.21). L'évangile est à cette condition. Il n'admet pas de fuites qui peuvent apparaître comme très religieuses, mais qui sont aussi très aliénantes, très déshumanisantes et très peu fraternelles.

Dans le cas de Fatima, comme dans tout autre sanctuaire ou temple, il faut s’interroger avec humilité, mais aussi avec lucidité et détermination, si, dans ce lieu, c'est bien Dieu que l’on prie et que l’on adore et quel genre de Dieu est celui qui attire et convoque ici les foules. Parce que, contrairement à ce que souvent on pense, il n’y a pas qu’un seul Dieu. Il y a toujours eu ou cours des âges beaucoup de dieux. Et il a toujours été très difficile de discerner, parmi tant de dieux, celui qui est le vrai ; celui qui progressivement nous humanise et nous fraternise ; celui qui est vraiment «bonne nouvelle» pour les humains. Aujourd’hui il semble que cette difficulté soit encore plus grande que par le passé ; car les dieux sont encore plus nombreux et chaque fois ils semblent plus attrayants et plus séduisants.

Nous savons que Caïn, par exemple, à l'aube de l'humanité et selon le mythe biblique de la Genèse (4, 1-16) - et la première lettre de Jean le rappelle à l'aube du christianisme – invoquait aussi Dieu, accomplissait tous les rites religieux, pratiquait régulièrement la liturgie de son temps. Mais tout cela ne l'a pas empêché, avec le plus grand calme et en toute tranquillité de conscience, de tuer son frère Abel. Le Dieu qu’il invoquait et adorait et à qui il offrait généreusement les prémices de ses récoltes, n'était pas incompatible avec l'acte fratricide. Au contraire, il semblerait que ce Dieu l’ aurait lui-même suggéré et inspiré à un moment donné du culte.

Ce récit biblique n'a pas été écrit pour nous entretenir, mais pour nous construire ; pour que nous puissions nous maintenir en état d’alerte et pour nous aider à discerner. Ce conte veut nous révéler qu'il ne suffit pas d'admettre l'existence de Dieu, d'être déiste, d'être religieux, d'assister à des actes de culte et dans des lieux considérés comme sacrés, pour être automatiquement des hommes et des femmes de bonne qualité, humanisés, fraternels, en un mot, chrétiens. Nous pouvons faire tout cela et plus encore, comme contribuer avec des généreuses offrandes à la construction de temples et de sanctuaires ; faire des vœux et des promesses difficiles et pénibles et les accomplir scrupuleusement ; avoir même une bonne relation avec les prêtres et les représentants des nombreuses religions qui existent dans nos sociétés et, en même temps, nourrir des sentiments de haine et de vengeance, de jalousie et de mort contre l'autre et contre les autres. Et ce qui est encore pire, nous pouvons même passer des sentiments à l’action et tuer l'autre, les « ennemis », ceux qui ne pensent pas comme nous, ceux qui ne sont pas de notre religion, qui n'acceptent pas de « jouer notre jeu "... Et tout cela, sans aucun remord de conscience ; au contraire, avec le sentiment du devoir accompli, avec la sereine conviction de celui qui pense que c'est comme ça qu’il est vraiment une personne religieuse et qu’il plait à Dieu (voir croisades, guerres de religions, Inquisition chrétienne, terrorisme djihadiste , etc.).

Écrire et dire ces choses peut, sans doute, choquer beaucoup de gens, croyants en Dieu ou athées. Mais cela ne devrait pas déranger les chrétiens et leurs églises respectives. Le christianisme, depuis ses débuts, n'a jamais voulu être une religion de plus parmi les nombreuses religions déjà existantes dans l'empire romain, mais une voie, un chemin conduisant, comme on l’a dit plus haut, à la rencontre de l’autre, des autres, même de ceux qu'une certaine éducation civique et religieuse définissaient comme ennemis. Le Christianisme est né non pas comme une religion, mais comme un mouvement spirituel de fraternité et de communion universelle entre tous les humains. Le christianisme est né comme révélation et annonce radical d’humanisation, de liberté et de fraternité pour tous les hommes et les femmes de la terre.

Jésus de Nazareth, suite à la foi des disciples en sa résurrection, fut reconnu et proclamé par les premiers adhérents à son mouvement spirituel, comme le Messie et l’Envoyé (le Christ) de Dieu. Toutefois, jusqu'à sa résurrection, il avait été le plus détesté des hommes; condamné à mort comme blasphémateur et subversif, il fut exécuté sur une croix. Or, il est symptomatique de remarquer que ceux qui furent derrière ce grand crime ; ceux qui ont voulu, planifié, orchestré et perpétré l’élimination de Jésus, ont été des hommes religieux, profondément croyants en Dieu, placés à la tête d’une des institutions religieuses les plus prestigieuses et les plus sacrées de cette époque.

 Et lorsque les princes des prêtres et le Sanhédrin, avec les théologiens du Temple, prirent la décision d’éliminer définitivement le Prophète de Nazareth, ils firent cela avec la ferme conviction de rendre gloire à Dieu, ce Dieu qu’ils adoraient et vénéraient par des liturgies somptueuses dans le Temple grandiose de Jérusalem. C’est donc avec une pleine assurance dans leur totale justice devant Dieu et avec la plus grande tranquillité de conscience, qu’après un crime si horrible, ils purent continuer, comme si de rien n’était, à fréquenter le Temple et à promouvoir le culte en l'honneur de leur Dieu.
Mais qu'est-il arrivé à Jésus de Nazareth, appelé le Christ ? Lui et sa cause se sont transformés, au moins pour les chrétiens et les chrétiennes qui l’ont suivi et pour leurs églises, en l'événement le plus révélateur de l'histoire, en une lumière qui illumine tous les humains de ce monde. Jésus est devenu, pour ces croyants, le nouveau et définitif big-bang de la création de l'humanité et d’un monde nouveau. En Lui a commencé ce qui est nouveau et définitif. En Lui et avec Lui l'humanité est née à nouveau, définitivement fraternelle et solidaire.

Nous savons, de ce que Jésus nous a appris et, d’une manière définitive, depuis que son Dieu et Père l’a ressuscité d’entre les morts, qu'en fait Dieu n'a jamais été une réalité univoque. Il y a beaucoup de dieux. Il y a Dieu et il y a les dieux. Et il y a une lutte des dieux contre Dieu. Il y a des dieux qui sont extrêmement dangereux, tueurs, despotes et oppresseurs, genre de monstres sanguinaires qui, pour se sentir en forme, ont besoin de boire et de répandre le sang de victimes innocentes. Des dieux sadiques donc, qui dévorent leurs adorateurs, en les asservissant et en les dégradant. En un mot, il y a des dieux qui déshumanisent et qui arrivent même à tuer, parfois physiquement, très souvent psychologiquement et spirituellement, leurs adorateurs. On dirait que ces dieux cherchent à transformer à leur image ceux et celles qui les invoquent, lesquels sont habituellement des gens très religieux, comme Caïn, mais qui, souvent, deviennent aussi meurtriers que lui.

Et il y a ensuite le Dieu des victimes, lui-même victime de tous les dieux puissants et meurtriers ; le Dieu qui a ressuscité Jésus d’entre les morts. C'est le Dieu de Jésus et le Dieu des hommes et des femmes qui continuent sa cause (chrétiens, chrétiens et tous les gens de bonne volonté). C’est le Dieu vivant, qui vit et qui fait vivre. C’est le Dieu qui ne veut pas d’autre culte que celui de la promotion de la vie et de la vie en abondance pour tous. C’est le Dieu qui non seulement ne veut pas de victimes et ne produit pas des victimes, mais qui est toujours à l’œuvre pour leur épargner la souffrance et les descendre de la croix. C’est le Dieu qui se manifeste dans le regard égaré et le corps souffrant des victimes de l’histoire, par lesquelles il interpelle les violents et les puissants de ce monde, en leur posant la question la plus inquiétante et la plus défiante qui soit, la même qu’il avait autrefois posés à Caïn :« Où est ton frère, qu'est-ce que tu as fait de ton frère ?». Ou cette mise à jour de la même question : « Pourquoi me persécutes-tu? » (Actes 9: 4).

Du dieu de Fatima, libère-nous, Seigneur !

A Fatima nous avons trois enfants : Jacinta et Francisco, fauchées pas la fièvre espagnole avant l’âge de onze ans et Lucia, une fillette qui survit, mais qui est enlevée à sa famille et à son village et que l’on a empêché de vivre la vie normale des jeunes filles de son âge. Après avoir été ballotée d’un couvent à un autre pendant plusieurs années, en 1945 Lucia aboutira au monastère des Carmélites de Coimbra, où elle restera comme religieuse cloitrée jusqu’à sa mort survenue en 2005, à l’âge de 97 ans. Voilà le principal et triste bilan des protagonistes des événements appelés les «apparitions de Fatima». Probablement, personne dans l'Église catholique n'a jamais osé regarder ces apparitions sous cet angle de vue.

Que personne ne pense que nous écrivons ceci pour rejoindre les rangs des soi-disant "ennemis" de Fatima. Ce qui nous pousse à écrire, c’est la fidélité au message de l'Évangile et au Dieu de Jésus de Nazareth, que sa mère Marie, mieux que quiconque, chantait comme le libérateur et le sauveur de l'humanité et, en particulier, des pauvres et des exclus de ce monde.

 Notre lecture du livre le plus important sur les apparitions de Fatima, les Mémoires de Sœur Lucie, nous oblige à le faire. Car le Dieu qui est proclamé et présenté dans cet ouvrage[1] n’a absolument rien à voir avec le Dieu révélé par Jésus de Nazareth. Dans ce livre on a plutôt à faire avec une divinité cruelle, insensible, sanguinaire, un Moloch, sorti de l’imagination maladive d’enfants terrorisés et abimés par une fausse éducation chrétienne, qui n’aime pas les humains; qui prend plaisir à la souffrance des innocents; qui a inventé l’enfer pour châtier et torturer éternellement ceux qui ne vont pas à la messe le dimanche, ou qui disent des gros mots, un Dieu qui est donc pire que les pires psychopathes qu’il a pu créer.

J’inviterais ici les pieux lecteurs catholiques qui seraient portés à être choqués par les propos exprimés dans cet article ,à prendre la peine et le temps de lire les Mémoires  de Sœur Lucie,  disponibles aussi sur internet[2]. Parce que, s'ils le font, et qu’ils lisent ce livre à la lumière de l'Évangile de Jésus de Nazareth, ils finiront probablement par prier ensemble avec moi : «Du dieu de Fatima, libère-nous, Seigneur !»

Élevés dans la terreur

Le livre de Lucia nous fait reculer dans le temps et nous plonge dans l’atmosphère religieuse et ecclésiastique dans lequel ont vécu les enfants de Fatima, aux alentours de 1917. C’était le temps de la première guerre mondiale. Cependant, la peur que l’on respirait, surtout dans les milieux populaires et ruraux, ne venait pas de la guerre, mais de la religion. La catéchèse familiale et paroissiale, ainsi que la prédication du dimanche et celle qui se pratiquait au cours d’autre événements religieux alors très récurrents, constituaient une sorte d’endoctrinement systématique basé sur la production, le stockage et la distribution de la peur de Dieu et de l’enfer dans l’esprit et l’âme des fidèles. Ce qui n’en faisait un acte pas moins néfaste et criminel que la guerre qui sévissait. Acte d’autant plus néfaste et criminel, que cette prédication pénétrait profondément dans l’esprit des gens simples et ignorants de ce village, en particulier des enfants, petites créatures très sensibles et sans défense, prêtes à croire tout ce que les adultes leur racontaient, en particulier les parents, les évêques et les curés, dont la parole était écoutée et suivie comme si elle était un oracle divin et comme si elle exprimait la volonté de Dieu présent au milieu du peuple[3].

Les trois enfants de Fatima ont respiré une telle atmosphère. Les Mémoires de sœur Lucie  ne laissent aucun doute sur cela, pour ceux qui savent lire entre les lignes et de manière critique, sans se faire contaminer par le mysticisme religieux presque pathologique dans lequel ce livre a été écrit.

La lecture des Mémoires montre, avec une évidence presque tangible, comment la terreur a été une sorte de calamité naturelle constamment présente dans la vie de ces trois enfants. Ils vivaient troublés et angoissés par le péché, par l'enfer et par les pécheurs qui vont en enfer. Tout était péché pour eux, même un baiser donné à un autre copain ou copine dans le jeu de « las prendas ». Pour Jacinta, par exemple, on ne pouvait donner un baiser qu’à Notre Seigneur, en embrassant l'image du Crucifié. Comme si un autre garçon, fille ou compagnon de jeux, n'étaient pas une bien meilleure image de Dieu, mais seulement une occasion de péché. Qui a inoculé une telle vision moraliste dans l’esprit de la petite et angélique Jacinta ? Quelle catéchèse satanique a déformé son regard ? Qui l’a privée si tôt de son innocence naturelle ?

Dans ce contexte, tout pouvait conduire à l'enfer. Dieu, aux yeux de ces enfants, était tellement rendu au bout de sa patience par les péchés des créatures humaines, que sa colère était toujours sur le point de dépasser les limites de son endurance, et menaçait toujours d’éclater au grand jour, si les trois petits enfants n’acceptaient pas de souffrir, souffrir, souffrir, faire toutes sortes de sacrifices (pour lui faire plaisir, pour le calmer, pour lui montrer leur amour, pour la conversion des pécheurs) et, en même temps, réciter beaucoup de chapelets.

Il est normal que des enfants qui reçoivent toute cette information, sensibles et sans défense comme ils sont, souffrent, pleurent, sentent de la peine pour ce Dieu attristé, offensé et fâché. Et puisque ce Dieu aime tant la souffrance, voilà que ces enfants désirent s'offrir à lui en tant que victimes ; ils se disent prêts à souffrir, même jusqu’à la mort, pour soulager sa peine , calmer sa rancune, l’apprivoiser en quelque sorte, pour l’induire à pardonner aux pécheurs.

 Ces enfants sont complètement possédés par une mystique de mort, une mystique sacrificielle, qui parle de préférence d'un Dieu de mort qui dévore ses créatures, plutôt que d'une mystique de vie, la seule que le Dieu de Jésus peut inspirer à ses fils et à ses filles, puisqu'il est lui-même un Dieu qui travaille continuellement pour que chacun de nous puisse avoir la vie et la vie en abondance.

Ces enfants ont été les victimes d’une véritable torture psychologique et spirituelle. Dans un tel climat de religiosité, l’existence de ces petits êtres qui prennent tout au sérieux, s’est transformée en un véritable cauchemar. Ils ont expérimenté et donc vécu leur vie comme étant soumise à une danger continuel, torturant et épouvantable : celui de pouvoir être condamnés aux supplices de l'enfer. Il suffisait de faire quelques péchés. Pour ces enfants, le péché était partout et très à facile à commettre. Pour eux, par exemple, c’était un péché que de dire des mots offensants ou se permettre des petites espiègleries. De tel péchés étaient suffisants pour être condamné à l’enfer ; un enfer qu’eux-mêmes décrivent avec des images effrayantes. L'enfer était la grande menace pour tous et le sort qui était le plus susceptible d'arriver à n'importe qui. Et, pour les pécheurs, plus qu'une menace, l’enfer était déjà une certitude.

Dans ce climat religieux façonné par une spiritualité non seulement totalement étrangère à l'Évangile, mais, pire encore, complètement en contradiction avec le Dieu annoncé par Jésus, il n'est pas surprenant d’apprendre que le plus grand désir de ces enfants était de mourir le plus tôt possible, afin d'aller le plus vite possible au paradis, parce que cela constituait le seul moyen d’échapper plus facilement aux embuches et aux  dangers d’une vie qui pouvaient les précipiter dans les tourments de l’enfer, dans lequel quiconque y tombe, y tombe pour toujours, brûlant dans cet immense four, à feu lent, en compagnie des animaux les plus dégoûtants et hideux.

 Dans son livre, Lucie raconte à maintes reprises comment Jacinta et Francisco étaient affectés par la peur de l'enfer. D’après Lucie, cette peur était le résultat normal et naturel d’une catéchèse familiale abondamment administrée par leur mère, qui exagérait volontairement  les couleurs de l’anxiété. Et les prédicateurs des missions paroissiales qui suivaient fidèlement les consignes du livre « Mision Abreviada » (Abrégé pour la prédication des missions) n’étaient pas bien loin derrière elle.

Ce qui aujourd'hui choque et scandalise ceux qui cherchent à être disciples de Jésus et à se laisser conduire par les valeurs de son annonce libératrice, c’est de constater que cette Dame, que les enfants déclaraient avoir vu et entendu le 13 mai 1917, et qu’ils affirmaient  venir du ciel, c'est-à-dire de Dieu, ne semble pas leur être apparue pour les libérer de la peur et les inviter à vivre pleinement leur existence dans la joie, l’abandon et la confiance en l’amour inconditionnel et inconditionné du Dieu-Papa, annoncé par son Fils. Au contraire, elle commence par annoncer aux deux enfants les plus jeunes et aussi les plus terrifiés, qu’ils mourront  sous peu ; et qu’ainsi elle leur fera la grâce de les libérer du mal et des dangers de cette vallée de larmes, en les amenant avec elle au paradis. Voilà le beau cadeau que la Dame venue du ciel offre à ces enfants qui viennent juste de commencer à vivre !

Catéchèse terroriste

Au lieu de la bonne nouvelle libératrice de l’évangile, selon laquelle Dieu veut que les hommes vivent et qu’ils vivent pleinement et abondamment, elle leur annonce qu'ils vont bientôt mourir. Fondamentalement, la Dame venue du ciel se limite à reproduire et à légitimer la catéchèse terroriste et négatrice du message ecclésiastique que les enfants entendaient constamment à la maison et à la paroisse.

Mais le plus choquant était à venir : il s’agit de l'apparition du 13 juillet 1917. À en croire au récit de Sœur Lucie, au cours de cette apparition, la Dame venu du ciel a eu la belle idée de montrer l’enfer aux trois enfants. L’impression que surtout les petits Jacinta et Francisco en reçoivent est à tel point dévastatrice, qu’ils en resteront marqués pour le reste de leur vie et que jamais plus ils seront des enfants normaux. Déjà hypersensibles et de santé manifestement déjà affaiblie, cette épouvantable vision les brisera dans l’âme et dans le corps, au point qu’ils ne s’en remettront plus jamais.

À partir de ce jour, Jacinta et Francisco ne parviendront plus à être des enfants comme tous les autres. Ils ne seront plus capables de jouer, de s’amuser, de s’alimenter normalement et de faire face à la vie avec la nonchalance et le naturel d’enfants en bonne santé. D’une certaine façon, la Dame venue ciel avait trouvé le moyen de tuer en eux le désir et la joie de vivre et de les faire ainsi mourir de leur vivant. Francisco, par exemple, arrêtera d'aller à l'école, et préférera se cacher plutôt dans l'église afin de réciter le rosaire pour le salut des pécheurs dans l’espoir de leur éviter les souffrances de l’enfer.

La vision de l'enfer a tellement marqué les deux enfants que, dorénavant, ils se sentiront obligés de prier pour les pécheurs et de faire des sacrifices pour leur conversion. Le livre des Mémoires de Lucie témoigne que Jacinta et Francisco pouvaient passer des journées entières sans manger. Ils donnaient leur casse-croûte aux moutons ou aux pauvres. Ils s’imposaient de ne pas boire une seule goutte d’eau en plein mois d'août. Ils marchaient toute la journée, et même pendant la nuit, avec une corde attachée en permanence autour de taille, jusqu'en saigner.


Masochisme religieux

Avec ces attitudes chargées de masochisme religieux et sacrificiel dont ils n'étaient personnellement pas responsables, mais seulement victimes, les enfants de Fatima ont prétendu - avec une ingénuité et une innocence touchantes, - consoler notre Seigneur et le Pape[4].

C’est ainsi que, dans cette histoire des apparitions de Fatima, le catholicisme est arrivé à l’inversion complète et au reniement total des valeurs les plus  fondamentales contenues dans la « Bonne Nouvelle » annoncée par Jésus de Nazareth, qui fut la meilleure révélation de Dieu dans l’histoire de l’humanité. La bonne nouvelle proclamée par Jésus (qui présentait un Dieu-Père pleine de miséricorde et de tendresse, aimant d’un immense amour tous ses enfants, autant les bons que les méchants et ne désirant pour eux sur terre qu’abondance de vie et plénitude de bonheur) constituait le message le plus libérateur et le plus consolateur jamais offert à tous ceux et celles qui étaient officiellement considérés comme des exclus, des transgresseurs, des coupables et des pécheurs.

Rien de tel dans les messages de Fatima. À Fatima les croyants sont confrontés à un contre-évangile et à l’annonce d’une « Mauvaise Nouvelle » : au lieu de l’annonce joyeuse et exaltante d’un Dieu qui vient en tant que compagnon, ami et père, avec le cœur d'une mère, consoler ses enfants et les libérer de la peur, du mal et de la souffrance , la Dame de Fatima leur annonce la nouvelle d’un Dieu en colère, sadique, qui ne peut être contrôlé et apaisé que par le sang, les souffrances et les supplications de ces jeunes victimes innocentes, à travers un vie passée à l’enseigne de la peur, de continuelles privations et sacrifices. Et cela dans le seul but que ce Dieu fâché, puisse freiner sa rage et renoncer à châtier les pécheurs.

Mais à Fatima il y a encore pire. Ici la Dame venue du ciel a présenté aux trois enfants la caricature la plus horrible et la plus monstrueuse que l’on puisse imaginer de Dieu : un être dont la méchanceté, le cynisme et la cruauté dépassent infiniment celles de tous les pires pécheurs et les pires délinquants de la terre. En effet, le Dieu de la Dame est un Dieu qui a volontairement créé l’enfer pour se venger et faire souffrir éternellement les pauvres pécheurs. Et cette Dame venue du ciel est de mèche avec une telle divinité ; elle paraît en parfaite connivence avec un tel Dieu et avec son abominable invention, au point qu’elle se plaît à la montrer aux enfants, comme si l’enfer était un titre de gloire et  un chef-d’œuvre de l’Artiste divin.

Il faut penser que, la Dame de Fatima ne soupçonnait certainement pas que l’invention de l’enfer de la part de son Dieu serait devenue, plus tard, une des causes principales autant de la croissance de l’athéisme, que du refus de la religion catholique. Si la Dame de Fatima avait été moindrement théologienne, elle aurait immédiatement su, qu’en saine théologie, la foi en Dieu est inconciliable avec la croyance en l’enfer, étant donné que les deux concepts s’excluent mutuellement. Et si la Dame avait été moindrement chrétienne, elle se serait aussi rendue compte que son Dieu était en total contradiction avec le Dieu prêché par son fils Jésus. Elle aurait donc compris qu’il était impossible de croire en son Dieu et de faire partie de l’Église chrétienne.

Cela équivaut à dire que Fatima et le christianisme sont deux phénomènes religieux opposés et inconciliables. En d’autres mots, ceux et celles qui acceptent de croire aux communications de Fatima, doivent renoncer à se considérer chrétiens. Ils pourraient, à la rigueur, se qualifier comme « catholiques », en l’honneur des nombreux Papes qui ont succombé aux charmes maléfiques de la Dame de Fatima et ont, malencontreusement, ratifié ses funestes délires ; mais ils ne peuvent certainement pas se considérer disciples de Jésus de Nazareth.

 Il est urgent d'évangéliser Fatima

On doit donc affirmer que le livre des Mémoires de Sœur Lucie, où elle a écrit les souvenirs de son enfance à Fatima, contient et transmet une théologie (réflexion sur Dieu) qui se situe aux antipodes de la pensée chrétienne. Lucie a écrit son livre forcée par certains ecclésiastiques qui s’étaient arrogés le droit de lui imposer leur volonté et leur autorité.

Il s’agit d’une théologie qui parle d’un Dieu, qui est sans doute celui qui habitait l’imaginaire de beaucoup de gens de ce temps ; mais qui possédait toutes les caractéristiques d’une idole abominable qui dévore les pauvres gens. Une théologie qui présente un Dieu conçu comme un justicier impitoyable, qui ne peut calmer et satisfaire sa colère punitive et destructrice qu’avec le sang, beaucoup de sang, des victimes innocentes. Il s’agit d’un Dieu bourreau ; d’un Dieu contre l'homme et la femme ; d’un Dieu sans entrailles de miséricorde, tyran et despote. Un Dieu pire que les plus mauvaises de ses créatures. Un Dieu intrinsèquement pervers, qu’il est nécessaire d'apaiser et dont le bras justicier est toujours prêt à tomber sur l'humanité pécheresse[5]. Et si, jusqu’à maintenant, il a retenu ses frappes mortelles, cela est dû au fait qu’il a, heureusement pour les humains, à ses côtés la créature la plus sainte qui puisse exister et, apparemment, qui est bien plus miséricordieuse que lui, la Dame du Rosaire, qui seule réussit à le retenir et à le calmer.

Mais cette Dame est elle-même sur le point de n’être plus capable d’endurer pour longtemps la colère et la haine de Dieu contre l'humanité. Elle a donc décidé de descendre du ciel vers la terre, plus concrètement vers le Portugal, où quelques années auparavant, a été instaurée (coïncidence !) une République maçonnique et athée, pour demander à trois enfants innocents de l'aider dans cette énorme tâche.

« Est-ce que vous voulez -leur a-t-elle demandé  dans sa première apparition- vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu'Il voudra vous envoyer, en réparation pour les péchés par lesquels il est offensé et pour lui adresser des supplications pour la conversion des pécheurs?» Les enfants, éduqués dans une catéchèse sacrificielle et terroriste, ont dit oui. Et, comme eux, beaucoup de gens aujourd'hui continuent encore à dire la même chose à ce Dieu.

Seulement ceux qui ne veulent pas voir, peuvent ignorer qu’à Fatima, le Dieu le plus recherché par les personnes qui souffrent maladies et afflictions de toutes sortes, est une affreuse caricature de Dieu. C’est un Dieu qui nous angoisse, qui inspire la peur, qui nous punit, qui donne et prend nos vies comme bon lui semble et selon son humeur du moment. C’est un Dieu qui exige des sacrifices humains, qui se complaît à la vue de l'auto-flagellation des pauvres, dans une immolation qui peut atteindre les limites de leurs forces et de leur vie. C’est un Dieu en rébellion contre l'Évangile, et qui a donc plus du démon que du Dieu.

C’est le Dieu qui, depuis l'aube de l'humanité, a vécu dans notre inconscient collectif, où, manifestement, n'est pas encore arrivée la bonne nouvelle libératrice de toute peur, qui est au cœur de l'Évangile de Jésus.

L'Église catholique qui, dès les débuts, a réglementé le phénomène « Fatima », n’a pas encore été capable de l’évangéliser. Et Dieu sait si cette tâche est urgente et nécessaire ! Malheureusement, elle a été plus intéressée à profiter à son avantage, et d’une façon sacrilège, de ce phénomène. Sans doute parce que, comme le dit l'annonce de la loterie, cela était plus facile, pas cher et rapportait des millions. En plus, Fatima garantissait des statistiques élevées à l’heure de faire le recensement des catholiques portugais. Ce qui donne à la hiérarchie ecclésiastique du Portugal beaucoup plus de pouvoir lorsqu’il sagit de revendiquer ou de négocier des avantages législatifs auprès des autorités politiques en place.

Il est temps de changer Fatima de fond en comble. Est-ce risqué ? Sans doute ! Mais c'est une nécessité incontournable. L'enjeu est le Nom de Dieu, le Dieu révélé en Jésus de Nazareth. C’est l’authenticité de la foi chrétienne. Et surtout est en jeu le sort de l'humanité, surtout de la majorité appauvrie et opprimée, que l’annonce de Fatima encourage à maintenir dans la peur, la soumission, la privation, la souffrance et le sacrifice.

Les théologiens chrétiens ont donc leur mot à dire sur la question de Fatima. Avec lucidité, courage et discernement. Pour lutter contre les faux dieux qui dirigent les sorts de l’humanité, la parole des théologiens est irremplaçable. Et il arrive parfois que leur parole en fasse des martyrs, comme cela a été le cas pour certains confrères théologiens d’Amérique Latine. Mais les théologiens ne peuvent pas cesser de parler. Comme ne peuvent pas se taire, non plus, les communautés chrétiennes qu’ils animent de leurs enseignements.

C‘est grâce à ces théologiens et théologiennes qui se battent pour garder vivante dans l’Église la pureté et l’originalité de la doctrine du Maître de Nazareth, que nous savons aujourd’hui que son Dieu, devenu aussi notre Dieu, n’est pas un Dieu qui a créé l’enfer pour y précipiter et y torturer les pécheurs (et qui n’en est pas un ?); mais un Dieu qui les accueille et qui mange avec eux. Et cela par choix, par grâce, par pur amour, pour son plaisir. Ces théologiens rappellent sans cesse aux chrétiens que le Dieu de Jésus est un Dieu qui, au lieu de faire des victimes, cherche à les baisser de la croix. C’est un Dieu engagé, en tant que Créateur, à faire de cette terre, qui a déjà beaucoup de l’enfer, une terre nouvelle, où Il habite avec nous et parmi nous comme l’Emmanuel, à tout jamais.

 Et Marie, la mère de Jésus, au lieu de se promener à droite et à gauche pour demander aux gens simples, pauvres et ignorants de faire des sacrifices et de réciter des nombreux chapelets pour la conversion des pécheurs, apparaît, au contraire, dans les évangiles comme la plus grande poétesse et chanteuse de ce Dieu totalement engagé dans la libération et le salut de l'humanité et pleinement occupé à porter à terme la création du monde. Une création dont l’évolution et le perfectionnement ont été retardés, parce qu'il ne voulait pas les accomplir sans nous, mais avec nous. Et aussi parce qu'il respecte notre liberté, sans jamais perdre sa patience, malgré les innombrables bêtises que nous commettons contre nous-mêmes, contre les autres et contre la nature qui nous sert de berceau.

Dieu agit ainsi parce qu'il nous aime infiniment. Et il ne peut pas faire autrement !


(Traduction libre de l’espagnol par Bruno Mori: Fátima nunca más! )

(Texte original en portugais et espagnol dans la revue Relat223, voir : http://www.servicioskoinonia.org/relat/)





[1] Ouvrage de base pour comprendre l’esprit, la spiritualité et la théologie subjacente au phénomène des apparitions de Fatima.
[3] Le livre Lucie montre, avec une redondance presque fatigante, comment elle-même a toujours été victime de ce sinistre endoctrinement  et comment, même des nombreuses années plus tard, elle restera marquée par cette vision mythique et angoissante de la réalité, totalement étrangère au message libérateur de l'Évangile.
[4] Le souci pour le pape était survenu après qu’un prêtre leur avait parlé de l’existence du Pape et les avait informés que celui-ci était persécuté par les «ennemis» de l'Église.

[5] Sr Lucie écrit au Père Aparicio le 20 juin 1939  : «  Notre-Dame a promis de remettre à plus tard le fléau de la guerre si cette dévotion était propagée et pratiquée. Nous la voyons repousser ce châtiment dans la mesure où l’on fait des efforts pour la propager. Mais je crains que nous ne puissions faire davantage que ce que nous faisons, et que Dieu, mécontent, lève le bras de sa miséricorde et laisse le monde être ravagé par ce châtiment, qui sera comme il n’y en a jamais eu, horrible, horrible.  » (op. cit., p. 244)