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mercredi 15 février 2017

LA RELIGION DISQUALIFIÉE OU L’ÉLOGE DE L’INTÉRIORITÉ


(Mt. 5, 17-37 – Marc 7 - 6e dim. ord. A)

On pourrait dire que le chapitre cinq de l’évangile de Matthieu, qui contient les Béatitudes et les textes que nous lisons au cours de ces dimanches, détermine un tournant dans l’histoire de la spiritualité humaine. Il marque la fin d’une mentalité, d’une forme d’être religieux et de concevoir et de vivre notre relation avec Dieu et nos semblables, ainsi que la fin d’un monde, d’une culture, d’une société programmés et dirigés par la religion.

Dans ces textes, Jésus inaugure une nouvelle façon de concevoir la fonction de la religion dans la vie de la personne et une nouvelle manière de se rapporter à elle. En affirmant que la religion est au service de l’homme et non pas l’homme au service de la religion, Jésus brise le pouvoir absolu que la religion pensait détenir sur la conduite et la conscience des humains.

Jésus ne dévalorise pas la religion en tant que telle, mais il invite ses disciples à aller au-delà et, souvent, à passer par-dessus les obligations qu’elle impose (ses dogmes, ses pratiques cultuelles, ses exigences éthiques) et à dépasser la simple probité et honorabilité toute extérieure qu’elle procure :« Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux ».

Vous aurez remarqué que dans ces textes, comme d’ailleurs dans toute sa prédication, Jésus n’exhorte jamais les siens à être de bons juifs pratiquants; à se soumettre aux normes et aux prescriptions de la Loi mosaïque comme les ablutions rituelles, le repos du sabbat, le jeûne, la prière à la synagogue, la dîme … Il n’encourage pas les siens à être dociles et obéissants aux autorités religieuses. Il est loin d’en donner lui-même l’exemple.

Mais il exhorte les siens à être des personnes de cœur.

Pour Jésus la religion doit transformer l’homme de l’intérieur, doit changer son cœur, lui offrir la possibilité de devenir une meilleure personne. Elle doit l’aider à devenir un homme libre ; à prendre conscience de sa dignité . Elle doit le faire grandir en sagesse, en humanité, en amour. Elle doit lui ouvrir l’accès à une plus grande confiance, à plus de paix, à plus de joie, à plus de bonheur dans sa vie quotidienne. Elle doit aider l’homme à bâtir un monde plus égal, plus juste, plus fraternel, plus respectueux, plus pacifique.

 Si la religion ne réussit pas à faire cela; si, au contraire, elle manipule les individus, les opprime, les culpabilise, les angoisse, les terrorise par la menace de châtiments éternels afin de les asservir plus facilement à ses ambitions
 de prestige, de domination et de pouvoir, alors elle devient une institution néfaste qui perd toute légitimité et qu’il faut abandonner.

C’est pour cette raison que Jésus a pris ses distances d’avec la religion de son temps et qu’il n’a jamais été un juif ni bien pratiquant, ni bien fervent. Jésus s’est toujours senti libre vis-à-vis des règles du système religieux de son temps et totalement indépendant de l’autorité de ses prêtres. Il a disqualifié l’importance de la fonction du Temple et du culte que l’on y pratiquait. Il n’a pas hésité à critiquer et à condamner, avec une extrême véhémence, le légalisme, le formalisme, le radicalisme, le fanatisme et l’hypocrisie de ses représentants les plus emblématiques, comme les scribes et les pharisiens.

Avec Jésus, pour la première fois dans l’histoire de l’évolution spirituelle de l’humanité, il est enseigné que la qualité d’une personne est donnée par la profondeur de son humanité: c’est-à-dire par la beauté de son âme, la pureté de son cœur, l‘intégrité de ses intentions, le degré de sa compassion, la force de son amour ; et jamais par la longueur de ses franges, l’élégance de son costume, le succès de son entreprise; le luxe de sa maison, la puissance de sa voiture et la consistance de son compte bancaire.

Avec Jésus, la valeur réelle de l’individu est désormais déterminée par sa physionomie spirituelle et donc par sa consistance intérieure et non pas son aspect extérieur. Pour Jésus, c’est n’est pas la lettre de la loi qui compte, mais son esprit. Pour lui, toute loi doit subir un processus d’intériorisation amoureuse pour passer le test de sa légitimité, de sa viabilité et de sa véritable utilité pour l’homme.

Jésus est convaincu que tout être humain, dans ses profondeurs les plus intimes, est porteur d’un Esprit « divin », qui est essentiellement une Énergie bénévole, une Force d’attraction, de communion, de relation qui lui vient d’ailleurs. Pour Jésus, tout humain est, dans ce monde, le lieu privilégié de la présence d’un Esprit d’amour jailli en lui de la « Source Originelle » de tout être et de tout amour qu’il appelle affectueusement Papa-Dieu.

Or, la tâche que Jésus s’est donnée a été, précisément, celle de faire découvrir à l’homme la présence en lui de cet esprit divin, de ce trésor caché, qui depuis les profondeurs de son être, soupire et crie, dans son désir d’être libéré et de se manifester. L’homme est donc appelé à entreprendre le voyage à l’intérieur de lui-même pour atteindre ce puits du cœur où est entreposé l’Énergie amoureuse de Dieu. C’est à cette source de l’amour qu’il doit continuellement s’abreuver pour accomplir le but de sa vie et le sens de sa présence en ce monde. C’est à ce puits qu’il doit constamment puiser pour réaliser sa véritable nature d’individu appartenant à une espèce de vivants expressément sélectionnée par les mécanismes de l’évolution cosmique dans le seul but d’aimer et donc de tisser autour d’elle des relations avec tous les êtres de la terre qui se déploient sous la mouvance de l‘égard, du respect, du soin, de l’émerveillement, de la tendresse et de l’amour.

Or, qui dit amour, dit désir, soupir, élan, passion, fusion, communion, admiration, respect, bienveillance, soin, empathie, compassion, l’autre avant moi, le bonheur de l’autre avant le mien. Dans l’amour sont éliminées et extirpées à la racine toutes relations et attitudes basées sur la supériorité, le pouvoir, la prédominance et l’oppression. Au contraire, lorsque j’aime, je ne veux que faire plaisir, que prendre soin de l’autre, que le rendre heureux ; que me mettre à son service. Je veux donner, tout donner, me donner, pardonner, s’il le faut, ce qui est donner au-delà même de mes attachements, de mes goûts et de mes sentiments.

Lorsque j’aime je veux être le bonheur de l’autre ; je veux faire le bonheur de l’autre; je veux donner du bonheur à l’autre. Et pour cela (et c’est le miracle de l’amour et  la preuve de son caractère « divin » !) je suis prêt à tout faire, à tout abandonner, à tout sacrifier ; ma vie, ma santé, ma peau, mon sang, mon poumon, mon rein ... Je suis prêt à arracher mon œil, à couper ma main, si cela peut servir à procurer plus de bonheur et de vie à ceux que j’aime. Selon Jésus, c’est désormais l’amour que Dieu a répandu dans nos cœurs, qui motive et oriente notre action, et non plus la loi, l’obligation ou la crainte de la sanction.

Avec Jésus, pour la première fois, la sainteté et la valeur d’une personne sont produites non plus par l’exemplarité de ses rapports avec le Dieu de la religion, mais par l’exemplarité de ses rapports « amoureux » et bénévoles avec son prochain, indépendamment et en dehors de tout contrôle de la part de la religion.   

Dans ce discours de Jésus, que nous trouvons au chapitre cinq de l’évangile de Matthieu, il y une phrase qui est répétée à maintes reprises (sept fois), comme un refrain que le Maître veut graver dans la mémoire de ses auditeurs. Une phrase qui pour lui est sans doute très importante et qui m’a toujours frappée, moi-aussi : « Vous avez appris que dans le passé il a été dit…mais moi maintenant je vous dis …».
Par-là, Jésus semble vouloir se détacher du passé religieux de ses coreligionnaires; désacraliser le caractère intouchable et la valeur normative de la tradition religieuse et relativiser, par conséquent, l’importance de la religion et sa prétention à se présenter comme l’unique instance et l’intermédiaire nécessaire dans la relation de l’homme avec la divinité.
Il veut sans doute par-là enseigner qu’il n’y a pas d’Institution sacrée, de vérités absolues, de dogmes inaltérables, de règles éthiques immuables, mais que tout est contestable, discutable, révisable et assujetti à la loi universelle et cosmique de l’évolution, de la transformation, du changement, et donc aussi, à l’inévitabilité de la désuétude, du déclin et de la mort. Rien n’est stable et fixe, définitif. Panta rhei » (Πάντα ῥεῖ) », « Tout coule », « Tout passe », disait au VIe siècle avant J.-C., le philosophe Héraclite d’Éphèse. Cette loi universelle s’applique aussi aux religions, quoi que pensent certains fervents catholiques, encore convaincus de la nature divine et impérissable de leur Église et du caractère absolu et inaltérable de la vérité qu’elle détient.

Nous savons aujourd’hui par l’ethnologie, l’anthropologie et les sciences humaines et sociales que les religions n’ont pas toujours existées. Les humains se sont passés d’elles pendant la plus longue partie de leur présence sur cette planète (tout le paléolithique - 200.000 ans a.c). Dans l’histoire évolutive de l’humanité, elles sont donc un phénomènes culturel et social relativement récent (du néolithique, période de la sédentarisation et de la révolution agraire, 10.000 ans a.c.). Les religions sont des créations humaines élaborées pour aider, accompagner et répondre aux besoins pratiques d’organisation des sociétés primitives et aux interrogations existentielles des humains au cours de leur histoire. Elles ont été utiles, mais elles ne sont pas indispensables, ni pour créer de la profondeur humaine, ni de le spiritualité, ni pour nourrir le penchant contemplatif et l’élan mystique de l’homme.  C’est la spiritualité de l’homme qui a produit la religion, et non pas la religion qui a produit la spiritualité.

La configuration de base des religions, avec leurs mythes fondateurs, leurs patrimoines symboliques et leur structure directive et normative nés à l’ère du néolithique, a perduré jusqu’à l’époque moderne. C’est pour cela que ces religions anciennes sont devenues maintenant totalement obsolètes.

C’est pour cela qu’aujourd’hui les religions en général, et le christianisme occidental en particulier, ont besoin de se restructurer, de se transformer et de s’adapter, car beaucoup de choses ont changé dans notre monde depuis dix mil ans. Mais si elles se figent ; si elles n’ont pas de courage de se débarrasser de leur équipement archaïque et périmé ; si elles ne marchent pas au rythme de l’évolution des connaissances, des cultures, des idées, des mentalités, elles se transformeront inévitablement en des musées renfermant des repères archéologiques qui tout au plus réveillent la curiosité, mais qui n’ont plus aucune utilité.

Si les religions s’obstinent à rester renfermées dans la cosmovision ancienne, à conserver le système opératif, la configuration et les programmes du néolithique, incompatibles avec les systèmes modernes de lecture, d’analyse, de compréhension d’interprétation et d’explication de la réalité, elles deviendront insignifiantes et inutilisables. Elles seront ignorées et mises de côté, comme on écarte la vieille gabardine trouvée dans le grenier, mais trop démodée, trop usée et trop ridicule pour être à nouveau portée.

Le christianisme est une religion « agricole». Dans nos sociétés modernes, qui sont fondamentalement des « sociétés de la connaissance et du savoir », ce genre de «religion» surgie d’une société agraire et avec une structure conçue pour assurer le bon fonctionnement d’une communauté rurale ancienne, n’est tout simplement plus viable. Aujourd’hui, soit le christianisme cesse d’être une religion agricole, soit il coulera avec la totalité de son outillage néolithique.

C’est la situation dans laquelle se trouve l’Église catholique d’aujourd’hui et le drame que vivent, hélas, les catholiques modernes, qui souffrent dans les vieux sabots démodés, trop lourds, trop rigides, trop serrés et terriblement inconfortables dans lesquels l’Église les oblige à marcher. Il y en a parmi eux qui, par un sentiment viscéral d’attachement et de fidélité à leur vieille Église, n’osent pas les ôter ; mais alors ils ont arrêté de marcher.

Il y a d’autres catholiques (et c’est la majorité) qui, fatigués d’endurer l’inconfort et la douleur, se débarrassent tout simplement de leurs sabots, afin de récupérer la complète enjambée de leurs pas, la pleine liberté de leurs mouvements et de pouvoir enfin partir sur les chemins de la vie à la vitesse de leurs nouvelles perceptions, de leurs nouvelles convictions, de leurs nouvelles visions et de leurs nouveaux rêves. Souvent, ces chrétiens ne se sont éloignés de l’Église que pour s’approcher davantage de Jésus de Nazareth.

 Je trouve alors ce Jésus de Matthieu réaliste, concret, lucide et terriblement moderne. Il y a deux mille ans, cet homme avait déjà mis le doigt sur les maux et les blessures dont souffre maintenant l’Église, et il avait déjà ébauché et fait entrevoir la voie à suivre pour qu’elle survive au tsunami de la modernité.

BM 


1 commentaire:

  1. Je crois que "le fils de l'homme" et le fils de Dieu qu'est le Christ et auquel chacun de nous est invité à s'identifier a toujours eu besoin d'exprimer sa relation ou sa religion avec L'Eternel. Comme vous le dites, la religion est donc un moyen d'exprimer sa foi. D'ici à ce que cette dernière devienne une institution qui nous terrorise, comme vous le dites... !
    Je vois la religion comme une "église" au sens premier du terme, importante quand même pour vivre et partager ma foi avec l'autre.

    Bref, rester libre mais accepter d'être ouvert à ce qu la religion veut me dire, ne pas sous estimer ce qu'un François d'Assise une Thérèse d'Avilla m'apportent . Ce n'est pas une religion sur mesure mais ça rejoint un peu le concept de la liberté Tel que je le comprends."Tout m'est permis, mais tout ne me convient pas".

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