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mardi 16 mai 2017

3. DU JÉSUS DE L’HISTOIRE AU CHRIST DE LA FOI


JÉSUS N’A  FONDÉ  AUCUNE  RELIGION

La théologie catholique affirme que Jésus est le fondateur de l'Église. Cette affirmation semble cependant se baser davantage sur l’idéologie que sur l’évidence historique. Les conclusions de l’exégèse historico-critique ainsi que celles de nombreuses études sur les origines du christianisme éditées dans la deuxième moitié du XXe siècle, sont unanimes à admettre que Jésus de Nazareth n'a jamais voulu fonder ni une nouvelle “religion”, ni une nouvelle organisation religieuse. Le fait que Jésus de Nazareth, à la suite de Jean le Baptiste, ait été impliqué dans un mouvement apocalyptique qui croyait imminente la fin des temps et la venue d’un Messie qui devait exercer le jugement définitif sur l'humanité arrivée à son terme, empêche d'attribuer à Jésus l’intention de vouloir commencer une œuvre destinée à se prolonger dans le temps. Jésus serait aussi perdu et mal à l'aise dans l’institution et la théologie de l'Église catholique que le Pape dans une école de Bouddhisme Vajrana.

Jésus est un juif et non pas un chrétien. Sa prédication et son message se situent à l'intérieur du judaïsme ou, si l'on préfère, à l'intérieur d'un mouvement de réforme de la pensée religieuse juive. Du Maître de Nazareth on peut affirmer avec certitude qu'il fut à l'origine d'une crise et d'une rupture avec le judaïsme traditionnel et qu’il fut l'initiateur d'un mouvement spirituel qui donna ensuite naissance au christianisme et à la religion chrétienne. Le christianisme en tant que religion n’est donc pas son œuvre, mais le produit autant de la réflexion postérieure et des circonstances historiques que le résultat de stratégies et d’intérêts humains. On trouve un écho lointain des paroles et des gestes du Galiléen dans la littérature apocryphe et canonique (Évangiles, Actes, Épîtres, etc.) de la deuxième moitié du premier siècle et du début du deuxième, dans laquelle a été consigné le témoignage de la foi des communautés chrétiennes des origines. Malheureusement, l'originalité et la nouveauté du message de Jésus de Nazareth ne se sont pas conservées longtemps. L'Évangile de Jésus s'est transformé au fur et à mesure de sa transmission. Son contenu a été interprété, sa charge explosive a été diluée et étouffée sous la logorrhée des subtilités et des byzantinismes de la spéculation philosophique au service des exigences politiques et religieuses de l’institution et du pouvoir 22 .Dans le produit final des dogmes, il est souvent difficile de retrouver la fraîcheur primitive de la prédication du Nazaréen23 . Le Christ théologique produit par cette réflexion n'a plus grand chose en commun avec le Jésus historique. L'Église prétend pourtant se référer au Jésus de l'histoire, proclamer son message et incarner son esprit. En réalité, elle ne se réfère qu’à un Christ qu’elle a fabriqué pour justifier son idéologie et soutenir son pouvoir.

Ce n'est pas mon intention décrire ici les péripéties de cette dérive, ni les détails du processus par lequel le discours chrétien, séquestré par l'institution ecclésiastique, est devenu en fait une idéologie au service du pouvoir et un système dogmatique au service de la saine “orthodoxie”. Qu'il suffise de dire que c'est la réflexion théologique de Paul de Tarse, continuée et élaborée par celle des philosophes chrétiens d'origine helléniste, qui a fournit les concepts de base permettant la transformation du mouvement chrétien en une “religion” hiérarchiquement et idéologiquement organisée.


PAUL DE TARSE ET L’ÉMERGENCE DU «CHRIST»

La grande majorité des historiens et des exégètes modernes s’accordent pour affirmer que le véritable fondateur du christianisme n'est pas Jésus de Nazareth, mais Paul de Tarse. C'est Paul le théoricien qui a su donner au mouvement spirituel issu de Jésus sa configuration théologique. C’est lui qui en a fait un système doctrinal structuré et systématique dans lequel la pensée de l'Église s'est reconnue et qu'elle a ensuite officiellement adopté.

Nous ne connaissons pas exactement quelles ont été les causes à l'origine de la conversion de ce pharisien zélé que fut Paul de Tarse. Nous savons que ce traqueur de chrétiens est devenu subitement chrétien lui-même. Ce qui a pu le faire tomber du haut de ses assurances juives et le pousser à embrasser la foi des disciples du Crucifié, restera toujours un mystère. Après coup, Paul attribuera ce renversement à une intervention du Seigneur dans sa vie. Nous ne savons pas ce qui dans le mouvement chrétien a déclenché sa conversion. Ce qui est sûr, c’est que les certitudes de ce pharisien ont été chambardées par l’“évangile” de Jésus tel qu’il était vécu et interprété dans les traditions chrétiennes en circulation à son époque, surtout celles à caractère messianique. Sous l’influence de ces traditions, le juif Paul a compris que le vrai Dieu de sa foi n'était pas celui de la Loi, mais celui du Crucifié ; et que le vrai visage de Dieu n'était pas celui esquissé par la Loi, mais celui qui apparaissait à travers la personnalité de l’“Envoyé” de Dieu. Cette rencontre avec la pensée et l’enseignement du Prophète de Nazareth sera déterminante pour sa vie et marquera désormais l’orientation future de sa pensée. Elle fera de lui l'apôtre des “gentils” et le héraut de l'universalité du salut.
 Paul a été presque contemporain de Jésus ; mais il ne semble pas l’avoir connu personnellement. Il n’attache d’ailleurs aucune importance aux détails matériels et aux faits concrets de vie de l'homme de Nazareth. Lorsqu'on lit les lettres de Paul, on a l'impression que son “Christ” est totalement différent de Jésus et que le Christ de sa théologie est étranger au Jésus de l'histoire. Paul ne s'intéresse pas au Jésus de l'histoire, mais seulement au Christ de la foi. Sa première lettre aux Thessaloniciens a été écrite autour des années 50, c'est-à-dire une vingtaine d'années après la mort de Jésus. Ses écrits précèdent la rédaction des quatre évangiles canoniques. L'Évangile de Marc, le plus ancien des Évangiles, a été composé entre les années 65 et 70. Cela signifie que lorsque les évangélistes rédigeaient leurs évangiles, ils connaissaient très probablement la pensée de Paul et la présentation du Christ proposée par la tradition paulinienne. On peut donc supposer que le portait paulinien du Christ a pu influencer l’image de Jésus présentée dans les Évangiles.



 Le Jésus de Paul est une figure sortie toute d'une pièce de sa culture juive, de son expérience religieuse et de son exaltation mystique. Ce Jésus n'a rien de l'homme, de l'humain et du mortel. Pour Paul, Jésus de Nazareth n'existe pas, ou n'existe plus. Jésus de Nazareth a été remplacé par le Christ et le Seigneur. Paul dit ouvertement que le Jésus “selon la chair” ne l'intéresse pas et qu'il ne le connaît pas24. Il est maintenant exclusivement intéressé par Dieu qui s'est servi de la personne de Jésus pour se manifester aux hommes. Paul est convaincu que c'est Dieu qui a transformé Jésus en Christ et Seigneur. Le Jésus de Paul n'est pas un homme qui a vécu dans l'histoire et le temps, mais le Ressuscité et le Glorifié qui vit en dehors de l'histoire et du temps, assis à la droite de Dieu.

Dans la pensée de Paul donc Jésus-Christ est plus du côté de Dieu que du côté de l’homme. Il est tellement proche de Dieu qu'il en assume les prérogatives. Non seulement Paul parlera toujours de Jésus comme du Christ, mais il transposera carrément sur ce Christ les attributs et les caractéristiques de Dieu. Il fera de lui un être divin, un Dieu25, un égal à Dieu26, qui, comme Dieu, existe de toute éternité, né avant les siècles, “Fils de Dieu” qui opère avec la puissance de Dieu. Par sa naissance humaine ce” Fils de Dieu” est devenu seulement “semblable aux hommes”. Par son aspect il a été reconnu comme un homme pendant la brève période de son apparition terrestre ; mais en réalité il était fait de l’essence de Dieu. Comme tout fils d'homme, Jésus est mort. Mais Dieu, pour garantir la vérité de son message, l'a relevé de la mort et lui a redonné la puissance et la gloire qu'il possède de toute éternité, en tant que Fils de Dieu et Seigneur, afin que devant lui tout genou fléchisse et qu'il soit le Seigneur incontesté des morts et des vivants. Comme Dieu, le Christ de Paul est partout et en tous27; et comme Dieu, il est l'objet ultime de l'aspiration de l'homme et la source de sa béatitude et de son bonheur28.

Sous l'effet de la réflexion paulinienne, Jésus de Nazareth est devenu un être divin.  Cependant la formation juive de Paul l'empêchait d'attribuer à Jésus une divinité comprise dans le sens “ontologique” du terme. Paul a gardé la conception juive de Dieu et il l’a simplement transposée et appliquée à la personne de Jésus. Paul est un juif qui a essayé d'intégrer à sa mentalité juive les données de base du mouvement spirituel issu de l'homme de Nazareth. Ainsi Paul offre-t-il au Christ le même culte et la même adoration qu'au Dieu de ses ancêtres. Avec cette différence, cependant, que le Dieu de Paul se présente maintenant avec le double visage d'un Père et d'un Fils. En définitive, Paul a voulu rendre acceptable la foi en un Crucifié et rendre possible une doctrine du salut qui avait en Jésus son point de référence. Paul a voulu faire comprendre que ce n'était ni stupide ni insensé de suivre l'homme de Nazareth, puisque cet homme n'a plus rien d'un homme. Dans les lettres de Paul le Christ est devenu le médiateur par qui on va à Dieu et le seul chemin vers le salut. Mais dans la théologie paulinienne l'accès à Dieu semble être plus compliqué que l'accès à Dieu dans la pensée juive traditionnelle et dans la pensée de Jésus lui-même. On a l'impression que la doctrine de Paul a passablement embrouillé les choses et rendu plus difficile la rencontre de l'homme avec Dieu. Le chrétien est ainsi aux prises avec deux personnes divines et même trois, si on considère le rôle important de l'Esprit dans la pensée paulinienne.


Était-ce vraiment cela l' “évangile” de Jésus de Nazareth? Paul est-il vraiment un interprète fidèle de l'enseignement du Maître ? La pensée de Paul est-elle le reflet véridique de l'esprit de Jésus ? Ou est-elle plutôt le résultat de l'esprit de ce pharisien qui a voulu couler la pensée juive dans la nouveauté chrétienne, en utilisant les instruments de la diatribe rabbinique et de la rhétorique hellénistique ? Chose certaine : Paul bâtit sa théologie à partir presque exclusivement d'une “métaphysique” du Christ ressuscité et glorifié, en se servant des concepts de base de la pensée religieuse juive qu'il réinterprète et complète en clef chrétienne : résurrection, alliance, salut, loi, justice, justification, expiation, rédemption, pardon.
 Dans la partition de Paul la musique n'a pas vraiment changé. Paul a tout simplement transposé en clef chrétienne l'ancienne mélodie juive. Avec Paul on est encore dans le monde de la religion et de ses catégories. Nous retrouvons encore la religion traditionnelle basée sur le respect, la crainte, l'obéissance à un Dieu qui est bon, qui nous aime, certes, mais qui reste, tout de même, revêtu des prérogatives et des attributs traditionnels de la divinité : élevé, puissant, en gloire, dans les cieux, il vient nous juger. Ce pharisien converti construit finalement sa synthèse doctrinale à partir d'éléments juifs.
 Quant au message libérateur de Jésus tel qu’il se manifeste dans le discours sur la montagne ou dans les récits symboliques des miracles, pas un mot dans ses lettres.  Pas une seule parole de Jésus n’est citée par Paul, sauf quand il rapporte les paroles du Maître à la dernière cène29 . Même ses abondantes exhortations morales n'ont presque rien de spécifiquement chrétien. Si l'on fait abstraction des fréquentes références à Jésus-Christ, elles auraient pu être formulées par n'importe quel rabbi juif. La particularité de la pensée de Paul consiste à vouloir étendre le salut du Dieu de Jésus-Christ à tous les humains, sans aucune distinction de culture, de statut social, de sexe et de religion ; et de faire de l'appel au salut une initiative gratuite et inconditionnée de Dieu.

En conclusion, on peut dire que, dans la systématisation de Paul, l’intuition originale du Prophète de Nazareth semble déjà considérablement diluée. Par contre, en sublimant, en exaltant et en divinisant l'homme de Nazareth, Paul a procuré à l'Institution ecclésiastique les outils et le matériel de sa propre construction. L’Institution ecclésiale trouvera en Paul un puissant allié. La pensée de l’apôtre fournit à l’Église les assises idéologiques qui lui permettront de légitimer son existence et de justifier son pouvoir.



(Extrait du livre de Bruno Mori, Effondrement , Montréal 2003)









22. Pour mieux comprendre les origines du fait chrétien et les phénomènes  religieux, politiques et culturels qui ont transformé le mouvement spirituel issu de Jésus de Nazareth en une  "religion" institutionnelle et institutionnalisée, nous  renvoyons le  lecteur  à l'excellent ouvrage de  Mauriche Sachot, L'Invention du Christ - Genèse d'une religion, Ed. Odile Jacob, Paris 1998.
23.  Nous renvoyons le lecteur aux travaux de Régis Debray, fondateur  d'une nouvelle discipline nommée "médialogie" qui soutient et  montre  comment le moyen ou le tuyau de transmission  du message, métamorphose et crée le message  lui-même: "La transmission est un transport qui transforme".  (Cfr. Les enjeux et les moyens de la transmission, Ed. Pleins Feu, 1998; Transmettre, Ed. Odile Jacob, 1997)
24. 2Cor.5,16.
25. Rm 9,5.
26.Phil.2,6-11;Col.1,15; 2Col. 8,9; Rm .8,3; Rm.. 5,19.
27.Ga.2.20; 3,27; 2Cor.13,5; Eph.3,17.
28.Ph.1,20-23; 3,3-9.
29. Co.11,23-26.

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