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samedi 21 octobre 2017

CET AMOUR QUE L'ON CHERCHE À MÉRITER....

(Mt.22,1-14 - 28e dim.ord. A 2017)

Bizarre parabole que celle de ce roi (figure de Dieu) qui prépare un banquet de noce pour son fils ; et ces invités qui trouvent toutes sortes de prétextes pour refuser l’invitation ; et l’étrange attitude de ce seigneur qui invite alors n’importe qui, afin que la salle du banquet soit pleine ...! Si cette parabole est interprétée dans son sens littéral, en l’extrapolant du contexte historique de sa composition et des intentions catéchétiques de l’évangéliste, elle a de quoi nous faire réfléchir et peut même nous déranger.

En effet, Jésus présente ici un Dieu pour lequel la valeur, les vertus, les qualités, les mérites, les accomplissements des personnes (représentées par les premiers invités), ne semblent pas avoir grande importance dans sa façon de les considérer et de les traiter. Si les individus sont des braves et honnêtes personnes, tant mieux ! Si non, c’est pareil ! Bons et méchants, tous sont également invités à la fête et tous bénéficient de la même attention et de la même générosité.

Je pense que le but de ce récit est double. D’un côté, Jésus veut faire comprendre que Dieu, son Dieu, à une façon bien à lui de traiter avec les humains et de les aimer. On pourrait dire que, pour Jésus, il existe une façon «divin » d’aimer, qui est assez différente de la façon «humaine» d’aimer. Et c’est justement cette façon «divine» d’aimer qui souvent nous dérange et que nous avons de la difficulté à accepter. Car nous la trouvons inconvenante, trop bonace, pas très éclairée et surtout pas mal injuste.

De l’autre côté, Jésus nous exhorte à accepter ce type divin d’amour et, possiblement, à le reproduire dans notre vie, afin que s’opère dans notre existence une conversion de notre manière de communiquer et d’entrer en relation avec les personnes, et que notre amour pour elles prenne, de plus en plus, la coloration et les caractéristiques de l’amour qui est en Dieu.

En bref, Jésus veut ici nous rendre conscients non seulement du fait que l’amour de Dieu est toujours gratuit, désintéressé, altruiste, tandis que le nôtre est toujours, ou presque, intéressé, calculateur et égoïste ; mais aussi du fait que nous, les humains, souvent nous nous révoltons contre ce type d’amour qui est en Dieu. Nous refusons l’offre de son amour, nous déclinons son invitation.

Jésus nous révèle ici que Dieu veut nous aimer, mais que nous ne voulons pas nous faire aimer, ou plutôt, que nous n’acceptons pas sa façon d’aimer. On dirait que ce genre d’amour divin, toujours gratuit, toujours offert, toujours inconditionnel, nous fait peur, nous agace et nous indispose . Nous avons, en effet, la sensation qu’il froisse notre ego ; qu’il mortifie notre amour-propre ; qu’il brime notre orgueil. Nous ne voulons pas d’un amour gratuit ! Nous voulons en payer le prix ! Nous voulons l’acheter avec nos propres moyens ! Nous voulons le mériter !   

Nous voulons pouvoir être les patrons et les maîtres même de l’amour que nous recevons. Nous voulons que, si quelqu’un s’attache à nous, au point de nous aimer, que cela soit à cause de quelque chose d’attrayant et d’intéressant qu’il a découvert en nous et que nous lui donnons en échange, notre beauté, notre corps, nos valeurs, nos qualités, nos vertus, nos mérites, nos accomplissements, etc.

Et cette attitude marchande remonte souvent à notre enfance. Quand nous étions enfants, nos parents nous ont appris que nous devions conquérir et mériter leur affection. Si nous étions des enfants sages, obéissants, appliqués, studieux, nous avions droit à leur appréciation et à leur amour ; autrement nous avions en retour leurs cris, les reproches, les punitions, l’éloignement physique et émotionnel. Et c’est ainsi que, tout petits, nous avons appris que l’amour est une conquête, que l’amour doit être mérité ; que pour obtenir  de l’amour, il faut donner quelque chose en échange ; et que l’amour n’est jamais donné et obtenu gratuitement.

En grandissant, nous avons continué à penser la même chose, et nous avons appliqué cela à nos rapports avec Dieu. Et lorsque, dans les évangiles, nous avons appris que Dieu aime tout le monde gratuitement et sans conditions préalables ; qu’il aime autant les bons que et les méchants, les obéissants et les désobéissants, les saints et les pécheurs, nous sommes tentés de réagir avec indignation : « Eh non ! Ce n’est pas juste ! Je n’accepte pas un tel Dieu ! Je ne veux pas m’asseoir à sa table ! Je n’en veux pas d’un amour qui ne tient pas compte de ma valeur, de ce que je suis et qui semble s’en ficher de mes qualités et de mes mérites. Je préfère un amour que j’ai moi-même conquis et mérité ; un amour que j’acquière en déboursant de ma poche, même si c’est un prix élevé. Un amour gratuit ne m’intéresse pas, car il me déprécie et me dévalorise, comme tout ce qui ne coûte rien».
Nous voulons donc que la cause et la raison de l’amour que nous recevons soit en nous et non pas dans celui ou celle qui nous aime. Nous voulons être aimés non pas parce que celui ou celle qui nous aime est extraordinairement aimant, mais parce que nous sommes craquants et terriblement aimables, grâce à tous nos atouts.

Cette façon bien humaine que nous avons de concevoir l’amour, est passée de plein pied dans la spiritualité chrétienne et dans l’enseignement officiel de l’Église Catholique qui, le long de son histoire, a élaboré une complexe doctrine sur la grâce sanctifiante, les vertus et les mérites que le croyant doit produire et posséder pour pouvoir profiter de l’amour de Dieu.

Nous agissons ainsi parce que nous n’avons de l’amour que la notion ou la version humaine de ce sentiment que nous considérons comme un mouvement ou un phénomène déclenché par une cause, alors qu’en Dieu l’amour n’a pas de cause, mais est un état de son Être, ou plutôt, il est la nature de son Être.   

L’évangile de ce jour nous dit qu’il faut apprendre à se laisser aimer et à abandonner toute prétention et toute volonté de vouloir contrôler les forces de l’amour qui sont partout autour de nous. Dans la mesure où nous sommes capables de renoncer à tout mettre en œuvre pour «mériter» d’être aimés et à mettre de côté tout besoin de bâtir en nous les raisons de l’amour; dans la mesure où nous accepterons d’être imparfaits, faibles, limités, vulnérables, nous nous approcherons davantage à la vérité de notre être et nous acquerrons cette simplicité, cette sincérité, cette innocence et cette transparence qui feront de nous des personnes autant plus aimables qu’elles ne cherchent pas à piéger à leur avantage les courants de l’amour, auxquels, au contraire, elles s’abandonnent avec la confiance d’un enfant. C’est pour cela que Jésus affirmait que se sont surtout les simples, les pauvres et les petits qui sont les héritiers privilégiés de l’amour de Dieu.

Mais il reste que, de l’amour, nous ne connaissons souvent que ses faibles, défectueuses et superficielles manifestations humaines que nous confondons avec l’amour tout court ; alors que souvent elles ne sont que les expressions de notre égoïsme et de la recherche de notre satisfaction et de notre bien être psychologique, sentimental ou érotique.

Il faut admettre que les dynamique de l’Amour tout court nous échappent totalement. Car l’amour tout court est seulement en Dieu et, principalement, une affaire de Dieu et, par conséquent, il participe de son même mystère. Jamais nous ne réussirons à comprendre pleinement son abyssale et essentielle gratuité, qui, aux yeux de notre esprit humain, handicapé par notre extrême petitesse, nous apparaît comme une folie supplémentaire du Dieu de Jésus-Christ.

Nous pouvons, peut-être, avoir une pâle idée (intercepter une fugace lueur) de ce mystère, lorsque  nous pensons que si Dieu est Amour et en même temps Valeur unique, absolue et ultime, il ne peut être et se manifester que comme Amour totalement inconditionnel, étant donné qu’aucune autre valeur n’existe qui puisse l’attirer ou le concurrencer. Croire que nos petites valeurs humaines, nos petites vertus, nos petits ou grands mérites soient capables de déclencher en Dieu les élans d’un amour qui, autrement, ne nous serait pas donné, c’est un non-sens. Dieu nous aime, non pas parce qu’il nous trouve aimables, mais parce qu’il ne peut pas faire autre chose que d’aimer. Dieu ne peut qu’offrir à tous le repas de son amour ; un amour nécessairement gratuit, comme l’Univers à travers lequel il se manifeste.

Si nous, les humains, nous ne sommes pas capables ni d’imaginer, ni de comprendre, ni de réaliser cette qualité divine de l’amour, puisque notre façon d’aimer est toujours, quelque part, entachée d’égoïsme et de recherche d’avantages, de plaisirs et de gratifications, cela ne nous empêche pas de croire que cette gratuité divine de l’amour puisse constituer, dans notre vie, un rêve et un idéal vers lequel tous les amants devraient tendre. Jésus de Nazareth nous assure que si la gratuité de l’amour chez les humains est rare et difficile, elle n’est cependant pas impossible. Et parfois il arrive que cette qualité d’amour qui est au cœur de Dieu, par grâce ou par miracle, fasse soudainement et brièvement son apparition dans le cœur de l’homme.

Il peut arriver dans la vie d’un individu de tomber soudainement amoureux d’une autre personne ; le coup de foudre qui frappe sans préavis et sans que l’on sache d’où cela vienne et comment cela ait pu être possible. Il arrive parfois que l’amour d’un autre te soit soudainement offert comme un don inattendu, sans que tu n’aies volontairement rien fait pour le susciter ou le motiver. II arrive que l’amour vienne à toi sans aucun « mérite » de ta part ; comme une attitude, un geste, un élan totalement gratuit ; comme un magnifique et touchant cadeau, qu’un beau jour tu trouves posé là, pour toi, au cœur de ta maison, alors que tu pensais que personne n’en connaissait l’adresse.

Il arrive donc parfois que des échantillons d’amour divin percent le ciel pour venir ensemencer de leurs virtualités l’amour des hommes. Il arrive parfois, que dans notre vie, nous assistions à des rares et fugaces manifestations de l’amour tel qu’il existe à sa Source divine. Comme dans l’amour d’une mère pour son enfant ; comme dans le cas de certaines existences exclusivement données à soulager la misère et la souffrance d’autrui (cf.  Jésus de Nazareth); dans la qualité de certaines rencontres et de certaines fusions amoureuses… Dans ces cas, nous sommes confrontés à un phénomène amoureux qui a quelque chose de divin.

Il y a vraiment des attitudes et des comportements amoureux où il faut reconnaître que quelque chose de l’amour divin vient éclairer le ciel de nos existences calculatrices orgueilleuses et égoïstes. C’est comme si des étincelles du monde de Dieu surgissent soudainement et miraculeusement dans le monde des hommes, pour leur annoncer que quelque chose de la pure gratuité divine peut aussi s’introduire dans nos amours humains et qu’il est peut-être possible à l’homme d’aimer à la façon de Dieu.  
Jésus de Nazareth, lui, en était convaincu !

Bruno Mori 4 octobre 2017




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