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samedi 3 février 2018

JÉSUS ET LA SYNAGOGUE


(4e dim ord. B – Mc.1, 21-28)

Chez les juifs, la synagogue était l’institution officielle de l’enseignement religieux. Elle était le symbole de la doctrine et de l’orthodoxie religieuse proclamée par des maîtres reconnus, institués et patentés : les scribes. Elle était le haut lieu par excellence de la proclamation de la Torah, de son explication et de son interprétation.

Jésus de Nazareth, à cause de ses convictions, de l’originalité de sa pensée et du caractère critique et contestataire de sa personnalité, a toujours eu un rapport conflictuel avec la synagogue. Dans les évangiles, chaque fois que Jésus entre dans une synagogue la guerre éclate. Il est contesté. Il est chassé. Il est condamné à mort. C’est une façon de dire que la vision religieuse de Jésus et celle des scribes ne sont pas compatibles.

La synagogue est donc une institution fréquentée par les bons croyants, les pieux juifs bien intégrés dans le système religieux; par des gens sans problèmes qui acceptent les dogmes, respectent les règles, suivent les lois sans discuter, sans se poser de questions et qui n’aiment surtout pas les changements et que l'on vienne les déranger dans leurs croyances rassurantes et bien établies.

 Jésus, par contre est l’homme libre et contestataire. Il est l’homme de la rue, le vagabond de Dieu qui ne se laisse emprisonner par aucun parti, ni aucune idéologie. Il n’appartient à aucune classe. Il n’est ni scribe, ni lévite, ni prêtre, ni clerc, ni membre d’aucune hiérarchie religieuse. Il est un simple laïc qu’aucune norme, qu’aucune disposition de la religion officielle ne réussissent à encadrer ou à embrigader. Il professe une liberté souveraine vis-à-vis des contraintes et des obligations de la religion officielle. Il se sent autorisé à avoir ses propres opinions, à critiquer les autorités, à enfreindre les règles ; à s’insurger contre l’instrumentalisation de la religion et des croyances en faveur et au bénéfice du système religieux en place ; à ressentir de la colère contre les abus du pouvoir, l’hypocrisie des dirigeants, le formalisme de la pratique cultuelle, le grotesque de certains comportements cléricaux.

Jésus déteste les titres, les insignes de pouvoir, les courbettes, les honneurs. Il n’accepte que l’appellation de Rabbi, «Maître» , que les gens lui donnent, parce qu'il a conscience qu’il est le seul à proposer un enseignement et à posséder une parole qui ouvre à la vérité sur soi, sur Dieu et sur le monde et qui libère et valorise ceux qui l’écoutent.

L‘évangéliste Marc insiste sur le fait que Jésus enseignait avec autorité. Jésus ne parle pas au nom de quelqu'un d'autre, comme faisaient les scribes qui, ayant derrière eux une longue tradition d’interprètes, ne faisaient que répéter la pensée des maîtres qui les avaient précédés. L’enseignement des scribes est conventionnel, stéréotypé, figé, il n’encourage ni les changements ni l’ouverture d’esprit. Pour les scribes, le bon et pieux juif est celui qui se garde dans la stabilité de ses habitudes et ses observances religieuses, dans le respect des traditions, dans la soumission à la Torah qui manifeste la volonté de Dieu.

Jésus, par contre, parle de ce qu’il a à cœur. Sa parole exprime tout ce qu’il est lui-même, les convictions et les valeurs qui le font vivre. Elle communique sa pensée, le fruit de sa réflexion, le résultat de sa prière et de sa contemplation, sa vision intérieure, son expérience intime de Dieu. Dans sa parole il se livre lui-même. Jésus sait que sa parole est la sienne, certes, mais qu’elle est aussi l’écho d’une autre Parole écoutée et recueillie dans la profondeur de son expérience de Dieu. Il dira « Ma parole, n’est pas la mienne, mais celle du Père qui m’a envoyé ».

C’est pour cela que sa parole est neuve, originelle, déstabilisante, révolutionnaire. Elle encourage la conversion, la transformation, le renouvellement. Elle ouvre de nouveaux horizons. Elle indique de nouveaux chemins. C’est pour cela aussi que sa parole frappe, secoue, bouleverse, surprend, émerveille, fascine, fait toujours réagir ceux qui l’écoutent sans parti pris. Elle ne laisse personne indifférent. C’est une parole qui «porte », car elle nous «apporte» non pas des vérités à croire, mais une nouvelle vision de la Réalité qui rend possible une façon de vivre autrement plus libre, plus valorisante, plus sereine et donc, finalement, plus humaine et plus épanouie.

Le Dieu prêché dans la Synagogue est un Dieu vieux, bougon, triste, exigeant, qui cherche des sujets soumis et dévots ; qui fait dépendre le «salut» de la vertu, de la morale, de la fidélité, de l’obéissance et des observances ; qui semble lier sa bienveillance aux vertus, aux mérites, à la «justice» de ses adorateurs, c’est-à-dire à l’honorabilité que chacun s’est bâtie aux yeux de Dieu et aux yeux des hommes.

Le Dieu de Jésus, au contraire, est un Dieu jeune, espiègle, aventurier, qui aime les défis, les aventures, les voyages, la découverte de nouveaux pays, la contemplation de nouveaux paysages. Il aime les gens qui bougent, qui expérimentent, qui cherchent, qui évoluent, progressent, réagissent, s’opposent, discutent, se trompent, font la fête, dansent, aiment...

Le Dieu de Jésus est un Dieu qui n’aime pas voir les gens se bloquer, se figer, s’immobiliser sur le bord de la route, regarder continuellement en arrière, avoir peur d’avancer, voir le danger et le mal partout et se barricader derrière les murs de leur vieille maison, afin de passer une vie sans histoires et sans remous, mais qui est, inévitablement aussi, une vie plate, sans souffle, sans progrès et sans intérêt.

Le Dieu des scribes est un Dieu que l’on doit craindre et duquel on doit acheter les faveurs et la protection au prix de sacrifices et d’une observance scrupuleuse de sa volonté, explicitée dans une infinité de normes qui finissent par étouffer le pieux pratiquant, en lui rendant la vie impossible.

Le Dieu de Jésus, par contre, est un Dieu qui n’exige rien, mais qui donne toujours le premier; qui donne sans compter; qui donne à tous sans différences ni préférences et duquel nous recevons, avec une générosité et une largesse débordantes, «grâce sur grâce».

Finalement, c’est une conception totalement différente de Dieu qui oppose l’enseignement de la synagogue et l’enseignement du Maître de Nazareth. Dans la synagogue, nous sommes là pour un Dieu qui nous écrase avec ses exigences. Dans la doctrine de Jésus, Dieu est là pour nous, pour nous libérer de nos peurs en nous faisant grandir dans la confiance amoureuse de sa présence. Dans la synagogue, Dieu a besoin de nous (de notre soumission, de notre foi, de notre adoration, de notre culte) pour être Dieu et pour se sentir Dieu. Dans l’enseignement de Jésus, l’homme a besoin de Dieu pour devenir plus humain et pour connaître la source de son être véritable et de son authentique bonheur.

De sorte qu’il n’y a plus grand chose en commun entre la synagogue et Jésus. La parole de Jésus introduit les germes d’une fermentation et d’une révolution qui un jour feront éclater le vieux système religieux juifs. Jésus vient chambarder les anciens repères et en produire de nouveaux. Beaucoup de pieux juifs se sont sentis totalement déstabilisés et désorientés devant l’originalité et la charge contestatrice de la doctrine du Maître de Nazareth. C’est la constatation que Marc met sur la bouche de l’homme dans la synagogue, tourmenté par les mauvais esprits de la scrupuleuse et formelle observance de la Torah et que la longue fréquentation de la religion avait fini par rendre encore plus malade et tourmenté: «Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth? Es-tu venu pour nous perdre?».

Il faudra attendre que cet homme, au contact avec la personne de Jésus et par l’ouverture à sa parole, soit capable de se libérer de tous les conditionnements de son ancienne éducation, de toutes les fausses idées qu’on lui avait inculquées, des fausses croyances qu’il avait accumulées, pour qu’il récupère sa liberté et sa véritable identité. Certes, pour cet homme, le travail de restructuration et de libération n’a pas été une tâche facile. Il a été secoué avec violence. Il a souffert. Il a poussé de grands cris. Il a subi un déchirement intérieur extrêmement éprouvant. Mais c’est le prix que ce genre de personnes doivent payer pour leur guérison intérieure et pour renaître à une nouvelle forme de vie.
  

 Bruno Mori


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