Rechercher dans ce blog

samedi 21 octobre 2017

CET AMOUR QUE L'ON CHERCHE À MÉRITER....

(Mt.22,1-14 - 28e dim.ord. A 2017)

Bizarre parabole que celle de ce roi (figure de Dieu) qui prépare un banquet de noce pour son fils ; et ces invités qui trouvent toutes sortes de prétextes pour refuser l’invitation ; et l’étrange attitude de ce seigneur qui invite alors n’importe qui, afin que la salle du banquet soit pleine ...! Si cette parabole est interprétée dans son sens littéral, en l’extrapolant du contexte historique de sa composition et des intentions catéchétiques de l’évangéliste, elle a de quoi nous faire réfléchir et peut même nous déranger.

En effet, Jésus présente ici un Dieu pour lequel la valeur, les vertus, les qualités, les mérites, les accomplissements des personnes (représentées par les premiers invités), ne semblent pas avoir grande importance dans sa façon de les considérer et de les traiter. Si les individus sont des braves et honnêtes personnes, tant mieux ! Si non, c’est pareil ! Bons et méchants, tous sont également invités à la fête et tous bénéficient de la même attention et de la même générosité.

Je pense que le but de ce récit est double. D’un côté, Jésus veut faire comprendre que Dieu, son Dieu, à une façon bien à lui de traiter avec les humains et de les aimer. On pourrait dire que, pour Jésus, il existe une façon «divin » d’aimer, qui est assez différente de la façon «humaine» d’aimer. Et c’est justement cette façon «divine» d’aimer qui souvent nous dérange et que nous avons de la difficulté à accepter. Car nous la trouvons inconvenante, trop bonace, pas très éclairée et surtout pas mal injuste.

De l’autre côté, Jésus nous exhorte à accepter ce type divin d’amour et, possiblement, à le reproduire dans notre vie, afin que s’opère dans notre existence une conversion de notre manière de communiquer et d’entrer en relation avec les personnes, et que notre amour pour elles prenne, de plus en plus, la coloration et les caractéristiques de l’amour qui est en Dieu.

En bref, Jésus veut ici nous rendre conscients non seulement du fait que l’amour de Dieu est toujours gratuit, désintéressé, altruiste, tandis que le nôtre est toujours, ou presque, intéressé, calculateur et égoïste ; mais aussi du fait que nous, les humains, souvent nous nous révoltons contre ce type d’amour qui est en Dieu. Nous refusons l’offre de son amour, nous déclinons son invitation.

Jésus nous révèle ici que Dieu veut nous aimer, mais que nous ne voulons pas nous faire aimer, ou plutôt, que nous n’acceptons pas sa façon d’aimer. On dirait que ce genre d’amour divin, toujours gratuit, toujours offert, toujours inconditionnel, nous fait peur, nous agace et nous indispose . Nous avons, en effet, la sensation qu’il froisse notre ego ; qu’il mortifie notre amour-propre ; qu’il brime notre orgueil. Nous ne voulons pas d’un amour gratuit ! Nous voulons en payer le prix ! Nous voulons l’acheter avec nos propres moyens ! Nous voulons le mériter !   

Nous voulons pouvoir être les patrons et les maîtres même de l’amour que nous recevons. Nous voulons que, si quelqu’un s’attache à nous, au point de nous aimer, que cela soit à cause de quelque chose d’attrayant et d’intéressant qu’il a découvert en nous et que nous lui donnons en échange, notre beauté, notre corps, nos valeurs, nos qualités, nos vertus, nos mérites, nos accomplissements, etc.

Et cette attitude marchande remonte souvent à notre enfance. Quand nous étions enfants, nos parents nous ont appris que nous devions conquérir et mériter leur affection. Si nous étions des enfants sages, obéissants, appliqués, studieux, nous avions droit à leur appréciation et à leur amour ; autrement nous avions en retour leurs cris, les reproches, les punitions, l’éloignement physique et émotionnel. Et c’est ainsi que, tout petits, nous avons appris que l’amour est une conquête, que l’amour doit être mérité ; que pour obtenir  de l’amour, il faut donner quelque chose en échange ; et que l’amour n’est jamais donné et obtenu gratuitement.

En grandissant, nous avons continué à penser la même chose, et nous avons appliqué cela à nos rapports avec Dieu. Et lorsque, dans les évangiles, nous avons appris que Dieu aime tout le monde gratuitement et sans conditions préalables ; qu’il aime autant les bons que et les méchants, les obéissants et les désobéissants, les saints et les pécheurs, nous sommes tentés de réagir avec indignation : « Eh non ! Ce n’est pas juste ! Je n’accepte pas un tel Dieu ! Je ne veux pas m’asseoir à sa table ! Je n’en veux pas d’un amour qui ne tient pas compte de ma valeur, de ce que je suis et qui semble s’en ficher de mes qualités et de mes mérites. Je préfère un amour que j’ai moi-même conquis et mérité ; un amour que j’acquière en déboursant de ma poche, même si c’est un prix élevé. Un amour gratuit ne m’intéresse pas, car il me déprécie et me dévalorise, comme tout ce qui ne coûte rien».
Nous voulons donc que la cause et la raison de l’amour que nous recevons soit en nous et non pas dans celui ou celle qui nous aime. Nous voulons être aimés non pas parce que celui ou celle qui nous aime est extraordinairement aimant, mais parce que nous sommes craquants et terriblement aimables, grâce à tous nos atouts.

Cette façon bien humaine que nous avons de concevoir l’amour, est passée de plein pied dans la spiritualité chrétienne et dans l’enseignement officiel de l’Église Catholique qui, le long de son histoire, a élaboré une complexe doctrine sur la grâce sanctifiante, les vertus et les mérites que le croyant doit produire et posséder pour pouvoir profiter de l’amour de Dieu.

Nous agissons ainsi parce que nous n’avons de l’amour que la notion ou la version humaine de ce sentiment que nous considérons comme un mouvement ou un phénomène déclenché par une cause, alors qu’en Dieu l’amour n’a pas de cause, mais est un état de son Être, ou plutôt, il est la nature de son Être.   

L’évangile de ce jour nous dit qu’il faut apprendre à se laisser aimer et à abandonner toute prétention et toute volonté de vouloir contrôler les forces de l’amour qui sont partout autour de nous. Dans la mesure où nous sommes capables de renoncer à tout mettre en œuvre pour «mériter» d’être aimés et à mettre de côté tout besoin de bâtir en nous les raisons de l’amour; dans la mesure où nous accepterons d’être imparfaits, faibles, limités, vulnérables, nous nous approcherons davantage à la vérité de notre être et nous acquerrons cette simplicité, cette sincérité, cette innocence et cette transparence qui feront de nous des personnes autant plus aimables qu’elles ne cherchent pas à piéger à leur avantage les courants de l’amour, auxquels, au contraire, elles s’abandonnent avec la confiance d’un enfant. C’est pour cela que Jésus affirmait que se sont surtout les simples, les pauvres et les petits qui sont les héritiers privilégiés de l’amour de Dieu.

Mais il reste que, de l’amour, nous ne connaissons souvent que ses faibles, défectueuses et superficielles manifestations humaines que nous confondons avec l’amour tout court ; alors que souvent elles ne sont que les expressions de notre égoïsme et de la recherche de notre satisfaction et de notre bien être psychologique, sentimental ou érotique.

Il faut admettre que les dynamique de l’Amour tout court nous échappent totalement. Car l’amour tout court est seulement en Dieu et, principalement, une affaire de Dieu et, par conséquent, il participe de son même mystère. Jamais nous ne réussirons à comprendre pleinement son abyssale et essentielle gratuité, qui, aux yeux de notre esprit humain, handicapé par notre extrême petitesse, nous apparaît comme une folie supplémentaire du Dieu de Jésus-Christ.

Nous pouvons, peut-être, avoir une pâle idée (intercepter une fugace lueur) de ce mystère, lorsque  nous pensons que si Dieu est Amour et en même temps Valeur unique, absolue et ultime, il ne peut être et se manifester que comme Amour totalement inconditionnel, étant donné qu’aucune autre valeur n’existe qui puisse l’attirer ou le concurrencer. Croire que nos petites valeurs humaines, nos petites vertus, nos petits ou grands mérites soient capables de déclencher en Dieu les élans d’un amour qui, autrement, ne nous serait pas donné, c’est un non-sens. Dieu nous aime, non pas parce qu’il nous trouve aimables, mais parce qu’il ne peut pas faire autre chose que d’aimer. Dieu ne peut qu’offrir à tous le repas de son amour ; un amour nécessairement gratuit, comme l’Univers à travers lequel il se manifeste.

Si nous, les humains, nous ne sommes pas capables ni d’imaginer, ni de comprendre, ni de réaliser cette qualité divine de l’amour, puisque notre façon d’aimer est toujours, quelque part, entachée d’égoïsme et de recherche d’avantages, de plaisirs et de gratifications, cela ne nous empêche pas de croire que cette gratuité divine de l’amour puisse constituer, dans notre vie, un rêve et un idéal vers lequel tous les amants devraient tendre. Jésus de Nazareth nous assure que si la gratuité de l’amour chez les humains est rare et difficile, elle n’est cependant pas impossible. Et parfois il arrive que cette qualité d’amour qui est au cœur de Dieu, par grâce ou par miracle, fasse soudainement et brièvement son apparition dans le cœur de l’homme.

Il peut arriver dans la vie d’un individu de tomber soudainement amoureux d’une autre personne ; le coup de foudre qui frappe sans préavis et sans que l’on sache d’où cela vienne et comment cela ait pu être possible. Il arrive parfois que l’amour d’un autre te soit soudainement offert comme un don inattendu, sans que tu n’aies volontairement rien fait pour le susciter ou le motiver. II arrive que l’amour vienne à toi sans aucun « mérite » de ta part ; comme une attitude, un geste, un élan totalement gratuit ; comme un magnifique et touchant cadeau, qu’un beau jour tu trouves posé là, pour toi, au cœur de ta maison, alors que tu pensais que personne n’en connaissait l’adresse.

Il arrive donc parfois que des échantillons d’amour divin percent le ciel pour venir ensemencer de leurs virtualités l’amour des hommes. Il arrive parfois, que dans notre vie, nous assistions à des rares et fugaces manifestations de l’amour tel qu’il existe à sa Source divine. Comme dans l’amour d’une mère pour son enfant ; comme dans le cas de certaines existences exclusivement données à soulager la misère et la souffrance d’autrui (cf.  Jésus de Nazareth); dans la qualité de certaines rencontres et de certaines fusions amoureuses… Dans ces cas, nous sommes confrontés à un phénomène amoureux qui a quelque chose de divin.

Il y a vraiment des attitudes et des comportements amoureux où il faut reconnaître que quelque chose de l’amour divin vient éclairer le ciel de nos existences calculatrices orgueilleuses et égoïstes. C’est comme si des étincelles du monde de Dieu surgissent soudainement et miraculeusement dans le monde des hommes, pour leur annoncer que quelque chose de la pure gratuité divine peut aussi s’introduire dans nos amours humains et qu’il est peut-être possible à l’homme d’aimer à la façon de Dieu.  
Jésus de Nazareth, lui, en était convaincu !

Bruno Mori 4 octobre 2017




vendredi 6 octobre 2017

JAMAIS PLUS FATIMA!

(Mario De Oliveira)

Ce texte est un extrait du livre du même titre qui a été publié au Portugal en avril 1999 par Editora Campo das Letras (campo.letras@mail.telepac.pt) et a obtenu 8 éditions en 12 mois. Ses argumentations sont mieux comprises à partir de la lecture complète de son travail. Le livre peut être demandé à: Jornal Fraternizar (fraternizar@mail.telepac.pt)

 Dieux contre Dieu
À Fatima, comme dans n’importe quel autre sanctuaire ou lieu de pèlerinage, il ne suffit pas d'invoquer Dieu, pour conclure que nous assistons à une manifestation de foi, ou, au moins, de  foi chrétienne. Tout au plus, il s’agit d’une manifestation religieuse, ce qui n'est pas la même chose. En fait, le christianisme, à ses débuts, n'a même pas voulu apparaître comme une religion. Les textes fondateurs du Nouveau Testament ne parlent pas d'une nouvelle religion, mais d'une « voie » ou d’un « chemin ». Voie ou chemin qui doivent nous conduire non pas tellement à Dieu, mais plutôt à la rencontre de l'autre, des autres, de ceux et celles qui ne sont pas de notre propre "chair et sang", et même à la rencontre de ceux que nous considérons comme nos ennemis, afin qu’entre nous et eux, entre nous tous, s’établisse progressivement une relation de fraternité. En effet, c’est uniquement quand cette relation de fraternité devient une réalité, que Dieu est vraiment adoré et honoré et que la foi chrétienne se transforme en un véritable événement. «Ce ne sont pas ceux qui disent "Seigneur, Seigneur" qui entreront dans le Royaume des Cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est aux cieux» (Mt 7.21). L'évangile est à cette condition. Il n'admet pas de fuites qui peuvent apparaître comme très religieuses, mais qui sont aussi très aliénantes, très déshumanisantes et très peu fraternelles.

Dans le cas de Fatima, comme dans tout autre sanctuaire ou temple, il faut s’interroger avec humilité, mais aussi avec lucidité et détermination, si, dans ce lieu, c'est bien Dieu que l’on prie et que l’on adore et quel genre de Dieu est celui qui attire et convoque ici les foules. Parce que, contrairement à ce que souvent on pense, il n’y a pas qu’un seul Dieu. Il y a toujours eu ou cours des âges beaucoup de dieux. Et il a toujours été très difficile de discerner, parmi tant de dieux, celui qui est le vrai ; celui qui progressivement nous humanise et nous fraternise ; celui qui est vraiment «bonne nouvelle» pour les humains. Aujourd’hui il semble que cette difficulté soit encore plus grande que par le passé ; car les dieux sont encore plus nombreux et chaque fois ils semblent plus attrayants et plus séduisants.

Nous savons que Caïn, par exemple, à l'aube de l'humanité et selon le mythe biblique de la Genèse (4, 1-16) - et la première lettre de Jean le rappelle à l'aube du christianisme – invoquait aussi Dieu, accomplissait tous les rites religieux, pratiquait régulièrement la liturgie de son temps. Mais tout cela ne l'a pas empêché, avec le plus grand calme et en toute tranquillité de conscience, de tuer son frère Abel. Le Dieu qu’il invoquait et adorait et à qui il offrait généreusement les prémices de ses récoltes, n'était pas incompatible avec l'acte fratricide. Au contraire, il semblerait que ce Dieu l’ aurait lui-même suggéré et inspiré à un moment donné du culte.

Ce récit biblique n'a pas été écrit pour nous entretenir, mais pour nous construire ; pour que nous puissions nous maintenir en état d’alerte et pour nous aider à discerner. Ce conte veut nous révéler qu'il ne suffit pas d'admettre l'existence de Dieu, d'être déiste, d'être religieux, d'assister à des actes de culte et dans des lieux considérés comme sacrés, pour être automatiquement des hommes et des femmes de bonne qualité, humanisés, fraternels, en un mot, chrétiens. Nous pouvons faire tout cela et plus encore, comme contribuer avec des généreuses offrandes à la construction de temples et de sanctuaires ; faire des vœux et des promesses difficiles et pénibles et les accomplir scrupuleusement ; avoir même une bonne relation avec les prêtres et les représentants des nombreuses religions qui existent dans nos sociétés et, en même temps, nourrir des sentiments de haine et de vengeance, de jalousie et de mort contre l'autre et contre les autres. Et ce qui est encore pire, nous pouvons même passer des sentiments à l’action et tuer l'autre, les « ennemis », ceux qui ne pensent pas comme nous, ceux qui ne sont pas de notre religion, qui n'acceptent pas de « jouer notre jeu "... Et tout cela, sans aucun remord de conscience ; au contraire, avec le sentiment du devoir accompli, avec la sereine conviction de celui qui pense que c'est comme ça qu’il est vraiment une personne religieuse et qu’il plait à Dieu (voir croisades, guerres de religions, Inquisition chrétienne, terrorisme djihadiste , etc.).

Écrire et dire ces choses peut, sans doute, choquer beaucoup de gens, croyants en Dieu ou athées. Mais cela ne devrait pas déranger les chrétiens et leurs églises respectives. Le christianisme, depuis ses débuts, n'a jamais voulu être une religion de plus parmi les nombreuses religions déjà existantes dans l'empire romain, mais une voie, un chemin conduisant, comme on l’a dit plus haut, à la rencontre de l’autre, des autres, même de ceux qu'une certaine éducation civique et religieuse définissaient comme ennemis. Le Christianisme est né non pas comme une religion, mais comme un mouvement spirituel de fraternité et de communion universelle entre tous les humains. Le christianisme est né comme révélation et annonce radical d’humanisation, de liberté et de fraternité pour tous les hommes et les femmes de la terre.

Jésus de Nazareth, suite à la foi des disciples en sa résurrection, fut reconnu et proclamé par les premiers adhérents à son mouvement spirituel, comme le Messie et l’Envoyé (le Christ) de Dieu. Toutefois, jusqu'à sa résurrection, il avait été le plus détesté des hommes; condamné à mort comme blasphémateur et subversif, il fut exécuté sur une croix. Or, il est symptomatique de remarquer que ceux qui furent derrière ce grand crime ; ceux qui ont voulu, planifié, orchestré et perpétré l’élimination de Jésus, ont été des hommes religieux, profondément croyants en Dieu, placés à la tête d’une des institutions religieuses les plus prestigieuses et les plus sacrées de cette époque.

 Et lorsque les princes des prêtres et le Sanhédrin, avec les théologiens du Temple, prirent la décision d’éliminer définitivement le Prophète de Nazareth, ils firent cela avec la ferme conviction de rendre gloire à Dieu, ce Dieu qu’ils adoraient et vénéraient par des liturgies somptueuses dans le Temple grandiose de Jérusalem. C’est donc avec une pleine assurance dans leur totale justice devant Dieu et avec la plus grande tranquillité de conscience, qu’après un crime si horrible, ils purent continuer, comme si de rien n’était, à fréquenter le Temple et à promouvoir le culte en l'honneur de leur Dieu.
Mais qu'est-il arrivé à Jésus de Nazareth, appelé le Christ ? Lui et sa cause se sont transformés, au moins pour les chrétiens et les chrétiennes qui l’ont suivi et pour leurs églises, en l'événement le plus révélateur de l'histoire, en une lumière qui illumine tous les humains de ce monde. Jésus est devenu, pour ces croyants, le nouveau et définitif big-bang de la création de l'humanité et d’un monde nouveau. En Lui a commencé ce qui est nouveau et définitif. En Lui et avec Lui l'humanité est née à nouveau, définitivement fraternelle et solidaire.

Nous savons, de ce que Jésus nous a appris et, d’une manière définitive, depuis que son Dieu et Père l’a ressuscité d’entre les morts, qu'en fait Dieu n'a jamais été une réalité univoque. Il y a beaucoup de dieux. Il y a Dieu et il y a les dieux. Et il y a une lutte des dieux contre Dieu. Il y a des dieux qui sont extrêmement dangereux, tueurs, despotes et oppresseurs, genre de monstres sanguinaires qui, pour se sentir en forme, ont besoin de boire et de répandre le sang de victimes innocentes. Des dieux sadiques donc, qui dévorent leurs adorateurs, en les asservissant et en les dégradant. En un mot, il y a des dieux qui déshumanisent et qui arrivent même à tuer, parfois physiquement, très souvent psychologiquement et spirituellement, leurs adorateurs. On dirait que ces dieux cherchent à transformer à leur image ceux et celles qui les invoquent, lesquels sont habituellement des gens très religieux, comme Caïn, mais qui, souvent, deviennent aussi meurtriers que lui.

Et il y a ensuite le Dieu des victimes, lui-même victime de tous les dieux puissants et meurtriers ; le Dieu qui a ressuscité Jésus d’entre les morts. C'est le Dieu de Jésus et le Dieu des hommes et des femmes qui continuent sa cause (chrétiens, chrétiens et tous les gens de bonne volonté). C’est le Dieu vivant, qui vit et qui fait vivre. C’est le Dieu qui ne veut pas d’autre culte que celui de la promotion de la vie et de la vie en abondance pour tous. C’est le Dieu qui non seulement ne veut pas de victimes et ne produit pas des victimes, mais qui est toujours à l’œuvre pour leur épargner la souffrance et les descendre de la croix. C’est le Dieu qui se manifeste dans le regard égaré et le corps souffrant des victimes de l’histoire, par lesquelles il interpelle les violents et les puissants de ce monde, en leur posant la question la plus inquiétante et la plus défiante qui soit, la même qu’il avait autrefois posés à Caïn :« Où est ton frère, qu'est-ce que tu as fait de ton frère ?». Ou cette mise à jour de la même question : « Pourquoi me persécutes-tu? » (Actes 9: 4).

Du dieu de Fatima, libère-nous, Seigneur !

A Fatima nous avons trois enfants : Jacinta et Francisco, fauchées pas la fièvre espagnole avant l’âge de onze ans et Lucia, une fillette qui survit, mais qui est enlevée à sa famille et à son village et que l’on a empêché de vivre la vie normale des jeunes filles de son âge. Après avoir été ballotée d’un couvent à un autre pendant plusieurs années, en 1945 Lucia aboutira au monastère des Carmélites de Coimbra, où elle restera comme religieuse cloitrée jusqu’à sa mort survenue en 2005, à l’âge de 97 ans. Voilà le principal et triste bilan des protagonistes des événements appelés les «apparitions de Fatima». Probablement, personne dans l'Église catholique n'a jamais osé regarder ces apparitions sous cet angle de vue.

Que personne ne pense que nous écrivons ceci pour rejoindre les rangs des soi-disant "ennemis" de Fatima. Ce qui nous pousse à écrire, c’est la fidélité au message de l'Évangile et au Dieu de Jésus de Nazareth, que sa mère Marie, mieux que quiconque, chantait comme le libérateur et le sauveur de l'humanité et, en particulier, des pauvres et des exclus de ce monde.

 Notre lecture du livre le plus important sur les apparitions de Fatima, les Mémoires de Sœur Lucie, nous oblige à le faire. Car le Dieu qui est proclamé et présenté dans cet ouvrage[1] n’a absolument rien à voir avec le Dieu révélé par Jésus de Nazareth. Dans ce livre on a plutôt à faire avec une divinité cruelle, insensible, sanguinaire, un Moloch, sorti de l’imagination maladive d’enfants terrorisés et abimés par une fausse éducation chrétienne, qui n’aime pas les humains; qui prend plaisir à la souffrance des innocents; qui a inventé l’enfer pour châtier et torturer éternellement ceux qui ne vont pas à la messe le dimanche, ou qui disent des gros mots, un Dieu qui est donc pire que les pires psychopathes qu’il a pu créer.

J’inviterais ici les pieux lecteurs catholiques qui seraient portés à être choqués par les propos exprimés dans cet article ,à prendre la peine et le temps de lire les Mémoires  de Sœur Lucie,  disponibles aussi sur internet[2]. Parce que, s'ils le font, et qu’ils lisent ce livre à la lumière de l'Évangile de Jésus de Nazareth, ils finiront probablement par prier ensemble avec moi : «Du dieu de Fatima, libère-nous, Seigneur !»

Élevés dans la terreur

Le livre de Lucia nous fait reculer dans le temps et nous plonge dans l’atmosphère religieuse et ecclésiastique dans lequel ont vécu les enfants de Fatima, aux alentours de 1917. C’était le temps de la première guerre mondiale. Cependant, la peur que l’on respirait, surtout dans les milieux populaires et ruraux, ne venait pas de la guerre, mais de la religion. La catéchèse familiale et paroissiale, ainsi que la prédication du dimanche et celle qui se pratiquait au cours d’autre événements religieux alors très récurrents, constituaient une sorte d’endoctrinement systématique basé sur la production, le stockage et la distribution de la peur de Dieu et de l’enfer dans l’esprit et l’âme des fidèles. Ce qui n’en faisait un acte pas moins néfaste et criminel que la guerre qui sévissait. Acte d’autant plus néfaste et criminel, que cette prédication pénétrait profondément dans l’esprit des gens simples et ignorants de ce village, en particulier des enfants, petites créatures très sensibles et sans défense, prêtes à croire tout ce que les adultes leur racontaient, en particulier les parents, les évêques et les curés, dont la parole était écoutée et suivie comme si elle était un oracle divin et comme si elle exprimait la volonté de Dieu présent au milieu du peuple[3].

Les trois enfants de Fatima ont respiré une telle atmosphère. Les Mémoires de sœur Lucie  ne laissent aucun doute sur cela, pour ceux qui savent lire entre les lignes et de manière critique, sans se faire contaminer par le mysticisme religieux presque pathologique dans lequel ce livre a été écrit.

La lecture des Mémoires montre, avec une évidence presque tangible, comment la terreur a été une sorte de calamité naturelle constamment présente dans la vie de ces trois enfants. Ils vivaient troublés et angoissés par le péché, par l'enfer et par les pécheurs qui vont en enfer. Tout était péché pour eux, même un baiser donné à un autre copain ou copine dans le jeu de « las prendas ». Pour Jacinta, par exemple, on ne pouvait donner un baiser qu’à Notre Seigneur, en embrassant l'image du Crucifié. Comme si un autre garçon, fille ou compagnon de jeux, n'étaient pas une bien meilleure image de Dieu, mais seulement une occasion de péché. Qui a inoculé une telle vision moraliste dans l’esprit de la petite et angélique Jacinta ? Quelle catéchèse satanique a déformé son regard ? Qui l’a privée si tôt de son innocence naturelle ?

Dans ce contexte, tout pouvait conduire à l'enfer. Dieu, aux yeux de ces enfants, était tellement rendu au bout de sa patience par les péchés des créatures humaines, que sa colère était toujours sur le point de dépasser les limites de son endurance, et menaçait toujours d’éclater au grand jour, si les trois petits enfants n’acceptaient pas de souffrir, souffrir, souffrir, faire toutes sortes de sacrifices (pour lui faire plaisir, pour le calmer, pour lui montrer leur amour, pour la conversion des pécheurs) et, en même temps, réciter beaucoup de chapelets.

Il est normal que des enfants qui reçoivent toute cette information, sensibles et sans défense comme ils sont, souffrent, pleurent, sentent de la peine pour ce Dieu attristé, offensé et fâché. Et puisque ce Dieu aime tant la souffrance, voilà que ces enfants désirent s'offrir à lui en tant que victimes ; ils se disent prêts à souffrir, même jusqu’à la mort, pour soulager sa peine , calmer sa rancune, l’apprivoiser en quelque sorte, pour l’induire à pardonner aux pécheurs.

 Ces enfants sont complètement possédés par une mystique de mort, une mystique sacrificielle, qui parle de préférence d'un Dieu de mort qui dévore ses créatures, plutôt que d'une mystique de vie, la seule que le Dieu de Jésus peut inspirer à ses fils et à ses filles, puisqu'il est lui-même un Dieu qui travaille continuellement pour que chacun de nous puisse avoir la vie et la vie en abondance.

Ces enfants ont été les victimes d’une véritable torture psychologique et spirituelle. Dans un tel climat de religiosité, l’existence de ces petits êtres qui prennent tout au sérieux, s’est transformée en un véritable cauchemar. Ils ont expérimenté et donc vécu leur vie comme étant soumise à une danger continuel, torturant et épouvantable : celui de pouvoir être condamnés aux supplices de l'enfer. Il suffisait de faire quelques péchés. Pour ces enfants, le péché était partout et très à facile à commettre. Pour eux, par exemple, c’était un péché que de dire des mots offensants ou se permettre des petites espiègleries. De tel péchés étaient suffisants pour être condamné à l’enfer ; un enfer qu’eux-mêmes décrivent avec des images effrayantes. L'enfer était la grande menace pour tous et le sort qui était le plus susceptible d'arriver à n'importe qui. Et, pour les pécheurs, plus qu'une menace, l’enfer était déjà une certitude.

Dans ce climat religieux façonné par une spiritualité non seulement totalement étrangère à l'Évangile, mais, pire encore, complètement en contradiction avec le Dieu annoncé par Jésus, il n'est pas surprenant d’apprendre que le plus grand désir de ces enfants était de mourir le plus tôt possible, afin d'aller le plus vite possible au paradis, parce que cela constituait le seul moyen d’échapper plus facilement aux embuches et aux  dangers d’une vie qui pouvaient les précipiter dans les tourments de l’enfer, dans lequel quiconque y tombe, y tombe pour toujours, brûlant dans cet immense four, à feu lent, en compagnie des animaux les plus dégoûtants et hideux.

 Dans son livre, Lucie raconte à maintes reprises comment Jacinta et Francisco étaient affectés par la peur de l'enfer. D’après Lucie, cette peur était le résultat normal et naturel d’une catéchèse familiale abondamment administrée par leur mère, qui exagérait volontairement  les couleurs de l’anxiété. Et les prédicateurs des missions paroissiales qui suivaient fidèlement les consignes du livre « Mision Abreviada » (Abrégé pour la prédication des missions) n’étaient pas bien loin derrière elle.

Ce qui aujourd'hui choque et scandalise ceux qui cherchent à être disciples de Jésus et à se laisser conduire par les valeurs de son annonce libératrice, c’est de constater que cette Dame, que les enfants déclaraient avoir vu et entendu le 13 mai 1917, et qu’ils affirmaient  venir du ciel, c'est-à-dire de Dieu, ne semble pas leur être apparue pour les libérer de la peur et les inviter à vivre pleinement leur existence dans la joie, l’abandon et la confiance en l’amour inconditionnel et inconditionné du Dieu-Papa, annoncé par son Fils. Au contraire, elle commence par annoncer aux deux enfants les plus jeunes et aussi les plus terrifiés, qu’ils mourront  sous peu ; et qu’ainsi elle leur fera la grâce de les libérer du mal et des dangers de cette vallée de larmes, en les amenant avec elle au paradis. Voilà le beau cadeau que la Dame venue du ciel offre à ces enfants qui viennent juste de commencer à vivre !

Catéchèse terroriste

Au lieu de la bonne nouvelle libératrice de l’évangile, selon laquelle Dieu veut que les hommes vivent et qu’ils vivent pleinement et abondamment, elle leur annonce qu'ils vont bientôt mourir. Fondamentalement, la Dame venue du ciel se limite à reproduire et à légitimer la catéchèse terroriste et négatrice du message ecclésiastique que les enfants entendaient constamment à la maison et à la paroisse.

Mais le plus choquant était à venir : il s’agit de l'apparition du 13 juillet 1917. À en croire au récit de Sœur Lucie, au cours de cette apparition, la Dame venu du ciel a eu la belle idée de montrer l’enfer aux trois enfants. L’impression que surtout les petits Jacinta et Francisco en reçoivent est à tel point dévastatrice, qu’ils en resteront marqués pour le reste de leur vie et que jamais plus ils seront des enfants normaux. Déjà hypersensibles et de santé manifestement déjà affaiblie, cette épouvantable vision les brisera dans l’âme et dans le corps, au point qu’ils ne s’en remettront plus jamais.

À partir de ce jour, Jacinta et Francisco ne parviendront plus à être des enfants comme tous les autres. Ils ne seront plus capables de jouer, de s’amuser, de s’alimenter normalement et de faire face à la vie avec la nonchalance et le naturel d’enfants en bonne santé. D’une certaine façon, la Dame venue ciel avait trouvé le moyen de tuer en eux le désir et la joie de vivre et de les faire ainsi mourir de leur vivant. Francisco, par exemple, arrêtera d'aller à l'école, et préférera se cacher plutôt dans l'église afin de réciter le rosaire pour le salut des pécheurs dans l’espoir de leur éviter les souffrances de l’enfer.

La vision de l'enfer a tellement marqué les deux enfants que, dorénavant, ils se sentiront obligés de prier pour les pécheurs et de faire des sacrifices pour leur conversion. Le livre des Mémoires de Lucie témoigne que Jacinta et Francisco pouvaient passer des journées entières sans manger. Ils donnaient leur casse-croûte aux moutons ou aux pauvres. Ils s’imposaient de ne pas boire une seule goutte d’eau en plein mois d'août. Ils marchaient toute la journée, et même pendant la nuit, avec une corde attachée en permanence autour de taille, jusqu'en saigner.


Masochisme religieux

Avec ces attitudes chargées de masochisme religieux et sacrificiel dont ils n'étaient personnellement pas responsables, mais seulement victimes, les enfants de Fatima ont prétendu - avec une ingénuité et une innocence touchantes, - consoler notre Seigneur et le Pape[4].

C’est ainsi que, dans cette histoire des apparitions de Fatima, le catholicisme est arrivé à l’inversion complète et au reniement total des valeurs les plus  fondamentales contenues dans la « Bonne Nouvelle » annoncée par Jésus de Nazareth, qui fut la meilleure révélation de Dieu dans l’histoire de l’humanité. La bonne nouvelle proclamée par Jésus (qui présentait un Dieu-Père pleine de miséricorde et de tendresse, aimant d’un immense amour tous ses enfants, autant les bons que les méchants et ne désirant pour eux sur terre qu’abondance de vie et plénitude de bonheur) constituait le message le plus libérateur et le plus consolateur jamais offert à tous ceux et celles qui étaient officiellement considérés comme des exclus, des transgresseurs, des coupables et des pécheurs.

Rien de tel dans les messages de Fatima. À Fatima les croyants sont confrontés à un contre-évangile et à l’annonce d’une « Mauvaise Nouvelle » : au lieu de l’annonce joyeuse et exaltante d’un Dieu qui vient en tant que compagnon, ami et père, avec le cœur d'une mère, consoler ses enfants et les libérer de la peur, du mal et de la souffrance , la Dame de Fatima leur annonce la nouvelle d’un Dieu en colère, sadique, qui ne peut être contrôlé et apaisé que par le sang, les souffrances et les supplications de ces jeunes victimes innocentes, à travers un vie passée à l’enseigne de la peur, de continuelles privations et sacrifices. Et cela dans le seul but que ce Dieu fâché, puisse freiner sa rage et renoncer à châtier les pécheurs.

Mais à Fatima il y a encore pire. Ici la Dame venue du ciel a présenté aux trois enfants la caricature la plus horrible et la plus monstrueuse que l’on puisse imaginer de Dieu : un être dont la méchanceté, le cynisme et la cruauté dépassent infiniment celles de tous les pires pécheurs et les pires délinquants de la terre. En effet, le Dieu de la Dame est un Dieu qui a volontairement créé l’enfer pour se venger et faire souffrir éternellement les pauvres pécheurs. Et cette Dame venue du ciel est de mèche avec une telle divinité ; elle paraît en parfaite connivence avec un tel Dieu et avec son abominable invention, au point qu’elle se plaît à la montrer aux enfants, comme si l’enfer était un titre de gloire et  un chef-d’œuvre de l’Artiste divin.

Il faut penser que, la Dame de Fatima ne soupçonnait certainement pas que l’invention de l’enfer de la part de son Dieu serait devenue, plus tard, une des causes principales autant de la croissance de l’athéisme, que du refus de la religion catholique. Si la Dame de Fatima avait été moindrement théologienne, elle aurait immédiatement su, qu’en saine théologie, la foi en Dieu est inconciliable avec la croyance en l’enfer, étant donné que les deux concepts s’excluent mutuellement. Et si la Dame avait été moindrement chrétienne, elle se serait aussi rendue compte que son Dieu était en total contradiction avec le Dieu prêché par son fils Jésus. Elle aurait donc compris qu’il était impossible de croire en son Dieu et de faire partie de l’Église chrétienne.

Cela équivaut à dire que Fatima et le christianisme sont deux phénomènes religieux opposés et inconciliables. En d’autres mots, ceux et celles qui acceptent de croire aux communications de Fatima, doivent renoncer à se considérer chrétiens. Ils pourraient, à la rigueur, se qualifier comme « catholiques », en l’honneur des nombreux Papes qui ont succombé aux charmes maléfiques de la Dame de Fatima et ont, malencontreusement, ratifié ses funestes délires ; mais ils ne peuvent certainement pas se considérer disciples de Jésus de Nazareth.

 Il est urgent d'évangéliser Fatima

On doit donc affirmer que le livre des Mémoires de Sœur Lucie, où elle a écrit les souvenirs de son enfance à Fatima, contient et transmet une théologie (réflexion sur Dieu) qui se situe aux antipodes de la pensée chrétienne. Lucie a écrit son livre forcée par certains ecclésiastiques qui s’étaient arrogés le droit de lui imposer leur volonté et leur autorité.

Il s’agit d’une théologie qui parle d’un Dieu, qui est sans doute celui qui habitait l’imaginaire de beaucoup de gens de ce temps ; mais qui possédait toutes les caractéristiques d’une idole abominable qui dévore les pauvres gens. Une théologie qui présente un Dieu conçu comme un justicier impitoyable, qui ne peut calmer et satisfaire sa colère punitive et destructrice qu’avec le sang, beaucoup de sang, des victimes innocentes. Il s’agit d’un Dieu bourreau ; d’un Dieu contre l'homme et la femme ; d’un Dieu sans entrailles de miséricorde, tyran et despote. Un Dieu pire que les plus mauvaises de ses créatures. Un Dieu intrinsèquement pervers, qu’il est nécessaire d'apaiser et dont le bras justicier est toujours prêt à tomber sur l'humanité pécheresse[5]. Et si, jusqu’à maintenant, il a retenu ses frappes mortelles, cela est dû au fait qu’il a, heureusement pour les humains, à ses côtés la créature la plus sainte qui puisse exister et, apparemment, qui est bien plus miséricordieuse que lui, la Dame du Rosaire, qui seule réussit à le retenir et à le calmer.

Mais cette Dame est elle-même sur le point de n’être plus capable d’endurer pour longtemps la colère et la haine de Dieu contre l'humanité. Elle a donc décidé de descendre du ciel vers la terre, plus concrètement vers le Portugal, où quelques années auparavant, a été instaurée (coïncidence !) une République maçonnique et athée, pour demander à trois enfants innocents de l'aider dans cette énorme tâche.

« Est-ce que vous voulez -leur a-t-elle demandé  dans sa première apparition- vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu'Il voudra vous envoyer, en réparation pour les péchés par lesquels il est offensé et pour lui adresser des supplications pour la conversion des pécheurs?» Les enfants, éduqués dans une catéchèse sacrificielle et terroriste, ont dit oui. Et, comme eux, beaucoup de gens aujourd'hui continuent encore à dire la même chose à ce Dieu.

Seulement ceux qui ne veulent pas voir, peuvent ignorer qu’à Fatima, le Dieu le plus recherché par les personnes qui souffrent maladies et afflictions de toutes sortes, est une affreuse caricature de Dieu. C’est un Dieu qui nous angoisse, qui inspire la peur, qui nous punit, qui donne et prend nos vies comme bon lui semble et selon son humeur du moment. C’est un Dieu qui exige des sacrifices humains, qui se complaît à la vue de l'auto-flagellation des pauvres, dans une immolation qui peut atteindre les limites de leurs forces et de leur vie. C’est un Dieu en rébellion contre l'Évangile, et qui a donc plus du démon que du Dieu.

C’est le Dieu qui, depuis l'aube de l'humanité, a vécu dans notre inconscient collectif, où, manifestement, n'est pas encore arrivée la bonne nouvelle libératrice de toute peur, qui est au cœur de l'Évangile de Jésus.

L'Église catholique qui, dès les débuts, a réglementé le phénomène « Fatima », n’a pas encore été capable de l’évangéliser. Et Dieu sait si cette tâche est urgente et nécessaire ! Malheureusement, elle a été plus intéressée à profiter à son avantage, et d’une façon sacrilège, de ce phénomène. Sans doute parce que, comme le dit l'annonce de la loterie, cela était plus facile, pas cher et rapportait des millions. En plus, Fatima garantissait des statistiques élevées à l’heure de faire le recensement des catholiques portugais. Ce qui donne à la hiérarchie ecclésiastique du Portugal beaucoup plus de pouvoir lorsqu’il sagit de revendiquer ou de négocier des avantages législatifs auprès des autorités politiques en place.

Il est temps de changer Fatima de fond en comble. Est-ce risqué ? Sans doute ! Mais c'est une nécessité incontournable. L'enjeu est le Nom de Dieu, le Dieu révélé en Jésus de Nazareth. C’est l’authenticité de la foi chrétienne. Et surtout est en jeu le sort de l'humanité, surtout de la majorité appauvrie et opprimée, que l’annonce de Fatima encourage à maintenir dans la peur, la soumission, la privation, la souffrance et le sacrifice.

Les théologiens chrétiens ont donc leur mot à dire sur la question de Fatima. Avec lucidité, courage et discernement. Pour lutter contre les faux dieux qui dirigent les sorts de l’humanité, la parole des théologiens est irremplaçable. Et il arrive parfois que leur parole en fasse des martyrs, comme cela a été le cas pour certains confrères théologiens d’Amérique Latine. Mais les théologiens ne peuvent pas cesser de parler. Comme ne peuvent pas se taire, non plus, les communautés chrétiennes qu’ils animent de leurs enseignements.

C‘est grâce à ces théologiens et théologiennes qui se battent pour garder vivante dans l’Église la pureté et l’originalité de la doctrine du Maître de Nazareth, que nous savons aujourd’hui que son Dieu, devenu aussi notre Dieu, n’est pas un Dieu qui a créé l’enfer pour y précipiter et y torturer les pécheurs (et qui n’en est pas un ?); mais un Dieu qui les accueille et qui mange avec eux. Et cela par choix, par grâce, par pur amour, pour son plaisir. Ces théologiens rappellent sans cesse aux chrétiens que le Dieu de Jésus est un Dieu qui, au lieu de faire des victimes, cherche à les baisser de la croix. C’est un Dieu engagé, en tant que Créateur, à faire de cette terre, qui a déjà beaucoup de l’enfer, une terre nouvelle, où Il habite avec nous et parmi nous comme l’Emmanuel, à tout jamais.

 Et Marie, la mère de Jésus, au lieu de se promener à droite et à gauche pour demander aux gens simples, pauvres et ignorants de faire des sacrifices et de réciter des nombreux chapelets pour la conversion des pécheurs, apparaît, au contraire, dans les évangiles comme la plus grande poétesse et chanteuse de ce Dieu totalement engagé dans la libération et le salut de l'humanité et pleinement occupé à porter à terme la création du monde. Une création dont l’évolution et le perfectionnement ont été retardés, parce qu'il ne voulait pas les accomplir sans nous, mais avec nous. Et aussi parce qu'il respecte notre liberté, sans jamais perdre sa patience, malgré les innombrables bêtises que nous commettons contre nous-mêmes, contre les autres et contre la nature qui nous sert de berceau.

Dieu agit ainsi parce qu'il nous aime infiniment. Et il ne peut pas faire autrement !


(Traduction libre de l’espagnol par Bruno Mori: Fátima nunca más! )

(Texte original en portugais et espagnol dans la revue Relat223, voir : http://www.servicioskoinonia.org/relat/)





[1] Ouvrage de base pour comprendre l’esprit, la spiritualité et la théologie subjacente au phénomène des apparitions de Fatima.
[3] Le livre Lucie montre, avec une redondance presque fatigante, comment elle-même a toujours été victime de ce sinistre endoctrinement  et comment, même des nombreuses années plus tard, elle restera marquée par cette vision mythique et angoissante de la réalité, totalement étrangère au message libérateur de l'Évangile.
[4] Le souci pour le pape était survenu après qu’un prêtre leur avait parlé de l’existence du Pape et les avait informés que celui-ci était persécuté par les «ennemis» de l'Église.

[5] Sr Lucie écrit au Père Aparicio le 20 juin 1939  : «  Notre-Dame a promis de remettre à plus tard le fléau de la guerre si cette dévotion était propagée et pratiquée. Nous la voyons repousser ce châtiment dans la mesure où l’on fait des efforts pour la propager. Mais je crains que nous ne puissions faire davantage que ce que nous faisons, et que Dieu, mécontent, lève le bras de sa miséricorde et laisse le monde être ravagé par ce châtiment, qui sera comme il n’y en a jamais eu, horrible, horrible.  » (op. cit., p. 244)

Le pardon affaire des hommes et non pas affaire de Dieu


(Mt 18,21-35 – 24e dim.ord. A - 2017)

A partir de ce texte de l’évangile de Matthieu, je propose ici une réflexion sur le pardon qui s’écarte un peu de ce que les fidèles catholiques sont habitués à entendre à l’église, mais qui peut les aider à mieux comprendre qui est le Dieu de Jésus de Nazareth et à mieux accepter l’urgence de s’insérer dans son projet de renouveau universel. 

La doctrine catholique, à cause du dogme du péché originel, a été contaminée par la croyance en la culpabilité foncière et universelle des humains, considérés comme des êtres fondamentalement mauvais et transgresseurs. Cela a eu comme conséquence que l’enseignement officiel de l’Église qui s’exprime dans les textes liturgiques, les formules de la spiritualité et de la piété chrétienne (prières, dévotions, etc.) a fait naître chez les chrétiens la conviction de n’être que des créatures déchues et des misérables pécheurs qui ne peuvent que s’humilier et ramper devant un Dieu offensé et enragé, dans l’espoir d’obtenir sa pitié et son pardon.

En tant que chrétiens, nous avons donc été formés à penser que, puisque, au départ, nous sommes mauvais et coupables, il est nécessaire, pour être sauvés, de demander et d’obtenir le pardon de Dieu, lequel, étant bon et miséricordieux, nous l’accorde presque toujours. Cette façon de procéder nous paraît tout à fait normale et surtout tout à fait conforme à la vérité de ce que nous sommes et de ce que Dieu est lui-même. [1]

Eh bien non ! Au risque de surprendre plusieurs pieux chrétiens, je dois affirmer que cette histoire de pardon que Dieu est supposé  accorder au pécheur repenti est loin de correspondre à la vérité.

Laissons de côté, pour le moment, le mythe biblique de la faute d'Adam et Ève qui, à partir du Ve siècle de notre ère, a donné origine aux délires théologiques de St Augustin d’Hippone sur le péché originel, auquel plus personne ne croit aujourd’hui, même pas le pape.  

Concentrons-nous sur la question du pardon de Dieu. Peut-on dire que Dieu pardonne ? Rien n’est moins sûr. Nous pouvons attribuer à Dieu la capacité de pardonner, seulement si nous nous avons une conception anthropomorphique de Dieu; un Dieu, construit à notre image et ressemblance et donc imaginé fonctionner à la façon de l’homme. Ce qui signifie, en d’autres mots, transposer en Dieu la façon humaine de penser, de sentir, d’agir, et de réagir, de changer, de s’altérer. Et c’est malheureusement ce que la religion a fait au cours de l’histoire, en nous concoctant un Dieu moulé sur les comportements de l’homme. Et c’est pour cette raison qu’aujourd’hui, pour une grande partie des gens instruits de la modernité, ce Dieu de la religion est devenu une entité inacceptable, ne passant plus la preuve du bon sens et de la rationalité.

Mais revenons au pardon et voyons pourquoi il est impossible d’attribuer à Dieu l’action de pardonner. Le pardon est essentiellement le résultat d’une modification et d’un changement d’attitude survenus à l’intérieur de la personne qui pardonne. Les dynamiques du pardon sont bien connues. Elles comportent deux volets ou deux étapes. Le pardon suppose, premièrement, l’existence d’un individu capable de s’altérer et donc vulnérable, auquel on peut faire du mal, lui faire subir un tort, lui infliger des blessures et des pertes qui lui procurent de la souffrance et qui font surgir en lui les réactions et les altérations du ressentiment, de la colère, de la haine et de la vengeance.
Le deuxième volet suppose que, ce même individu, déjà perturbé et changé intérieurement par l’offense reçue, l’agressivité et la haine ressenties, est à nouveau transformé et changé en profondeur par l’apparition en lui de la bonté, de la bienveillance et de l’amour, sentiments qu’il offre, comme un don gratuit à celui qui l’a offensé, à travers justement la démarche du par-don. Ici donc, l’individu qui pardonne passe de l’état de rage et de haine, à l’état d’indulgence, de bienveillance, d’amabilité, de réconciliation qui renonce à toute vengeance et ne désire plus que faire la paix et vivre en paix avec celui qui avait été son ennemi.

Or ce processus d’altération et de changement intérieur est ontologiquement impossible en Dieu qui, par définition, est toujours identique à lui-même. Dieu Est et il ne peut pas devenir. Il ne peut pas changer, s’altérer et donc passer d'un état à un autre. Il ne peut pas, non plus, être affecté de l’extérieur par quelque chose qui existerait en dehors de lui. Car rien n’existe en dehors de Dieu. Il est en effet l’être de toutes choses ; l’âme de l’Univers ; l’Énergie de fond originelle et le Mystère suprême qui maintient toutes choses dans leur être et dans leur existence. C’est donc un non-sens de dire que Dieu peut être offensé ou mis en colère par notre méchanceté ou nos fautes. Il s'en suit alors que Dieu ne peut pas pardonner, parce qu’il ne peut jamais être ou se sentir offensé. Dieu ne peut pas être atteint ou affecté par le comportement de l’homme. Il est le «Tout Autre» et le «Transcendent».

Il y a aussi une autre raison qui rend incongru tout discours sur le pardon de Dieu : le fait que Dieu n’est qu’Amour. En effet, autant les évangiles, que les découvertes des sciences cosmologiques modernes, nous apprennent que la Réalité Ultime appelée «Dieu », est essentiellement une Énergie d’attraction et d’amour qui soutient et anime tout ce qui existe. De son côté, Jésus de Nazareth a annoncé sans relâche que Dieu est un Être d’Amour et que tout amour vient de Dieu ; que celui qui aime est en Dieu et vit en Dieu et que Dieu ne sait faire et ne peut faire autre chose que d’aimer. La nature de Dieu c’est d’être Amour. Donc Dieu ne peut qu’aimer, comme le soleil ne peut que briller et réchauffer. Dieu n’est qu’amour ; c’est donc un non-sens  que de penser que Dieu puisse aussi et en même temps être rancune, ressentiment, hostilité, colère, agressivité, volonté de condamnation, désir de châtiment et de punition envers le pécheur.

Pour Jésus, Dieu est et reste Amour, autant lorsque nous sommes bons que lorsque nous sommes méchants ; lorsque nous sommes innocents, que lorsque nous sommes coupables ; lorsque nous sommes justes et en règle, que lorsque nous nous sommes transgresseurs ; lorsque nous sommes saints, que lorsque nous sommes pécheurs et délinquants. Quoi que nous fassions de bon ou de mauvais, nous sommes toujours exposés aux rayons de son amour. Son amour est antérieur et postérieur à nos fautes. Son amour est toujours existant, toujours présent, toujours assuré, quoi que nous fassions de bon et de mal. Dieu ne peut donc pas nous pardonner, car jamais nous n’avons été séparés de son amour. Dieu ne peut nous pardonner, car il ne peut pas nous rétablir dans un amour qu’il ne nous a jamais enlevé et duquel nous ne sommes jamais sortis.

Par conséquent, un discours sur Dieu qui exprimerait des attentes de notre part sur ce que Dieu pourrait ou ne pourrait pas nous donner, est une absurdité. Quoi que la théologie catholique puisse affirmer, Jésus n’est pas venu nous sauver, mais nous annoncer (et c’est cela sa bonne nouvelle !) que nous sommes tous déjà sauvés, car tous, depuis toujours, déjà plongés dans les profondeurs de l’Amour de Dieu.

Le pardon de Dieu, que nous avons l’impression de recevoir et d’expérimenter dans notre âme et notre dans cœur, après une démarche ou un parcours de conversion, n’est pas le résultat d’une intervention de Dieu, mais plutôt le fruit de notre changement intérieur ou de notre «conversion» qui, en nous rapprochant de Dieu, nous a rendu plus sensibles aux effets de sa présence et nous a fait découvrir, qu’en réalité, nous avions toujours été exposés aux feux de son amour.

En effet, lorsque, par notre conversion nous nous sommes débarrassés du voile de nos fautes que nous avions tissé autour de notre existence, voile qui nous faisait vivre dans le froid et l’obscurité et qui nous empêchait d’être exposés au soleil de Dieu, nous nous sommes rendu compte que la lumière et la chaleur de son amour avaient toujours été là pour nous, même lorsque nous vivions dans la brume et la noirceur du mal et du péché.

Jésus avait compris cela, et c’est pourquoi il annonçait à tous ceux qui voulaient bien l’entendre, que Dieu est un Être d’amour qui ne fait pas de différences entre les personnes. Il aime aussi bien les justes que les pécheurs. Il fait pleuvoir et briller son soleil autant sur les bons que sur les méchants. Il a soin autant de la brebis égarée, que de celles qui sont restées dans la sécurité du bercail. Il est un Père qui prend à cœur autant le fils dissolu et fêtard, que celui bien sage qui voit avec scrupule aux intérêts de la maison.

Jésus avait compris que Amour est la seule énergie capable non seulement de maintenir le monde dans l’existence, mais aussi de faire évoluer et progresser les humains vers le plein accomplissement de leur nature. C’est pourquoi Jésus a toujours cherché à être lui-même un homme d’amour et à incarner dans sa vie cette posture amoureuse qu’il avait découverte comme étant la caractéristique fondamentale du Dieu dans lequel il croyait.

C’est pourquoi, Jésus rêvait d’un monde régi exclusivement par les dynamiques et les règles de l’amour. Il rêvait d’un monde devenu une sorte de « Royaume de Dieu », où l’amour qui est en Dieu régnait aussi dans le cœur de l’homme et, par l’homme, dans le monde tout entier.

Jésus cependant savait que son rêve aurait été entravé par les limites et les imperfections de la nature humaine, toujours déficiente, fragile, défectueuse, toujours en train de se construire, d’évoluer, de se perfectionner. Son rêve d’un monde bâti à l’enseigne de l’amour devait donc faire les comptes avec un être humain inaccompli, inachevé, dans lequel existent encore d’innombrables défaillances et défectuosités, des zones obscures et des vides immenses que la lumière et les forces de l’amour n’ont jamais colonisé de leur présence.

C’est pour cela que l’être humain peut rater la rencontre avec les dynamiques de l’amour. C’est pour cela que l’homme peut aller à contre-courant des forces structurantes de l’attraction, de la relation affective, de la bienveillance et de la communion qui soutiennent et font évoluer l’Univers. C’est pour cela que l’homme peut adopter des attitudes et des comportements où l’amour est absent et se transformer en un individu fermé sur lui-même ; et ouvrir ainsi la voie à l’injustice, à l’exploitation, à la violence, qui mènent presque inévitablement à la création de la spirale infernale du ressentiment, de l’agressivité de la haine et de la vengeance.

Jésus savait que, si les humains ne sont que cela ; s’ils ne cherchent pas à se changer en des meilleures personnes ; s’ils ne font que succomber à leurs limites ; s’ils ne font que suivre les pulsions destructrices et aliénantes qu’ils portent dans leur cœur, jamais  il ne pourrait réaliser son rêve d’un monde nouveau. Il savait que pour cela, il avait absolument besoin d’humains capables de pardonner, c’est-à-dire capables de passer de la haine à l’amour, du désir de faire le mal, à la volonté de faire le bien et incapables de se réjouir du mal et de la souffrance de leurs ennemis. La possibilité de l’homme de changer et donc de pardonner, constituait le seul espoir que Jésus possédait de faire face efficacement aux obstacles qui bloquaient ou qui ralentissaient la réalisation de ce monde plein d’amour dont il rêvait.

Pour Jésus, le pardon devient alors une pièce essentielle et un pilier fondamental dans la réalisation de son rêve de renouveau universel et de construction du Royaume de Dieu. Cela explique pourquoi le pardon a une si grande place dans la prédication de prophète de Nazareth, au point de devenir une caractéristique fondamentale de son message. Cela explique aussi pourquoi, lorsque Jésus parle de pardon, il n’a jamais en vue le pardon de Dieu, mais il se réfère presque exclusivement au pardon donné par les hommes.

Pour Jésus, les dynamiques du pardon qui font passer de la rupture à l’accord ; de l’agressivité à la bienveillance ; de l’hostilité à l’amitié ; de la division à la communion ; de la colère à la douceur ; de l’animosité à la sérénité ; du désir de vengeance à la volonté de bien, de paix et de réconciliation ; de la haine à l’amour…  ne sont jamais des attitudes qui concernent de Dieu, mais qui concernent les hommes. De sorte que, pour le Nazaréen, le pardon n’est pas du tout une affaire de Dieu, mais exclusivement une affaire d’hommes et entre les hommes. Car seulement le pardon que l’homme est capable de donner à son semblable peut briser à la racine la spirale du mal et de la violence. Car seul le pardon peut empêcher la haine de se développer et de se propager dans le monde et de produire les fruits néfastes de souffrance et de mort.

Jésus avait compris que, pour rendre viable et réalisable son rêve d’un monde meilleur, il fallait, avant tout, rendre les hommes meilleurs et donc capables de plus d’amour. Pour cela il fallait les rendre plus sensibles à la nécessité de se laisser toucher et envahir par la présence et la proximité de son Dieu, en les exposant aux feux de son amour, qui devait désormais soutenir et orienter aussi leur existence. Selon Jésus, c’est parce que l’amour de Dieu est dans l’homme, que celui-ci devient capable d’aimer à la façon divine et de placer alors tout le monde, bons et méchants, justes et pécheurs, amis et ennemis, dans le courant de l’amour et de la détermination du pardon.
Et comme, pour Jésus, l’amour de Dieu pour l’homme est sans limites, ainsi en est-il du pardon de l’homme pour ses semblables. Le pardon humain doit être à la mesure de l’amour divin. Car le pardon est la version humaine de l’amour qui est en Dieu. Il est le don humain (par-don) par excellence. C’est pour cela que que le pardon doit être toujours donné. Non pas une fois, non pas sept fois, mais, comme disait Jésus - sept fois soixante-dix-sept fois. C'est-à-dire, toujours, continuellement, sans limites.

Tâche ardue ! Tâche difficile ! Tâche qui paraît presque impossible et, souvent, au-delà de nos capacités. Mais tâche indispensable, au moins comme programme de vie, comme idéal de conduite, comme effort de pacification toujours repris et toujours à reprendre, si nous tenons à vivre dans une société plus humaine et sur une planète plus habitable.

Finalement, comme il apparaît de ce texte d’évangiles que nous venons de lire (Mt, 18,21-35), Jésus de Nazareth avait raison de penser que seulement à travers le pardon qu’ils seront capables de recevoir et d’accorder, les hommes échapperont «aux mains du bourreau», se sauveront eux-mêmes et le monde qu’ils habitent.

Bruno Mori 




[1][1] Le long de son histoire, l’Église catholique a utilisé la culpabilité et la peur comme des armes pour établir et fortifier son pouvoir et son emprise sur les consciences des croyants. En forgeant et en proposant la fausse image d’un Dieu qui peut, certes, pardonner; mais qui peut aussi et surtout être offensé, se fâcher, punir et condamner au feu du purgatoire et aux flammes éternelles de l’enfer, l’Église a volontairement entretenu et encouragé (auprès de ses ouailles rustres et ignorantes) la foi en un Dieu justicier impitoyable, de la colère et de la vengeance duquel elle pouvait cependant libérer et sauver les pécheurs qui recourraient à elle pour demander le sacrement du pardon. Brillant et efficace système d’assurer la dépendance et l’attachement inconditionnel et continuel de ses fidèles !